Les juifs européens avaient tendance à nous considérer comme socialement et culturellement inférieurs. Ils attachaient également des connotations négatives à la langue arabe. Non seulement l’arabe était la langue de « l’ennemi », mais elle était généralement considérée comme laide et primitive.
[Ma] famille a été contrainte de quitter le pays [l'Irak], notamment parce qu’en facilitant la prise de contrôle de la Palestine par les sionistes, la Grande-Bretagne a contribué à alimenter l’hostilité des musulmans à l’égard des juifs dans l’ensemble du monde arabe.
Le sionisme a mis l’accent sur le lien historique du peuple juif avec sa terre ancestrale au Proche-Orient, mais il a donné naissance à un État qui s’identifiait presque exclusivement à l’Occident dans son orientation culturelle et géopolitique. Israël se considérait, et il était considéré par ses ennemis, comme une extension du colonialisme européen au Proche-Orient, comme étant « dans » le Proche-Orient, mais pas « de » lui. Dans ce type d’État eurocentrique, il était difficile pour des personnes comme mes grands-mères de se sentir chez elles.
Avi Shlaim, Three Worlds. Memoir of an Arab-Jew, juin 2023.
(Extraits traduits en français par Orient XXI, 18 juillet 2023)
Ou quand la sérénité réussit à transmettre des évidences.
En paraphrasant en partie George Orwell, nous écrivons parce qu’il y a un mensonge que nous tenons à balancer, des faits remarquables, omis ou tenus en demi-silence, sur lesquels nous voulons attirer l’attention. Dans ce sens, les paroles d'Avi Shlaim valent littéralement la peine, constituent une crème contre les rides, les oublis, les manipulations et les impostures dans un sujet central pour l'humanité, la cause palestinienne. Son témoignage personnel est celui, plus qu'éloquent, d'un Juif mizra’h transplanté en 1950 dans la nouvelle et délirante entité sioniste, et soumis à son aberration en marche. Son récit analytique est celui d'un historien irako-israélien —richissime en vie et en études, débiteur aujourd'hui notamment de Ella Shohat, Edward Saïd ou Orit Bashkin— qui après avoir appliqué pour de bon la méthode historique la plus rigoureuse, est parvenu à dévoiler une formidable mystification mondiale, le narratif sioniste destiné, d'un côté, à rendre patte blanche à une opération coloniale, raciste et génocidaire de nettoyage ethnique, de l'autre, à flétrir la réputation des victimes (des massacrés, spoliés, bannis, humiliés, écroués, mutilés et torturés) : les Palestiniens. Témoignage et récit qui en disent long sur les mythes d'Israël et du Sionisme, entité et idéologie coloniales brutales, et sur l'enterrement criminel des droits palestiniens les plus élémentaires depuis notamment 1947.
Disons par ailleurs que sa déclaration et son parcours personnel ressemblent énormément à ceux de Naeim Giladi (1), Juif irakien devenu anti-sioniste, comme Shlaim, à force d'expérience et de recherches. Au bout du compte, l'organisation sioniste en castes ab ouo, théorisée et pratiquée, aux effets (relents) sociaux, politiques, économiques et culturels toujours persistants, toujours persistants, est hors de doute.
Même si je ne suis pas ou je n'ai pas toujours été d'accord avec cet homme honnête (2), honneur à Avi Shlaim pour beaucoup de choses et, concrètement, pour son discours dans cet entretien. Né en Iraq, au sein d'une famille irakienne, émigré en Israël à l'âge de 5 ans, britannique aujourd'hui. "Il parle à TRT World de la façon dont les Juifs vivaient en paix dans le monde arabe et musulman avant le Sionisme et l'importation de la judéophobie de l'Europe." Une vingtaine de minutes à ne pas rater.
TRT World, 16 févr. 2024
British-Israeli historian Professor Avi Shlaim was born in Iraq to Jewish parents in 1945, and moved to the newly established State of Israel as a 5-year-old. He speaks to TRT World about how Jews lived peacefully in the Arab and Muslim world before Zionism and the import of anti-Semitism from Europe.
