jeudi 22 avril 2021

Sarah El Haïry récite sa leçon pour éviter de (trop) dire (car elle en dit assez)

La voilà, la solution : avec un choc de confiance, fini les idées suicidaires
(Samuel Gontier, 9/02/2021).

Il faut voir comme on nous parle. Comme on nous parle.
(Alain Souchon, Foule sentimentale, 1993).

Lo importante no es la gestión, sino la sugestión.
(El Roto, El País, 22/04/2021)

 

Ceci est un cours de novlangue générale
(pour apprendre le panache et sa syntaxe)
Panache
: « Brio et bravoure spectaculaires » (selon Le Robert)


Le journaliste HEC Hugo Travers dispose d’un moyen d’information et d’analyse à gros succès, dépassant largement le million d'abonnés, qui s’appelle Hugo Décrypte. L’actualité expliquée. Ce média est hébergé par la plateforme YouTube, mais Travers se produit également sur Instagram (chaque jour, du contenu exclusif et un résumé clair et rapide de l’actu en moins d’1 minute ! Instantané comme un cliché ?), Facebook et Twitter.
Son cœur de cible, ce sont les 15-25 ans. Grâce à son audience, il a été choisi verbi gratia par Léa Salamé pour interpeller Marine Le Pen, le 14 mars 2019 en direct, sur France 2, puis par Emmanuel Macron en mai 2019 pour une opération de com, vu que le youtubeur était facile à gérer, selon l'agence de son choix, Blog Press Agency, qui avait recruté Travers en 2016. La vidéo concoctée par le jeune décrypteur prescripteur sur la liste européenne de LREM proférait des énormités propres à un naïf ou un collabo : on y apprenait que la Macronie défend "un certain nombre de mesures censées lutter contre le réchauffement climatique", que sa "préoccupation principale" en matière d'économie est de "taxer les géants du numérique" ou encore, qu'elle veut "davantage protéger les travailleurs". Mais, y'a des fois, quand même, que trop, c'est trop...

Voyons, il y a deux mois, Travers a très bien réalisé (très pro) et diffusé sur sa chaîne L’appel à l’aide de notre génération, une compilation vidéo de témoignages de maints étudiants français exprimant une détresse à vraiment faire frémir. Un cri collectif de douleurs individuelles : 30% avouent avoir déjà eu des idées suicidaires ou songé à se mutiler. Très nombreux sont les jeunes qui pensent qu'il ne leur reste que les réseaux sociaux dans cette société libre, plurielle et impitoyable...


C'était le dimanche 31 janvier 2021. Le 2 février, on a montré cette vidéo à Sarah El Haïry, la secrétaire d’État chargée de la Jeunesse et de l’Engagement (sic), et puis, le Live Toussaint, une émission de BFMTV, a proposé un échange en direct entre Hugo Travers et Sarah El Haïry, présenté et modéré par Bruce Toussaint. J’en ai eu vent à travers Clément Viktorovitch.

La prestation verbale de Sarah El Haïry m’a semblé une telle illustration et défense de l’arnaque linguistique libérale que je me suis administré la punition scientifique de l’écouter plusieurs fois afin d’en faire la transcription 99% littérale, tâche éprouvante et probante, dont je vous fais cadeau un peu plus bas comme aide à la compréhension, si j’ose dire, et à l’analyse d’une logorrhée caractérisée. Tous les liens et les remarques entre crochets sont de mon cru.

Je vous signale tout de suite, mesdames et messieurs, qu’elle va parler pour ne rien dire, car elle n’est pas ennemie du colloque ; qu’elle va parler de la situation, tenez ! qu'elle va parler de la situation, sans préciser laquelle ! Ou plutôt du constat, qu'elle va faire à n’en pas finir l’historique du constat, quel qu’il soit ! Il y a quelques mois, souvenez-vous, la situation, ou plutôt le constat, déjà, nous le partagions, et dans cette situation de constat partagé, nous allions vers la catastrophe et nous le savions, nous en étions conscients, le gouvernement et vous, si vous voyez ce que je veux dire, car il ne faudrait pas croire que les responsables d’hier, de juillet, par exemple, étaient plus ignorants de la situation, ou plutôt du constat, que ne le sont ceux d’aujourd’hui ! D’ailleurs, ce sont les mêmes...

