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mardi 6 avril 2021

Michèle Audin et sa Commune de Paris - et celle de Guillemin et celle de Meyssan

(Billet en construction) 

La Commune de Paris a 150 ans.

La Commune de 1871

C'est le nom qu'on attribue généralement au gouvernement révolutionnaire français établi par le peuple de Paris à la fin de la guerre franco-prussienne (1870-1871). L'échec de la bataille de Sedan scelle la défaite française et le 1er septembre 1870, l'empereur Napoléon III se rend aux prussiens. Deux jours plus tard, les républicains de Paris se saisissent du pouvoir et proclament la 3ème République, reprenant la guerre contre la Prusse.
En janvier 1871, les français capitulent après un siège de Paris qui dure plus de 4 mois. Les termes de l'armistice signé en février prévoient la tenue d'un vote de l'Assemblée Nationale sur l'éventualité de conclure une paix avec les prussiens. La majorité des députés - des royalistes qui veulent restaurer la monarchie - sont partisans de l'approbation des conditions de paix imposées par le premier ministre de Prusse, Otto von Bismarck. Les républicains radicaux et les socialistes toutefois, refusant d'accepter les conditions d'une paix qu'ils ressentent comme une humiliation, sont en faveur de la poursuite du conflit.
Les 17 et 18 mars, la population parisienne se soulève contre le gouvernement national qui est contraint de fuir la capitale pour venir s'installer à Versailles. A Paris, les radicaux installent un gouvernement "prolétaire" qu'ils nomment Comité Central de la Garde Nationale et fixent la date du 26 mars pour la tenue d'élections au Conseil Municipal. C'est sous le nom de "Commune de 1871" que ce Conseil et ses membres, "les communards", jouiront de leur plus grande notoriété. Un grand nombre de ces "communards" sont des disciples de Louis Auguste Blanqui, révolutionnaire détenu à Versailles sur instruction du chef de l'Assemblée Nationale, Adolphe Thiers. D'autres se réclament de divers courants de l'école socialiste, notamment les disciples de Pierre Joseph Proudhon et les membres de l'Association Internationale des Travailleurs dont Karl Marx est à l'époque le secrétaire correspondant.
La Commune promulgue un grand nombre de mesures en faveur des ouvriers, mais ne vivra pas assez longtemps pour que celles-ci puissent entrer en vigueur. En effet, le gouvernement de Thiers est décidé à étouffer l'insurrection par la force. (...)

Extrait du site du Rebond pour la Commune.

Chronologie
de l’histoire de la Commune, par Michèle Audin.

 

Michèle Audin (Alger, 1954) est une mathématicienne française dont les recherches concernent la topologie algébrique et la géométrie symplectique. Audin, Alger... oui, en effet, elle est la fille du mathématicien Maurice Audin, un mort (sous la torture) par la France.

Elle est aussi écrivaine, et oulipienne, et une connaisseuse majeure de la Commune : une référence essentielle en la matière. Elle dispose d'un blog incomparable et incontournable —touffu et détaillé comme tout— à son égard : Ma Commune de Paris. N'hésitez pas à y accéder, il est passionnant.

Autrice de cinq ouvrages sur le sujet, parus de 2017 à 2021, Michèle Audin vient justement d'en publier le cinquième...


La Semaine sanglante 

Mai 1871, légendes et comptes.

« Il ne s’agit pas de se jeter des crimes et des cadavres à la tête, mais de considérer ces êtres humains avec respect, de ne pas les laisser disparaître encore une fois. »

La guerre menée par le gouvernement versaillais de Thiers contre la Commune de Paris s’est conclue par les massacres de la « Semaine sanglante », du 21 au 28 mai.
Cet événement a été peu étudié depuis les livres de Maxime Du Camp (1879) et Camille Pelletan (1880).
Des sources, largement inexploitées jusqu’ici, permettent de découvrir ou de préciser les faits.
Les archives des cimetières, que Du Camp a tronquées et que Pelletan n’a pas pu consulter, celles de l’armée, de la police, des pompes funèbres permettent de rectifier quelques décomptes : dans les cimetières parisiens et pour la seule Semaine sanglante, on a inhumé plus de 10 000 corps. Auxquels il faut ajouter ceux qui ont été inhumés dans les cimetières de banlieue, qui ont brûlé dans les casemates des fortifications, et dont le décompte ne sera jamais connu, et ceux qui sont restés sous les pavés parisiens, exhumés jusqu’en 1920…

Avec cette étude implacable, Michèle Audin, grande connaisseuse de la Commune de Paris, autrice de Josée Meunier 19, rue des Juifs (Gallimard) et Eugène Varlin, ouvrier-relieur (Libertalia), rouvre un dossier brûlant.

264 pages — 10 €
Parution : 4 mars 2021
ISBN physique : 9782377291762
ISBN numérique : 9782377291779

De la même autrice
aux éditions Libertalia

 

Le , sous le titre Lieux communs sur la Commune, Mathieu Dejean (site de Là-bas si j'y suis) nous propose un entretien de 44' avec elle. Dans sa présentation, il souligne justement que, dans ce bouquin, Michèle Audin met au jour les falsifications versaillaises pour masquer le massacre des insurgés [après avoir tout fait pour tuer le plus possible de communards], et dissipe des légendes abondamment relayées par l'Histoire officielle qui —soit dit en passant— a toujours préféré commémorer des personnages comme Napoléon, fabrique d'un imaginaire collectif oblige. Ce n'est pas par accident que la colonne Napoléon, place Vendôme, fut déboulonnée par les communards, avec la participation du peintre Gustave Courbet, le 16 mai 1871. Sa démolition s'imposait...

« La Commune de Paris, considérant que la colonne impériale de la place Vendôme est un monument de barbarie, un symbole de force brute et de fausse gloire, une affirmation du militarisme, une négation du droit international, une insulte permanente des vainqueurs aux vaincus, un attentat perpétuel à l’un des trois grands principes de la République française, la fraternité, décrète : article unique - La colonne Vendôme sera démolie.
(Décret du 13 avril 1781).

Et ce n'est pas non plus par hasard que, l'ordre rétabli, concrètement quatre ans plus tard, la colonne serait reconstruite sur ordre du maréchal royaliste et président de la Troisième République Patrice de Mac Mahon, comte de Mac Mahon et 1er duc de Magenta. Monuments et piédestaux sont le marbre des mythes et des splendeurs imaginaires qui doivent glorifier les noms des assassins et peupler l'imaginaire du peuple. Mêmes buts que les noms des rues, les livres d'Histoire, les pages de la presse libre et plurielle, les JT et j'en passe.