00:00:00 - 00:02:03 Introduction and Overview00:02:03 - 00:05:02 The New Historians and Revisionist History00:05:02 - 00:08:01 Personal Journey: From Iraq to Israel00:08:01 - 00:11:03 Zionism and Its Impact00:11:03 - 00:14:07 Disenchantment with Israeli Policies and the 1967 War00:14:07 - 00:17:12 Final Observations and Reflections00:17:12 - 00:20:16 Concluding Remarks
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(1) Entretien avec Naeim Giladi, le 11.07.1994, lorsqu'il était le président de The World Organization of Jews from Arab Countries (WOJAC), l'Organisation mondiale des Juifs des Pays Arabes :
Naeim Giladi (Hebrew: נעים גלעדי) (born 1929, Iraq, as Naeim Khalaschi) is an Anti-Zionist, and author of an autobiographical article and historical analysis entitled The Jews of Iraq.[1] The article later formed the basis for his originally self-published book Ben Gurion's Scandals: How the Haganah and the Mossad Eliminated Jews.Giladi was born in 1929 to an Iraqi Jewish family and later lived in Israel and the United States.[2] Giladi describes his family as, "a large and important" family named "Haroon" who had settled in Iraq after the Babylonian exile. According to Giladi his family had owned, 50,000 acres (200 km²) devoted to rice, dates and Arab horses. They were later involved in gold purchase and purification, and were therefore given the name, 'Khalaschi', meaning 'Makers of Pure' by the Turks who occupied Iraq at the time.[1]He states that he joined the underground Zionist movement at age 14 without his parent's knowledge and was involved in underground activities. He was arrested and jailed by the Iraqi government at the age of 17 in 1947.[1] During his two years in the prison of Abu Ghraib, he was expecting to be sentenced to death for smuggling Iraqi Jews out of the country to Iran, where they were then taken to Israel. He managed to escape from prison and travel to Israel, arriving in May 1950.While living in Israel, his views of Zionism changed. He writes that, he "was disillusioned personally, disillusioned at the institutionalized racism, disillusioned at what I was beginning to learn about Zionism's cruelties. The principal interest Israel had in Jews from Islamic countries was as a supply of cheap labor, especially for the farm work that was beneath the urbanized Eastern European Jews. Ben Gurion needed the "Oriental" Jews to farm the thousands of acres of land left by Palestinians who were driven out by Israeli forces in 1948".[1]I organized a demonstration in Ashkelon against Ben Gurion's racist policies and 10,000 people turned out."[1]After serving in the Israeli Army between 1967-1970, Giladi was active in the Israeli Black Panthers movement.
(2) Exemple terrible, lu dans le quotidien El País le 19.11.2003, mis à part ses liaisons très dangereuses :
Shlaim coincide con la tesis defendida ayer, por el ex presidente del Gobierno español Felipe González y el ex ministro de Exteriores israelí Shlomo Ben Ami, durante la presentación de El muro de hierro, de que la única solución al conflicto de Oriente Próximo pasa por una intervención internacional, siendo las partes incapaces de llegar a un acuerdo por sí solas. "Alguien tiene que imponerles una solución. Y tanto Israel como Palestina deben aceptar que alguien les imponga un acuerdo". ¿Quién es ese alguien? "Sin duda, EE UU. Es el único país que tiene poder sobre Israel. El problema es que no ejerce ese poder y que Sharon ha logrado convencer a Bush de que la lucha contra el pueblo palestino se enmarca dentro de la lucha contra el terrorismo global", asegura.Le renard dans le poulailler ? Aucunement. Le roi des États coloniaux et génocidaires serait l'arbitre dans un cas de colonialisme et d'épuration ethnique ? Sommes-nous devenus fous ? Je veux croire, au demeurant, qu'Avi Shlaim ait changé d'avis là-dessus au moins ces derniers temps —déjà à l'époque, c'était fort de café que de proférer une telle position. Entre Avi Shlaim et moi, il y a d'autres divergences d'importance ; il prône, v. g., une (pour moi très fausse) solution à deux États, qui, à mes yeux, nuit aux victimes et exonère les agresseurs coloniaux.