Après une telle Devos pédagogique, la ministre de l'Enseignement supérieur, Frédérique Vidal, ne tarderait pas à se pointer chez Travers, mais ça, c'est une autre histoire, car ici, il est question d'un cours de novlangue bien précis, même s'il peut y en avoir d'autres.
Visionnez-écoutez, donc, ici ce laïus péremptoire de Madame El Haïry...


Vous pouvez suivre sa transcription ci-dessous —battez bien les concepts opérationnels avant de débiter votre sermon, à votre tour, si l'idée vous prend de saboter votre cerveau et de vous foutre du monde. Puis vous trouverez une glose faite à la va-vite de trois dizaines de commentaires de téléspectateurs, plus excédés les uns que les autres, que j’ai lus sur le compte Twitter d’Hugo Travers.

— ... Bien sûr que j’ai regardé cette vidéo, et ce que j’ai envie de dire [c’est le cas de le dire !], c’est que le constat, on le partage et depuis le 26 juillet, où j’ai rejoint le gouvernement, en fait, on est dans cette situation de... de constat partagé, on a conscience absolument de la situation des étudiants, mais aujourd'hui, ma responsabilité, elle, est d’être dans l'action, elle est comment on apporte des réponses à ces jeunes, et ces réponses, euh, ils [sic] sont multiples, puisqu’il y a des situations et, donc, des étudiants. D’abord, évidemment, des réponses économiques et ça, c’est... ça, c’est notre job, c’est, être ce moteur ; ensuite, des réponses sociales, avec... très concrètement, parce que les jeunes, des étudiants... j’en ai vu à Aurillac, à Reims, à Bordeaux... ils disent la même chose que les mots utilisés dans la vidéo d’Hugo [Depuis quand vous le tutoyez, madame ?]. Et aujourd’hui notre challenge [Madame adore le lexique du GOPAC, Newt Gingrich's political action committee], notre enjeu, c'est de se mobiliser plus fortement, parce que la réponse à leur moral, la réponse à leur énergie, la réponse à leur élan, c’est une réponse sociétale, et moi, je dis, euh, beh, bravo, Hugo, tu as concentré dans cette vidéo des mots qu’on entend, qui sont partagés. Maintenant [, puisque vous, Hugo Travers, lancez l'alerte], passons à l'action et passons à l'action ensemble, puisque tu as utilisé ta force de frappe... pour consolider, eh bien, partageons encore plus fortement les solutions. Les solutions, elles sont multiples. Moi, je pense qu’il faut continuer à accompagner les associations qui se mobilisent. Nightline, par exemple, que je connais, qui est un réseau d’écoute entre étudiants et qui crée la solidarité. Mais aussi, parler encore plus fortement du « chèque psy » [annoncé plus tôt que littéralement la veille] qui permet de créer de la solidarité et une réponse plus... médicale, plus forte à ces jeunes-là. Mais avant tout, notre responsabilité, c’est évidemment de créer l’élan, de garder ce choc de confiance, et donc, c’est une responsabilité partagée entre les familles, les enseignants, les entreprises... c’est tout un pays qui se mobilise pour le moral de sa jeunesse. Et pour ça, moi, c’est un appel, un appel à la mobilisation collective. Parce que, oui, nos étudiants, c’est notre priorité. Et pour ça, on peut tous apporter quelque chose et c’est... et c’est... typiquement des réponses et des solutions que j’ai vues, je pense, à Aurillac ou à Reims, en particulier, où ce sont les associations qui se mobilisent avec les étudiants. » [Là, après deux timides tentatives, l’interrompt Bruce Toussaint, abasourdi, j'imagine, histoire, je me figure, de respirer un peu : « Hugo vous répond ».]