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— D'autres billets Candide sur la Commune :

Rétrospective Peter Watkins à Paris (2.12.2010).
Ce billet contient le film La Commune, de Peter Atkins, en deux vidéos, et un entretien avec le réalisateur enregistré en 2001.

Charonne, le 8 février 1962... et la Commune de Pignon-Ernest (lundi 8 février 2021)


— Site des Ami.e.s de la Commune de Paris 1871. Bibliographie non exhaustive.

FranceArchives.

— Sur le site de la TSR ou sur le site des Mutins de Pangée... (je vous mélange leurs infos/contenus et mes remarques) :


La Commune, par Henri Guillemin

La Commune, par Henri Guillemin par lesmutins.org sur Vimeo.
Avec la précision d’un horloger helvète, Henri Guillemin décortique la trahison des élites, la bassesse des bien-pensants, la servilité des "honnêtes gens", la veulerie des dominants tout autant que les raisons qui entraînèrent le Peuple de Paris à la faillite.

Il faut rendre aussi hommage à Henri Guillemin (Mâcon, 1903-Neuchâtel, 1992), historien incisif, hétérodoxe, passionnel et pamphlétaire, spécialiste du XIXe siècle et critique littéraire. C'était un grand contempteur et démystificateur de « l’histoire bien-pensante », grand moteur de sa révision de l'Histoire, et il faut saluer concrètement son effort de précision et de divulgation à l'égard de la Commune, qu'il exposa talentueusement, à partir de son « Salut ! » de démarrage, dans la sobriété monacale d'un studio de la Télévision Suisse Romande, en 1971, centenaire de cette épouvantable tragédie. Il était banni des télévisions française et belge, mais il put heureusement s'épanouir sur la TSR, où il disposa, entre autres émissions, des Dossiers de l'Histoire, séries de conférences sur des sujets historiques ou littéraires.

Le 21 novembre 2018, Les Mutins de Pangée lancèrent un très soigné coffret réunissant en trois DVD les 13 leçons sur La Commune de ce superbe conteur-historien, et son bouquin Réflexions sur la Commune, publié pour la première fois par Gallimard, dans la collection La Suite des temps, en 1971. Une seconde édition à l'identique était parue aux Éd. d'Utovie en 2001, qui coéditent cette 3e édition (corrigée et enrichie) avec Les Mutins.
Ce livre de 240 pages inclut également des dessins de Jacques Tardi tirés des 4 volumes de sa saga Le Cri du peuple (Éd. Casterman, premières édition de 2001, 2002, 2003 et 2004 respectivement), adaptation du roman homonyme de Jean Vautrin (Grasset 1999), qui avait à son tour emprunté le titre au journal éponyme fondé par Jules Vallès, avec des collaborateurs comme Jean-Baptiste Clément ou le proudhonien Pierre Denis, et paru pour la première fois le 22 février 1871.


Le premier des trois DVD offre en prime deux compléments. D'abord, la vidéo Henri Guillemin, par Patrick Berthier (17' - Les Mutins, 2018) ; puis Si on avait su (13', ISKRA, 1973), court-métrage d'animation de Stanislas Choko.

Henri Guillemin déroula son plan de révision de l'histoire de la Commune en 13 volets, proposés à la télévision du 17 avril au 30 octobre 1971. Il expliqua qu'il convenait d'abord de remonter à la Révolution française pour comprendre cette histoire atroce. Ces 13 séquences étaient, donc, dans l'ordre : La Révolution française - Qui est Thiers ? - La Guerre de 1870 - Le siège de Paris - L’avant-Commune - À Versailles - Ambiance à Paris (capitale assiégée) - Des gens scrupuleux (Les gens de la Commune) - La vrai France en action - À l’attaque de Paris - Le moment de vérité (La victoire des "honnêtes gens") - Le fond des choses - Lendemains.

"Ce qui m’émeut, dans la Commune, ce qui m’attachera toujours à elle, c’est qu’on y a vu des gens, à la Delescluze, à la Rossel, à la Vallès, à la Varlin (celui-là surtout, quelle haute figure, bouleversante), des hommes qui ne "jouaient" pas, qui risquaient tout, et le sachant, des courageux, des immolés. Parce qu’ils avaient une certaine idée du Bien et qu’ils y vouaient leur existence même."
Henri Guillemin, Journal de Genève, 22 avril 1965

IMAGES À TÉLÉCHARGER



— Site d'ARTE : la chaîne franco-allemande nous propose un film d'animation très récent et prodigieux...

Les Damnés de la Commune, réalisé par Raphaël Meyssan —enfant de Belleville et complice de Michèle Audin : J’avoue me sentir très proche, non des moyens graphiques utilisés, bien sûr, mais de la façon qu’a Raphaël d’aborder l’histoire, celle de « ceux qui n’étaient rien », a-t-elle écrit.
Sorti en 2019, d
isponible en ligne sur ARTE du 16/03/2021 au 19/08/2021, ce documentaire dure 88'.
Le 23 mars, Alain Constant a écrit dans Le Monde :

(...) En utilisant uniquement des gravures d’époque, mais animées grâce à des effets bluffants, jouant notamment sur la profondeur (les oiseaux volent, la neige tombe, les obus explosent, les flammes dansent…), le graphiste Raphaël Meyssan, accompagné par le scénariste Marc Herpoux, les monteurs du studio d’animation Miyu et les compositeurs Yan Volsy et Pierre Caillet, met en scène un formidable rendez-vous avec l’histoire de la Commune de Paris, si rarement exposée sur les écrans.

Auteur d’une BD ambitieuse intitulée Les Damnés de la Commune (Delcourt, 2017-2019) – trois gros tomes retraçant, à l’aide d’images d’archives, l’histoire aussi brève que sanglante des événements survenus à Paris entre fin mars et mai 1871 –, Raphaël Meyssan a travaillé de longues années pour amasser des milliers de documents d’époque. (...)