Voir à ce sujet la One Democratic State Campaign ou bien la très récente intervention de l'historien, ancien diplomate et recteur écossais Craig Murray, un homme engagé et admirable, lors d'une conférence à Genève sur le génocide à Gaza le 22.02.2024 :
The notion that all military action by Palestinians is Terrorism and the de-legitimization of self-defence by Palestinians is fundamental to the denial of Palestinian sovereignty, and I want very briefly, and I promise I'll be very brief, to come to the idea of the two-state solution and what Biden and Netanyahu were discussing two days ago; where Netanyahu, having ruled out a two State solution, Biden got him to agree that there's a possible thing called a two-state solution, where Palestine has no military and no army, and no sovereignty. And I want to tell you this: there is no two-state solution to this problem. The idea of a two-state solution is nonsense. The people who put forward the two-state solution do not actually even believe in it. What they want is what we had with apartheid South Africa, with the idea of the so-called homelands. If you remember, Botswana was declared an independent Homeland, and these are puppet states which have no military, no independent foreign policy, no control of their own borders or populations, and which are used simply to deprive voting rights from, in that case for black population, and to be used as a source of cheap labour for people coming in to the Metropolitan State. That is what they are trying to repeat in Israel with the so-called two-state solution. It is not the end of Israeli apartheid; what they think of as a two-state solution in which Palestine is a demilitarized, controlled puppet state: that is the entrenchment of Israeli apartheid, not the end of Israeli apartheid. You cannot have a two-state solution where Palestinians are deprived of 85% of their land and only have 15% of the land, where they are under control, where they are cut off from sources of natural resources and where their lands are not contiguous. It is a nonsense. There is only one solution to this question in the Middle East and that is a single, independent state of Palestine covering all the lands of Palestine and Israel, which is democratic, and secular, and blind to race and ethnicity: that is the answer we must support.
En français :
L'idée selon laquelle toute action militaire des Palestiniens relève du terrorisme, tout comme la délégitimation de l'autodéfense des Palestiniens, est fondamentale pour le déni de la souveraineté palestinienne, et je vais un peu aborder l’idée de la solution à deux États dont Biden et Netanyahou ont discuté il y a deux jours. Netanyahou avait exclu cette possibilité, mais Biden lui a fait accepter qu'il existe une chose possible appelée une solution à deux États où la Palestine n’aurait ni militaires ni armée ni souveraineté. Cette solution n’est pas envisageable. Cette idée ne tient pas la route. Ceux qui la prônent n’y croient vraiment pas. Ils cherchent à établir un système similaire à celui de l’apartheid en Afrique du Sud, avec l’idée des soi-disant « terres natales » (homelands, bantoustans). Si vous vous souvenez bien, le Botswana a été déclaré « terre natale » indépendante, et ce sont des États fantoches sans armée, ni politique étrangère indépendante, ni contrôle sur leurs propres frontières ou populations, et qui sont utilisés simplement pour priver, dans ce cas, la population noire du droit de vote et fournir une main-d'œuvre bon marché aux gens arrivant dans l'État métropolitain. C’est ce qu’ils tentent de répéter en Israël avec la soi-disant solution à deux États. Ce n’est pas la fin de l’apartheid israélien ; ce qu’ils considèrent comme une solution à deux États, dans laquelle la Palestine serait un État fantoche démilitarisé et contrôlé, c’est le renforcement de l’apartheid israélien, et non la fin de l’apartheid israélien. Vous ne pouvez pas avoir une solution à deux États où les Palestiniens seraient privés de 85 % de leurs terres et n’en auraient que 15 %, où ils seraient sous contrôle, où ils seraient coupés des sources des ressources naturelles et où leurs terres ne seraient pas contiguës. C'est une absurdité. Il n'y a qu'une seule solution à cette question au Moyen-Orient et c'est un État de Palestine unique et indépendant couvrant toutes les terres de Palestine et d'Israël, qui soit démocratique, laïc et aveugle à la race et à l'appartenance ethnique : voilà la réponse que nous devons soutenir !
Voici la vidéo intégrale des 16 minutes de son intervention, très informative et en plein dans le mille, sous-titrée en français par Investig'action :