— Moi, je me retrouve face à vous aujourd’hui, mais surtout avec des centaines, encore une fois, des milliers de témoignages [, réplique avec fermeté et humanité Hugo Travers,] qu’on a reçus ces derniers jours, qu’on a essayé de compiler dans le cadre de cette vidéo. Si je devais..., et c'est un peu le travail qu'on a fait ces derniers jours, avec mon équipe de journalistes aussi, de comprendre les problèmes, comprendre aussi le... la vision de ce que ressentent les jeunes, et au-delà de cette détresse, c'est aussi un sentiment de ne pas être écoutés et de ne pas être suffisamment entendus par le gouvernement, c’est quelque chose qui est partagé par beaucoup de jeunes. Y'a eu des annonces qui ont été faites, qu’on a eu l’occasion d’évoquer, nous, sur la chaîne, les questions des repas à 1 euro pour tous les étudiants, le retour en présentiel un jour par semaine, le chèque psy aussi qui a été détaillé notamment hier, d’ailleurs ces mesures ont été... ont été plutôt bien reçues, mais y’a qu’un écho qui est encore très important et qu’on voit d’ailleurs dans cette série de témoignages qu’on a eu l’occasion de publier ces derniers jours, c’est que ces mesures-là sont très loin d’être suffisantes pour la détresse actuelle et on voit les chiffres actuellement encore à l’écran, 40% des jeunes font état d’un trouble anxieux généralisé, une part très importante des jeunes qui pensent à mettre fin à leurs jours et qui sont dans cette situation très très difficile et...

— Hugo, je suis d’accord avec toi [, interrompt la secrétaire d’État]. Il faut se mobiliser, il faut passer à l’action.

— La question, c’est sur... la question... la question, moi, que je vois, à partir des retours que j’ai sur... des jeunes aujourd’hui : est-ce que les mesures aujourd’hui, qui sont mises en place par le gouvernement, sont suffisantes ? Et un certain nombre de jeunes, c’est ce que je vois à travers les messages que je vois tous les jours, ont le sentiment que ce n’est pas suffisant et que même, celles avancées par le gouvernement (...).

— Y’se trouve... y’s trouve que... hier, on discutait avec Hugo sur : qu’est-ce qu’on peut faire ? Parce que la solution, c’est, OK : le constat, il est partagé. Maintenant, on passe... on continue à passer à l’action [continue-t-on...?]. Quand on parle d’isolement, quand on parle, de fait, de se sentir seul et pas trouver sa place, c’est comment on accompagne chaque étudiant pour qu’il puisse se mobiliser ? La semaine dernière, à peine, on a changé les règles du service civique, pour permettre à chaque étudiant de s’engager, de trouver sa place, de rompre son isolement en se sentant utile. Parce que ces étudiants, ils disent aussi : “Eh bien, je me sens seul, je me sens seul après une journée entière de cours à distance.” Eh bien, engagez-vous ! Et nous on est là pour accompagner ces engagements. Et c’est pour ça que je dis à Hugo, c’était... c’était notre discussion d’hier, c’est... il y a des réponses. Économiques, bien sûr, parce que... il faut soutenir l’emploi, mais il y a aussi des réponses sociales, avec les repas, avec les chèques psy... tu l’as dit, tu l’as rappelé... il y a des réponses pour les jeunes diplômés, mais... l’énergie, le moral, l’élan, c’est notre responsabilité collective. Et c’est pour ça que moi, j’apporte une des solutions : le fait de rendre le service civique accessible à tous. Parce que c’est moteur [Hugo Travers rit jaune, alors que la torsion de la lèvre supérieure, côté gauche, de la secrétaire d’État fait mal à voir]. Maintenant, il faut une mobilisation des assos également [autrement dit : aux gens de se bouger le cul, nous ne sommes que le gouvernement].