Pour adapter 500 pages à l’écran, il fallait faire des choix. La bonne idée de l’auteur est d’avoir choisi Victorine Brocher comme fil rouge de son premier long-métrage, l’un des personnages importants de sa BD et dont les Mémoires, Souvenirs d’une morte vivante, l’avaient bouleversé, dit-il. Cette mère de famille « au destin exceptionnel » s’engagera avec fougue dans la Commune de Paris, y perdra son très jeune fils puis son mari, mort au combat. Intégrant le bataillon Les Enfants perdus, échappant de peu au massacre, Victorine s’exilera en Suisse, où elle adoptera des orphelins du mouvement communard avant son retour en France, après l’amnistie de 1880.

La force de ce documentaire tient aussi aux soins apportés par l’équipe technique aux bruitages et à une bande-son (trompettes, violons) de qualité. Sans oublier un casting vocal de haute volée : tout au long du film, les voix de Yolande Moreau (Victorine) et de Simon Abkarian (le narrateur) prennent aux tripes.

A ces deux voix puissantes et parfaitement calibrées s’ajoutent celles de Mathieu Amalric (Adolphe Thiers), Fanny Ardant (la mère de Victorine), Charles Berling (Gustave Courbet), Sandrine Bonnaire (Louise Michel), Denis Podalydès (Georges Clemenceau), André Dussolier (le sauveur de Victorine) ou Jacques Weber (Victor Hugo), pour ne citer que les artistes les plus connus. (...)

La BD Les Damnés de la Commune, projet avant-coureur du film, est composée de trois tomes (Éd. Delcourt 2017-19) : À la recherche de Lavalette (8.11.2017), Ceux qui n'étaient rien (13.03.2019) et Les orphelins de l'histoire (6.11.2019). Toute la presse a plané et salué en chœur la prouesse de son délire.

Les yeux toujours pétillants de pure joie, Raphaël Meyssan explique ici d'une manière très détaillée sa démarche, d'abord pour la confection de son fascinant roman graphique, ensuite pour la réalisation d'un film pas comme les autres.

Le film démarre en 1867, lorsque l'Exposition universelle de Paris vient de fermer ses portes (le 3 novembre). Paris devient un paradis... pour les riches. Mais les loyers augmentent et les pauvres se voient repoussés vers la périphérie : ils s'entassent dans les faubourgs...
Comme l'explique Alain Constant un peu plus haut, la perspective et la voix narratrice de cette construction historique découlent des souvenirs publiés à Lausanne en 1909 par
Victorine Brocher (1839-1921), une énorme petite communarde (mesurant 1,52 m de taille) qui avait tout perdu sauf la vie. C'est la comédienne et réalisatrice bruxelloise Yolande Moreau qui lui prête sa voix sur les gravures et les dessins. Elle se présente ainsi dans le film :

« Je m’appelle Victorine et j’ai grandi dans la nuit du Second Empire. Depuis mes 14 ans, j’ai fait de nombreux métiers : j’ai été crieuse de journaux, porteuse de pain, marchande de soupe, lavandière, couturière... Je travaille 12 à 14 heures par jour pour un salaire dérisoire. J’habite au pied de la butte Montmartre avec mon mari. C’est un ancien soldat. Je ne peux compter que sur moi-même. »

Elle sera cantinière, puis ambulancière des Enfants perdus, un bataillon de fédérés...



(...) Raphaël Meyssan a adapté les trois tomes de son roman graphique éponyme, pour lequel il avait collecté des centaines de gravures dans les journaux et les livres de l’époque. De cette patiente quête d’archives − huit ans de recherches −, le graphiste et réalisateur tire un film unique, à l’esthétique et au dispositif étonnants. La caméra plonge au cœur de ces dessins magnifiques, émouvants et subtilement animés, puis zoome, scrute et caresse pour restituer cette tragique épopée dans le moindre de ses détails en une fresque prodigieuse. À mi-chemin entre Les misérables de Victor Hugo et les bandes dessinées documentaires de Joe Sacco, Raphaël Meyssan compose, en incluant le récit de Victorine, une jeune révoltée, une narration limpide qui parvient, à destination de tous les publics, à rendre fluide le chaos de la Commune. Une réussite. 

— France Culture : Thème - La Commune de Paris

— France Inter (le 18.03.2021) :  Laure Godineau et Quentin Deluermoz (Faut-il célébrer les 150 ans de la Commune ?). L'Histoire de la Commune en 6 minutes, sur ARTE, par Laure Godineau.

— Contretemps (revue de critique communiste) : La Commune au jour le jour, par l'historien Patrick Le Moal.
À l’occasion des 150 ans de la Commune de Paris, Contretemps publie du 18 mars au 4 juin une lettre quotidienne rédigée par Patrick Le Moal, donnant à voir ce que fut la Commune au jour le jour.

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Jean Ferrat : La Commune (1971)



mardi 29 septembre 2020

Juliette Gréco ne croyait pas à la mort et pourtant...

En effet, on dirait qu'elle est toujours là, on peut l'entendre, on l'entend très volontiers, voix et présence, présence et voix. Oui, faites-vous plaisir et ne ratez surtout pas ce podcast (accessible sur le site actuel de Là-bas si j'y suis) —on dirait de l'au-delà, tellement les temps sont à l'opprobre—, voix, sens, échos et musique.

Au milieu des années 1980, les auditeurs retrouvaient Daniel Mermet sur une station de radio publique, France Inter, du lundi au vendredi —en 1983-1984 entre 14h45 et 15h— avec son émission « Si par hasard au piano-bar ». Cet entretien avec Gréco eut lieu en 1984, quand les libéraux n'étaient pas encore omnipotents et que l'on pouvait encore discuter dans les média ; les gens n'étaient pas forcément frappés d'écholalie, les formules et leurs tendances n'avaient pas encore enseveli la musique et la chanson, la radio était une compagnie incontournable... Un pur régal. Merci Mermet (et ses pairs).


JULIETTE GRÉCO dans l’émission de Daniel Mermet « Si par hasard au piano bar » (1984) [PODCAST : 59’20]

« À part chanter, que faites-vous dans la vie ? » « L’amour. »

Là-bas, si j’y suis. Le

(...)

En 1984, sur France Inter, j’étais à la recherche de mon père, Charlie, musicien volage et baroudeur. Il était quelque part, mais où ? Et qui était-il au juste ? L’émission s’intitulait « Si par hasard au piano bar », réalisée par l’excellent Gilles Davidas. Chaque jour, un invité, artiste ou voyageur, venait me parler de Charlie, mon père. Juliette Gréco l’avait rencontré au temps de Saint-Germain-des-Prés. Une occasion de parler de lui (un peu) et d’elle (surtout) qui avait fait de sa vie un roman. Trente six ans après nous avons retrouvé cette émission dans les archives. Voici la preuve que la mort n’effacera jamais sur le sable les pas des amoureuses insoumises.

Daniel Mermet

 

Elle est toujours là, mais en même temps, les journaux signalent que Juliette Gréco est décédée ce dernier mercredi 23 septembre, à 93 ans.
À cette occasion, de mémoire, L'INA se rappelle son interprétation de "Si tu t'imagines", chanson de Queneau/Kosma. Et combien je déteste l’usage profane de ce mot de muse (lire ci-dessous) appliqué à une souveraine de la liberté, de la vie et des inflexions bouleversantes...

 

Juliette Gréco s'est éteinte ce mercredi à l'âge de 93 ans. La chanteuse a interprété de nombreux poètes dont Raymond Queneau et son célèbre poème "Si tu t'imagines".

Le 13 juillet 1962, dans l'émission Gros plan, Juliette Gréco interprétait Si tu t'imagines, un poème de Raymond Queneau sur l'impermanence de la jeunesse, mis en musique par Joseph Kosma et créé par Juliette Gréco en 1947 sur les conseils Jean-Paul Sartre.

greco1-620

Ce texte, à l'instar du "carpe diem" latin appelle à profiter de la jeunesse, qui comme les roses, ne dure qu'un instant. Queneau s'amuse dans ces strophes par une liberté de ton et d'écriture. Cette liberté si chère à la muse de Saint-Germain-des-Prés et qu'elle contribuera largement à diffuser à travers son répertoire.

Si tu t'imagines, si tu t'imagines, fillette fillette,
Si tu t'imagines xa va xa va xa va durer toujours
La saison des za saison des za saison des amours
Ce que tu te goures, fillette fillette, ce que tu te goures.
Si tu crois, petite, si tu crois ah ah que ton teint de rose
Ta taille de guêpe, tes mignons biceps, tes ongles d'émail
Ta cuisse de nymphe et ton pied léger.
Si tu crois xa va xa va xa va durer toujours
Ce que tu te goures, fillette fillette, ce que tu te goures

Les beaux jours s'en vont, les beaux jours de fête
Soleils et planètes tournent tous en rond
Mais, toi, ma petite, tu marches tout droit
Vers c’que tu vois pas ; très sournois s'approchent
La ride véloce, la pesante graisse, le menton triplé
Le muscle avachi... Allons, cueille cueille, les roses les roses
Roses de la vie et que leurs pétales soient la mer étale
De tous les bonheurs, de tous les bonheurs.
Allons, cueille cueille, si tu le fais pas

Ce que tu te goures, fillette fillette, ce que tu te goures


Dans un entretien avec Grégoire Leménager —publié par Le Nouvel Observateur (nº 2451, le 27 octobre 2011)—, Michelle Vian, première femme de Boris Vian, livrait des souvenirs du Saint-Germain-des-Prés du temps des zazous, ces jeunes oiseaux de nuit, élégants et pétulants, qui adoraient les livres et le jazz...

Saint-Germain-des-Prés

« On a fait Saint-Germain en y important le jazz. Comme il y avait des gens très intelligents qui fréquentaient le café de Flore, les Deux-Magots et Lipp, c’était un carrefour formidable. Boris et moi y allions pour retrouver l’équipe des «Temps Modernes», Sartre et les autres.
Quand on voulait du jazz, on allait au Lorientais l’après-midi, puis on continuait au Tabou. Je surveillais les entrées avec Anne-Marie Cazalis et Juliette Gréco, nous étions les psychologues de service. Les types qui ne nous plaisaient pas, on leur disait «Vous n’entrez pas». Mais on laissait entrer des types qui n’avaient pas un rond quand ils étaient intéressants, c’est-à-dire quand ils avaient un livre sous le bras: on exigeait des livres. Les étrangers aussi, on les acceptait. A condition qu’ils soient un peu littéraires. C’est comme ça que le Tabou s’est formé, peu à peu. C’était ouvert et c’était fermé. On ne laissait pas entrer n’importe qui, et en même temps, les gens qui entraient étaient n’importe qui. Je crois qu’on y voyait les types sympas.
C’étaient Anne-Marie Cazalis et Juliette Gréco qui avaient trouvé, rue Dauphine, ce café qui fermait très tard parce qu’il était fréquenté par les types des Messageries. Gréco avait eu l’idée de demander leur cave. Il n’y avait pas de salle pour les zazous, c’est pour ça qu’ils sont allés dans les caves. Ce n’est pas seulement à cause du bruit, c’est parce qu’il n’y avait rien. Les types ont dit d’accord. Il a fallu enlever le charbon, c’était humide, dégueulasse. Cazalis et Gréco ont entraîné là ceux qui, les premiers, ont fait le Tabou ; c’est-à-dire Merleau-Ponty et Queneau. »



samedi 22 août 2020

Grandes traversées : Frantz Fanon, l'indocile

(...) Seule une interprétation psychanalitique du
problème noir peut révéler les anomalies affectives
responsables de l'édifice complexuel. Nous travaillons
à une lyse totale de cet univers morbide. Nous
estimons qu'un individu doit tendre à assumer
l'universalisme inhérent à la condition humaine. 

Frantz Fanon
(extrait de l'introduction de Peau noire, masques blancs)

 

Heureux qui comme moi jouissent de bons amis, comme J., au flair aigu, qui me filent leurs tuyaux. J'apprends donc, grâce à un vieux copain, qu'on peut écouter, encore sur France Culture, une série documentaire —produite par la chercheuse en Sciences Humaines Anaïs Kien, réalisée par Séverine Cassar— sur le très grand Frantz Fanon (1925-1961), éminent psychiatre martiniquais, résistant anticolonial actif (membre du FLN algérien) et analytique, essayiste subversif pourfendeur des théories et des pratiques raciales-suprémacistes (expliquant les complexes et de supériorité et d'infériorité), et auteur notamment de Peau noire, masques blancs (Seuil, 1952) et Les Damnés de la terre (Éd. François Maspero, 1961). Il est enterré à Aïn Kerma (Algérie) conformément à ses dernières volontés.