— Mais ce moral, justement, et encore une fois, c’est ce que... moi, chuis pas... chuis pas militant, quoi, [précise Hugo Travers, « ça se décrète pas », se superpose, épanouie, Sarah El Haïry], je suis juste... j’ai un média en ligne et j’ai relayé, via cette vidéo, les témoignages, donc, je me permets de faire aussi à... face à vous aujourd’hui... les témoignages qu’on a là, ils montrent justement que le moral, il est pas présent et donc..., malheureusement, il suffit pas de dire : “Eh ben, les jeunes, mobilisez-vous, engagez-vous ! il va falloir changer les choses !” La réalité, elle est plus complexe que ça et y'a une détresse sociale qui est immense, une détresse économique, une détresse psychologique, y’a des jeunes qui vont devant les... faire les collectes alimentaires tous les jours pour aller à s’y alimenter, y'a des jeunes qui mettent fin à leurs jours, qui tentent de mettre fin à leurs jours dans des résidences étudiantes…

— Mais tu as raison, chuis... chuis d’accord avec toi, Hugo, mais tu vois, sur la détresse alimentaire, y'a des réponses, moi, ma mission, elle est dans, elles est dans... elle était dans l’action [temps verbal, s.v.p. ?]. Quand tu as une détresse alimentaire... c’est pour ça que le Président... le Président de la République a décrété deux repas par jour à un euro, dans tous les CROUS, parce que ça répond à une... à un... un problème, à une réalité dans notre pays. De l’autre côté, la question aujourd’hui des petits jobs et des petits boulots, c’est aussi une réalité ; c’est pour ça qu’on crée 20 000 jobs dans les campus. Mais moi, ce que je dis, c’est au-delà de ça. Moi, je crois que la réponse, elle vient pas exclusivement de l’État, et encore plus quand ça touche les... le moment [« Mais l’État peut faire davantage, l’interrompt Hugo Travers, c’est ce qui est relayé par plusieurs... plusieurs étudiants qui disent... »], le moral, les aspects psychologiques, l’isolement… [visiblement, notamment dans ce contexte, l'envie de se suicider ne découle de nulle part, il n'y a jamais de cause efficiente, juste des mous et des molles.]

— Mais l’État peut faire davantage..., c’est ce qui est relayé par plusieurs... plusieurs étudiants qui disent... Et voilà, on a... et d’ailleurs... voilà, on a des organisations plus politisées d’étudiants qui..., syndicats étudiants, qui vont parler d’un RSA pour les jeunes, qui vont parler de davantage de moyens qui doivent êt(re) mis. Mais, ne serait-ce que même d’un point de vue de l’université qu'ils vont dire: il faut que l’on puisse revenir davantage qu'un jour par semaine à l’université, puisque c’est une question de lien social, c’est une question de limiter le décrochage scolaire et universitaire, c’est des questions qui sont très présentes et, encore une fois, là, je me fais simplement le... le porte-parole des milliers de messages qu’on a reçus ces derniers jours sur les réseaux sociaux et de cette vidéo qui a été beaucoup partagée : pourquoi est-ce qu’elle a fait plus de cinq millions de vues ? Pourquoi elle a été autant partagée ? C'est parce que c’est autant de personnes qui... [« Mais parce qu’elle est juste, Hugo, parce qu’elle est juste, oui », se superpose empressée Madame El Haïry.] ... partagent ce sentiment de ne pas être suffisamment écoutées, qu’il n’y a pas suffisamment de mesures qui sont mises en place par le gouvernement aujourd’hui.