Son engagement algérien était un engagement anticolonial. Grâce à Sara Boumghar (Libération, 12/07/2019), je découvre aujourd'hui un extrait qui définit très bien l'homme et ses positions :

Dans sa lettre de démission de l’hôpital de Blida, où il exerçait comme psychiatre, adressée en 1956 à Robert Lacoste, alors gouverneur de l’Algérie, lui vaut par ailleurs un arrêté d’expulsion du territoire algérien, daté de 1957. Cette lettre, dans laquelle il critique vivement la colonisation française en Algérie, est disponible intégralement dans son recueil d’essais Pour la révolution africaine, dont voici un extrait :

«Mais que sont l’enthousiasme et le souci de l’homme si journellement la réalité est tissée de mensonges, de lâchetés, du mépris de l’homme. Que sont les intentions si leur incarnation est rendue impossible par l’indigence du cœur, la stérilité de l’esprit, la haine des autochtones de ce pays ? La Folie est l’un des moyens qu’a l’homme de perdre sa liberté. Et je puis dire que placé à cette intersection, j’ai mesuré avec effroi l’ampleur de l’aliénation des habitants de ce pays. Si la psychiatrie est la technique médicale qui se propose de permettre à l’homme de ne plus se sentir étranger à son environnement, je me dois d’affirmer que l’Arabe, aliéné permanent dans son pays, vit dans un état de dépersonnalisation absolue.»

Le 30/07/2016, une autre émission de France Culture, Une vie, une œuvre, menée par Perrine Kervran, s'était déjà penchée sur l'œuvre et l'influence de l'insoumis martiniquais : Frantz Fanon, "L'homme qui interroge" (1925-1961), 59 minutes.

La série d'Anaïs Kien comporte 5 épisodes de 109 minutes. Elle permet d'écouter les témoignages, explications et remarques d'une trentaine d’intervenants :

Grandes traversées : Frantz Fanon, l'indocile

DU 17 AU 21 AOÛT 2020 DE 9H05 À 11H
 
Emblème de la lutte anticoloniale à travers son engagement dans la guerre d’Algérie aux côtés du FLN, il a marqué de son empreinte la fin des empires coloniaux et sa pensée révolutionnaire inspire de nombreux combats, des Black Panthers aux Palestiniens, en passant par les militants anti-apartheid.

Engagé politique et soignant, Frantz Fanon est né aux Antilles françaises dans l’entre-deux guerres. Il est devenu l’emblème de la lutte anticoloniale à travers son engagement dans la guerre d’Algérie aux côtés du FLN et grâce à son travail psychiatrique sur l’aliénation coloniale dans ses principaux ouvrages : Peau noire, masques blancs et Les Damnés de la terre. Mort en 1961 à 36 ans, quelques mois à peine avant l’indépendance algérienne, il a marqué de son empreinte la fin des empires coloniaux et sa pensée révolutionnaire inspire de nombreux combats, des Black Panthers aux Palestiniens, en passant par les militants anti-apartheid d’Afrique du Sud. 

Gaël Faye, lauréat du prix du roman des étudiants France Culture - Télérama 2016, lit les textes de Frantz Fanon. 

Après des recherches universitaires sur l'histoire de la liberté d’expression et l’invention des médias libres, Anaïs Kien intègre l’équipe de l’émission d’Emmanuel Laurentin La Fabrique de l’histoire en 2005 où elle signe plus d’une centaine de documentaires et co-anime les débats. A la rentrée 2019, elle accompagne la création de la nouvelle émission quotidienne d’histoire de France Culture Le Cours de l’Histoire où elle propose chaque jour une chronique Le Journal de l’Histoire. A l'été 2020, elle conçoit la Grande traversée consacrée à Frantz Fanon.

VOLETS de cette série :

1) Frantz Fanon : la violence en héritage ?
Comment Fanon est-il devenu le défenseur de la violence politique ? Peu avant sa mort, il rencontre Sartre et passe trois jours à Rome sans presque dormir, qui aboutissent à la préface par le philosophe des "Damnés de la terre". Livre référence pour tous les peuples en quête d’émancipation.

2) Frantz Fanon et les Antilles, la matrice d'un regard sur les sociétés coloniales.
Frantz Fanon a fait de son pays natal, la Martinique, son premier champ d’exploration de l’aliénation des peuples colonisés et des colonisateurs. S’il est oublié après son départ, les premiers mouvements nationalistes convoquent ses écrits pour penser la place des Antilles françaises.

3) Frantz Fanon, l'expérience vécue du racisme colonial sur le front de la Deuxième Guerre mondiale.
Frantz Fanon s’engage bien avant l’âge requis pour défendre la France Libre face au nazisme. Blessé et décoré, il en revient choqué et transformé après avoir fait l’expérience du racisme colonial. Une rupture matricielle qui l’amène à s’attaquer à la déconstruction de la fabrique du colonialisme.

4) La psychiatrie, une arme de combat pour dépasser la race. Frantz Fanon de Lyon à Blida en passant par Saint Alban.
Si Fanon est considéré comme un penseur politique de la domination coloniale, il est avant tout psychiatre. C’est avec ses yeux de soignant qu’il aborde la situation des relations interraciales aussi bien aux Antilles, en France qu’en Algérie pendant sa guerre de libération. 

5) Frantz Fanon au combat, un psychiatre dans la guerre d'Algérie.
En 1956, Fanon s’engage dans sa deuxième guerre. Cette fois-ci, ce n’est plus pour défendre les valeurs républicaines françaises face au fascisme mais contre l’ordre colonial de son empire sur le territoire où s’écrit la forme la plus violente de la colonisation et de sa contestation : l’Algérie.


Cette série de France Culture sur Frantz Fanon s'inscrit dans un groupe d'émissions à but mémoriel proposées par la station publique française. Céline Leclère l'explique :

Dans la nuit du 22 août 1791 commence à Saint-Domingue (aujourd'hui Haïti et République dominicaine) une violente insurrection d'esclaves qui va être le point de départ de l'abolition de la traite négrière outre-Atlantique. Depuis 1998, et en référence à cet événement, la date du 23 août a été retenue pour la Journée internationale du souvenir de la traite négrière et de son abolition. Une histoire et une mémoire qui s'expriment cette semaine sur France Culture portées par différentes voix. C'est d'abord Frantz Fanon qui a fait de sa Martinique natale son premier terrain d'observation des processus d’aliénation à l'oeuvre dans les sociétés coloniales. Puis le documentariste autrichien Hubert Sauper qui est allé filmer les enfants de La Havane, qui fut l'un des plus importants ports de la traite des esclaves. Avec Epicentro, le documentariste autrichien décèle à Cuba les traces toujours vives de la première des manifestations de l'impérialisme occidental. Enfin, c'est le duo électro Drexciya, issu de la scène techno de Detroit qui invente, dans les années 1990 et à grands renforts de synthétiseurs, une variation inattendue à partir de cette histoire : une Atlantide bâtie sous l'océan par des esclaves africains. Bonnes écoutes, et à la semaine prochaine !

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Mis à jour du 22 septembre 2020 :

Frantz Fanon

Frédéric CIRIEZ, Romain LAMY

Le nom de Frantz Fanon (1925-1961), écrivain, psychiatre et penseur révolutionnaire martiniquais, est indissociable de la guerre d’indépendance algérienne et des luttes anticoloniales du XXe siècle. Mais qui était vraiment cet homme au destin fulgurant ?
Nous le découvrons ici à Rome, en août 1961, lors de sa légendaire et mystérieuse rencontre avec Jean-Paul Sartre, qui a accepté de préfacer Les Damnés de la terre, son explosif essai à valeur de manifeste anticolonialiste. Ces trois jours sont d’une intensité dramatique toute particulière : alors que les pays africains accèdent souvent douloureusement à l’indépendance et que se joue le sort de l’Algérie, Fanon, gravement malade, raconte sa vie et ses combats, déplie ses idées, porte la contradiction au célèbre philosophe, accompagné de Simone de Beauvoir et de Claude Lanzmann. Fanon et Sartre, c’est la rencontre de deux géants, de deux mondes, de deux couleurs de peau, de deux formes d’engagement. Mais la vérité de l’un est-elle exactement celle de l’autre, sur fond d’amitié et de trahison possible ?
Ce roman graphique se donne à lire non seulement comme la biographie intellectuelle et politique de Frantz Fanon mais aussi comme une introduction originale à son œuvre, plus actuelle et décisive que jamais. 
SOURCE : La Découverte.

vendredi 21 août 2020

Bernard Stiegler nous rappelle toujours qu'on est (tr)oppressés

Il y a 5 jours, j'ai appris que le philosophe français Bernard Stiegler, né le 1er avril 1952 à Villebon-sur-Yvette (Essonne), venait de mourir à l'âge de 68 ans à Épineuil-le-Fleuriel, le jeudi 6 août 2020. Il est l'auteur d'États de choc : bêtise et savoir au XXIe siècle  (Mille et une nuits, 2012) et coauteur, avec Denis Kambouchner et Philippe Meirieu, de L'école, le numérique et la société qui vient (Mille et une nuits, 2012).

Je vois maintenant que —pendant que j'étais éloigné de la civilisation connectée et branchée— certains média ont rapporté son décès subit et ont glosé sa vie et sa pensée non conventionnelles, dont le quotidien suisse Le Temps, édité à Lausanne :

La mort, le jeudi 6 août, à l’âge de 68 ans, du philosophe français Bernard Stiegler a quelque chose de stupéfiant. C’est une mort que rien ne laissait présager aussi subite, tant il avait l’esprit jeune, avide de modernité, ivre de ses enthousiasmes. Atteint d’un mal qui l’avait beaucoup fait souffrir il y a quelques mois et dont il pressentait un retour inéluctable, il s’est donné la mort, non en dépressif, mais en philosophe, dit son ami Paul Jorion.

Personnage volubile, attentif, amical et irascible, il s’était ces vingt dernières années consacré à la réflexion sur l’emprise des technologies numériques sur nos vies et la société, après s’être imposé sur la scène intellectuelle française, dès le milieu des années 1980, puis avec sa thèse avec Jacques Derrida en 1993, comme un penseur majeur de la technique.

La mort a figé sa vie en roman. Sans bac, tenancier d’un bar à jazz à Toulouse, il a les finances difficiles. Qu’à cela ne tienne, il va régler cela lui-même en décidant d’aller braquer une banque. Ça marche, et il y prend goût. C’est le quatrième braquage à main armée qui lui sera fatal, et lui vaudra 5 ans de prison. C’est là que, grâce à un professeur de philosophie (Gérard Granel) qui l’avait pris en amitié dans son bar, il découvre les grands auteurs, qu’il dévore avec passion.

Dès sa sortie de prison, il ira à la rencontre de Jacques Derrida; il se fait remarquer, et sa carrière s’enclenche alors, insolite, hétérodoxe, multiforme mais pas incohérente: professeur de technologie à Compiègne, directeur adjoint de l’INA (Institut national de l’audiovisuel) de 1996 à 1999, fondateur de l’association Ars Industrialis depuis 2005, professeur en Chine, directeur d’un centre de recherche au Centre Pompidou depuis 2006, il voulait dans tous ces domaines combattre la bêtise culturelle que le marché imposait à tous.

(...)

France Culture revient sur son appel à s'approprier la technologie afin de pouvoir la transformer et nous propose la réécoute de cet entretien des Chemins de la philosophie, émission d'Adèle Van Reeth, diffusé le 11 juin 2020, où il questionne les enjeux des mutations de nos sociétés engendrées par le numérique. À propos du silence, Stiegler y expliquait :

Pendant des années, en prison, j’étais enfermé avec moi-même, je ne pratiquais que l’écriture. Un des aspects très importants pour moi de l’expérience carcérale c’est l’expérience du silence absolu. Ça m’est arrivé de rester silencieux pendant des mois, sans dire un mot. J’y ai découvert un phénomène qui, je crois, a peu été étudié par les philosophes, davantage par les religieux, et parfois par des philosophe religieux comme saint Augustin : l'expérience du silence dans lequel tout à coup, ça se met à parler.  

Le Monde le présentait ainsi dans un article du 7 août :

Condamné en 1978 pour plusieurs braquages de banques, il avait étudié la philosophie en prison. Penseur engagé à gauche, il prenait position contre les dérives libérales de la société.