— Hugo, moi, tu sais ce que je réponds ? C’est... il y a des mesures, et tu le sais puisqu’on en a parlé. Un jeune sur deux ne connaît pas toutes les solutions qu’il peut... qu'il peut utiliser, qu’il peut saisir. Et aujourd’hui, notre responsabilité, c’est évidemment d’améliorer des propositions et des solutions quand il y a des manques. Ça pour le coup, il faut être extrêmement à l’aise avec ça. C’est pour ça que, juste, cette semaine, il y a l’accompagnement par Pôle Emploi pour les jeunes diplômés qui étaient boursiers et qui ne trouvent pas leur premier job, parce que c’est aussi ça la réalité [surtout quand on supprime délibérément la politique]. Et les solutions, elles, continueront à évoluer autant que nécessaire. Parce que la jeunesse, parce que les étudiants, aujourd’hui, c’est notre responsabilité collective. Mais, moi, ce que je dis, c’est sur la question du moral, sur la question de la mobilisation… Il faut qu’on fasse bloc ; plus de cours, bien sûr, et différenciés. Plus de, plus de... moins d’isolement, plus de solidarité, oui, c’est possible [le slogan comme syntaxe]. Et c[e n’]est possible que si on apporte tous des solutions. C’est pour ça que, moi, je dis : moi, je compte sur toi, tu as fait le..., tu as partagé ce constat, je te dis : oui, il est juste, ton constat, puisque c’est la parole des étudiants en tant que telle, mais partageons tous les solutions, parce que plus les étudiants auront et sauront tous à quoi ils peuvent avoir accès aussi, plus on se mobilisera et plus on pourra améliorer ce qui manque certainement là.

— [Hugo Travers essaie de déclouer le bec, mais il n’y parvient pas devant un tel écoulement...]

— Moi, je suis hyper à l’aise [Blaise] avec ça. Moi, ce que je veux, c’est surtout que nos étudiants, eh bien, ils trouvent l’énergie et le moyen, eh bien, de continuer à persévérer et à trouver le panache nécessaire, parce que c’est notre priorité [sic !!!!]

— Là-dessus, je maintiens qu’il y a deux choses. Il y a des aides existantes qui méritent d’être connues et nous, on en travaille en tant que ... même en tant que média, nous, sur la chaîne, avec mon équipe de journalistes, de faire connaître ces choses-là. Quand Emmanuel Macron a annoncé des repas à un euro, quand Emmanuel Macron a annoncé le retour en présentiel un jour par semaine, on l’a relayé, on en a parlé, et c’est la même chose pour toutes les initiatives qui ont pu être faites et qui peuvent permettre de... d’aider ces jeunes, on est, encore une fois, suivis par essentiellement... individus de vingt-quatre ans ; on est là pour relayer aussi ces éléments qui peuvent les aider. Maintenant, les... les..., la réalité, c’est que ces éléments-là, aux yeux des témoignages qu’on a aujourd’hui, qui remontent au sein de notre média sur les (...) décrites, ne sont pas suffisants pour répondre à ce problème très important de la détresse des jeunes. Et donc, c’est un peu le, le... ce que j’essaie de montrer ici, c’est que... et il y a des jeunes qui peuvent se mobiliser, s’il le faut, mais les jeunes, ils sont aussi... ils sont dans un état aujourd’hui qui est unique, qui est très grave et très très inquiétant, et y’a surement des mesures, en tout cas, c'est ce qu'un certain nombre de jeunes conçoit, qui je... faut aller plus loin.

— Ce que je voulais surtout, s’immisce Bruce Toussaint, c’était vous entendre discuter tous les deux. Mais, en tant que jeune également, poursuit le présentateur, même si je vois beaucoup de gens rire sur le plateau, non, non, plus sérieusement, j’ai le sentiment…

— C’est un état d’esprit…, souffle rigolote Sarah El Haïry.

— ..., bien sûr, je vous remercie, haha, je vous remercie. Je vais vous dire mon sentiment, reprend Bruce Toussaint, c'est que..., oui, je crois qu’il y a une prise de conscience de... de cette détresse et... et qu’effectivement, peut-être que pour la première fois, depuis le début de cette crise, grâce à la mobilisation de gens comme... comme Hugo, y'a une mobilisation, une... une prise de conscience au sommet de l’État [sans rire !]. Mais permettez-moi de vous dire, malgré tout, Sarah El Haïry, que ça ne suit pas, et que cette prise de conscience est déjà pas mal ! mais ça ne suit pas derrière, et j’entends votre discours et je suis certain qu’il est très sincère, mais malheureusement, derrière... je crois que ça ne... ça ne suit pas, si vous... v'voyez ce que je veux dire ?