Le quotidien parisien y évoquait :

De 1996 à 1999, il devient directeur général adjoint de l’Institut national de l’audiovisuel (INA), avant de prendre la direction de l’Institut de recherche et de coordination acoustique/musique (Ircam) en 2002. Il y reste jusqu’en 2006, quand il est nommé directeur du Développement culturel du Centre Pompidou. C’est au sein de cette institution qu’il fonde la même année l’Institut de recherche et d’innovation (IRI), chargé d’« anticiper, accompagner, et analyser les mutations des activités culturelles, scientifiques et économiques induites par les technologies numériques, et [de] développer de nouveaux dispositifs critiques contributifs ».

(...)

Dans un texte publié en avril dans Le Monde sur son expérience du confinement (en prison et durant la crise du Covid-19), Bernard Stiegler écrivait :

« Le confinement en cours devrait être l’occasion d’une réflexion de très grande ampleur sur la possibilité et la nécessité de changer nos vies. Cela devrait passer par ce que j’avais appelé, dans Mécréance et discrédit (Galilée, 2004), un otium du peuple. Ce devrait être l’occasion d’une revalorisation du silence, des rythmes que l’on se donne, plutôt qu’on ne s’y plie, d’une pratique très parcimonieuse et raisonnée des médias et de tout ce qui, survenant du dehors, distrait l’homme d’être un homme. »

Donc, il fut directeur général adjoint de l'INA et justement, le site de l'INA rend aussi son hommage à Bernard Stiegler et nous rappelle la diffusion en 2017-2018 d'une série pour le Web intitulée (Tr)oppressé, une initiative intéressante qui produisit 10 épisodes de 5-7 minutes environ :

01 – SOUS HAUTE TENSION
02 – CONSO, BOULOT, DODO
03 – TEMPS DE CERVEAU DISPONIBLE
04 – MOBILISATION GÉNÉRALE
05 – EN DIRECT, UNE RÉACTION ?
06 – ALGORITHMES ENDIABLÉS
07 – CERVEAU EN MODE AVION
08 – L’AMOUR EST DANS LE SWIPE
09 – TOUT POUR ÊTRE HEUREUX
10 – BASIQUE INSTINCT (C’EST L’INTUITION QUI COMPTE)

C'était une production signée en 2017 par Les Bons Clients pour ARTE et l'INA, réalisée par Adrien Pavillard et écrite en collaboration avec Emmanuelle Julien et Meriem Lay. Elle fut accessible sur Arte Créative à partir du 11 décembre 2017 et est toujours visionnable sur le site d'ARTE jusqu'au 30 novembre 2020. L'idée de (Tr)oppressé partait de la constatation et les questions suivantes :

« Et si désormais, être débordé, agité, speedé, overbooké, c’était ringard ? Sous pression en permanence, nous manquons tous de temps, nous courons partout avec le sentiment que nos vies nous échappent. La faute à qui ? En partie aux nouvelles technologies. N’avons-nous pas développé une addiction aux ordinateurs, smartphones, réseaux sociaux, applications et sites de rencontres ? Nos désirs sont brouillés par l’avalanche de sms, mails, notifications, informations et sollicitations publicitaires. Couplés aux objectifs de rentabilité, les algorithmes nous auraient transformés en machines à produire et à consommer. Mais au final, est-ce que tout ça nous rend plus heureux ? À vouloir être partout, tout faire, est ce que nous n’oublions pas l’essentiel ? Et le plaisir de vivre ? ».

Dans le chapitre nº 6 de cette websérie, consacré aux Algorithmes endiablés, Bernard Stiegler nous livrait ses pensées là-dessus. L'épisode était introduit ainsi :

C’est le chaos ! L’époque nous rend dingos ! Nous voilà pilotés par des algorithmes qui vont 4 millions de fois plus vite que nous. Plus personne ne les contrôle. Or, c’est sur eux que reposent la finance mondiale et son système spéculatif. Conséquence : de cadre à l’ouvrier, le savoir perd sa valeur et son sens. 

Et si nous remettions les algorithmes à notre service ? Leur objectif serait alors de nous apporter plus de bonheur. N’était-ce pas au fond l’utopie première de la modernité ?

 Le site de l'INA montre le volet et le résume (j'y mets du rouge) :

(...) Bernard Stiegler analysait la complexité technologique sans cesse grandissante ayant pour conséquence la prolétarisation de tous les métiers.

Prenant pour exemple la crise des subprimes de 2008 et la déclaration du président de la Réserve fédérale de l'époque, Alan Greenspan, de ne « pas tout comprendre » au mécanisme ayant amené l'effondrement de l'économie internationale, Bernard Stiegler démontre la « prolétarisation » de tous les acteurs de la société, du plus petit travailleur au « patron de la finance mondiale ».

Citant les écrits de Marx et Engels, pour qui « être prolétarisé, c'est perdre son savoir et se mettre à travailler pour un système qu'on ne comprend pas et qu'on ne peut pas changer », Bernard Stiegler alerte sur le danger que fait peser la technologie sur nos vies. Car cette frustration d'être dépossédé par la machine entraîne chez l'homme la « disruption », un panel de sentiments négatifs mêlant « chaos, angoisse et agressivité ».

Devant une telle accélération technologique, le philosophe estime que « nous approchons d'un moment où la bifurcation chaotique sera absolument incontrôlable ». D'où la nécessité de « sortir de ce modèle, de le repenser, de reconstituer des circuits courts », « non pas pour revenir en arrière ou rejeter [la technologie] », mais afin « d'utiliser les réseaux intelligemment ». Dans le but de mettre l'économie et la technologie au service de l'homme, et pas l'inverse comme jusqu'à présent : « Construire une économie mondiale qui soit solvable, durable, et qui fasse augmenter la néguentropie*, c'est-à-dire, le bonheur de vivre ». 

Parmi ses nombreuses implications universitaires au service de la recherche et de l'éducation, Bernard Stiegler avait notamment collaboré avec l'Institut national de l'audiovisuel.

Rédaction Ina le 07/08/2020 à 12:22. Dernière mise à jour le 10/08/2020 à 09:42.

Point de départ, ladite déclaration de l'inénarrable filou Alan Greenspan du 23 octobre 2008, auprès du Sénat étasunien, à propos de l'arnaque des subprimes et de la résistance des bâtiments, pardon, des liquidités virtuelles : 

Donc, le problème ici, c'est que ce qui semblait être un édifice très solide et un pilier essentiel de la concurrence de marché et des marchés libres, s'est effondré et, comme je l'ai dit, cela m'a choqué. Je ne comprends toujours pas tout à fait pourquoi c'est arrivé.

Selon Stiegler, cette déclaration voulait dire qu'il était prolétarisé au sens où Marx et Engels en 1848 avaient décrit la prolétarisation (cf. le résumé ci-dessus). Et il arrive qu'« aujourd'hui, on est pilotés [et traités] par des algorithmes**, y compris ceux qui veulent créer des algorithmes pour piloter des choses [qui] se retrouvent eux-mêmes pilotés par les algorithmes, y contrôlent plus rien ».

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* Néguentropie : anglicisme [neg(ative) entropy]. « Entropie* négative ; augmentation du potentiel énergétique » (© 2020 Dictionnaires Le Robert - Le Petit Robert de la langue française).

** Toutes nos données et activités sur le Net son traitées en permanence et en temps réel par des algorithmes qui font ce qu'on appelle du calcul intensif, qui sont capables de traiter des milliards de données simultanément, explique Stiegler.
Quant aux déboires des mathématiques en finance, cliquez ici et lisez notamment la note en bas de page pour accéder aux aveux (d'une candeur gonflée, si j'ose dire) de Nicole El Karoui.
Stiegler nous rappelle aussi, dans son intervention pour (Tr)oppressé, que « le modèle spéculatif qui avait craqué en 2008 a été reconfiguré en profondeur et en exploitant de plus en plus ce qu'on appelle les mathématiques financières utilisant les algorithmes, pour produire une nouvelle spéculativité, moins visible, plus complexe. [cf. encore Jean de Maillard et son ouvrage L'Arnaque] On a de plus en plus de mal à anticiper ce qui va se passer, on a l'impression qu'on est dans ce que les Punks depuis 1977 à Liverpool appellent NO FUTUR. » 

vendredi 3 avril 2020

Un Boléro de Ravel en confinement avec les musiciens de l'Orchestre National de France

L'après-midi du lundi 30 mars 2020, Radio France, à travers ses stations France Musique et France Inter, a mis en ligne une belle initiative musicale. Il s'agit d'une vidéo où une cinquantaine de musiciens de l'Orchestre National de France jouent à distance le Boléro de Maurice Ravel (1875-1937).
Chacun chez soi, avec sa partition, mais tous ensemble pour offrir l’œuvre du répertoire la plus diffusée dans le monde, ce Boléro de Ravel de confinement. Chaque musicien s’est enregistré dans son salon, le tout a été mixé et assemblé par les techniciens de Radio France.
Si l'ordre du jour est la distance, la musique semble capable de s'envoler et de nous rapprocher, et quoi de mieux que le Boléro envoutant de Ravel pour mettre du baume au cœur !

En espérant que ces quelques notes de Ravel, universelles, vous apporteront un peu de chaleur et de réconfort.

Crédits :
Les musiciens de l'Orchestre National de France
Arrangements - Didier Benetti
Réalisation - Dimitri Scapolan


Pour en découvrir davantage [Source : France Musique] :




Pour aller encore plus loin...

France Culture : Les paradis (fiscaux) des droits d'auteur du Boléro ou une saga très Offshore.

jeudi 23 janvier 2020

Journalisme et militance : Guillaume Meurice nous fait marrer

L’homme de Cour est sans contredit la production la plus curieuse
que montre l’espèce humaine. C’est un animal amphibie dans lequel
tous les contrastes se trouvent communément rassemblés. 
Un philosophe danois compare le courtisan à la statue composée de
matières très-différentes que Nabuchodonosor vit en songe. « La tête
du courtisan est, dit il, de verre, ses cheveux sont d’or, ses mains sont
de poix-résine, son corps est de plâtre, son cœur est moitié de fer et moitié
de boue, ses pieds sont de paille, et son sang est un composé d’eau et de vif-argent. » 
[facétie philosophique tirée des manuscrits de feu M. le baron d'Holbach
et insérée dans la Correspondance de Grimm (décembre 1790). Wikisource]


Merci Guillaume.
Humoriste et chroniqueur radio, il est surtout connu pour sa participation à l'émission Par Jupiter ! —présentée par Charline Vanhoenacker et Alex Vizorek, de 17 h à 18 h, sur France Inter, dans le pays de Jupiter—, où il propose sa chronique humoristique « Le Moment Meurice », composée de micro-trottoirs caustiques...

Le moment Meurice

Du lundi au vendredi à 17h30
par Guillaume Meurice : Micro en main, il escarmouche, il coupe, il feinte... et à la fin de l'envoi, il touche !

Lundi 20 janvier 2020

Journalistes ou militants ?

4 minutes



Après l'arrestation de Taha Bouhafs, Guillaume Meurice a voulu connaître cette fameuse différence entre journalistes et militants...  
« ... qu'on arrive pas à bien trouver en ce moment. Alors, il y a celle entre journaliste et paillasson qu'on a trouvée, puisque Laurent Delahousse [et ses coups de brosse à reluire de trop] était le chaînon manquant. On avait celle entre journaliste et proctologue, puisque les principales rédactions françaises ont offert à Carlos Ghosn un massage des hémorroïdes avec les papilles, donc ça, on est OK ; mais on a le cas Taha Bouhafs, qui a crée la polémique ce week-end en twittant que Macron était dans un théâtre (...) ».
C'est pourquoi Guillaume est descendu dans la rue afin de recueillir l'avis de certains militants qui tractent pour les municipales ces jours-ci : reconnaissons-le, un véritable Guettapens
C'est ainsi que notre chroniqueur décalé a découvert, entre autres, que Taha Bouhafs manque affreusement de process [franchement, la langue de la finance est non seulement un formidable bourrage de crâne, mais un symptôme qui ne ment pas] ou que cet individu, pardon que... ça [sic] doit être je ne sais pas quoi avec son nom, ça se voit... il s'appelle pas Durand... Bref, impossible qu'il soit de France. Euuhhhhhh... faute de mieux, Hasta la rigolade siempre !


P.-S.- Voici un exemple de contraste, homogène pitance, entre le journalisme de militance et le journalisme qui tance, à l'intention de ceux qui ignoreraient le sens des allusions aux petites éminences (à la surface des muqueuses) et tiendraient à repasser, voire sonder, les profondeurs de la démonstration de Guillaume :