— Mais... est-ce que vous me rejoignez quand je dis... est-ce que vous me rejoignez quand... quand je dis que le moral, ça ne se décrète pas ? Que l’État, la responsabilité, aujourd’hui, effectivement... ma responsabilité, c’est d’être dans l’action... [persiste et signe Sarah El Haïry]

— On parle pas de moral, Sarah El Haïry, excusez-moi,... [tente Toussaint de l'amadouer]

— Non, non... je veux juste, je veux juste... [persiste, juste, Sarah El Haïry]

— ... on parle pas de moral, on parle de gens qui ont envie de se suicider, qui ont envie de se suicider... [nuance Toussaint, au cas où elle voudrait écouter la prière] [Hugo Travers complète sur la même ligne : « ce sont des jeunes qui déclarent avoir déjà eu... pensé à mettre fin à leurs jours... »]

— Oui ! Et on parle, on parle, [Laverdure, Laverdure ! El Haïry] on parle d’urgence psychologique, et typiquement, typiquement, là, y'a deux choses, y'a Hugo qui parle de... de jeunes qui ne mangent pas. À cela, on apporte des réponses... sociales... so-sociales, économiques, pour aller se nourrir, euh, des aides financières, mais ça, c’est un sujet, mais il n'y a pas que ça. Quand vous parlez de jeunes qui sont dans une détresse psychologique, qui sont prêts effectivement à se suicider, tellement c’est lourd, ça fait onze mois qu’on a une situation sanitaire grave dans notre pays et, eux, ils l’ont vécue de plein fouet, ah, ah... vraiment, pour eux, moi, je dis, oui, la réponse, soit on fait le constat et on fait rien, soit on fait le constat et on apporte des réponses, les réponses que l’État peut apporter à l'heure, à l’instant T, oui, c’est un accès aux psys et aux médecins au plus vite et le plus rapidement possible. Mais c’est pas que ça. Je crois que notre mobilisation, elle doit aussi être au niveau des familles, au niveau des assos, au niveau des enseignants, je vais vous dire pourquoi. Parce que le choc de confiance, la nécessité de croire en demain, l’énergie, tu la trouves pas tout seul. Et c’est là où... effectivement, on peut continuer à se dire qu’on partage le constat, mais vous ne faites pas assez. Moi, je vous dis : Chiche ! Allez, challengez-nous ! [toujours les ravages du GOPAC] Allons ensemble, faisons plus encore ! [Déchaînée] C’est la priorité... et c’est là où il y a… où il y a le constat et il y a l’action, et moi je vous propose de passer à l’action [En dépit de l'horripilation de l'animateur, elle est parvenue à le redire].

— Et je vous propose aussi de saisir une chose [passablement agacé, Hugo Travers se fait pédagogue]. Beaucoup de jeunes proposent aussi de passer à l’action, sauf que, encore une fois, j’ai un média... j'ai un média qui est suivi en ligne, j’ai simplement des jeunes qui ont des témoignages, vous remontez ces témoignages parce que ces jeunes demandent au gouvernement d’agir et la question, c’est « est-ce que le gouvernement répond suffisamment à cette détresse (...) des jeunes ? »
[11h33 du 2 février 2021]

Bref, « La Parole s'est faite bruit... et nous matraque », les panoplies veulent manger le peuple. Voilà, les nullités surévaluées qui nous gouvernent tiennent à nous épater, pour mieux nous obnubiler et nous avoir, mais ne sauraient pleinement y réussir : les commentaires du compte Twitter d’Hugo Travers reflètent le déclenchement d'un véritable tollé, sont l'expression d'un sentiment général accablant de sidération face au spectacle servi par Sarah El Haïry en quête d'incantation, et soulignent les mêmes motifs d’exaspération, à savoir, son tutoiement condescendant (« le tutoiement est complètement déplacé, dévalorise presque ton discours et te décrédibilise. », raisonne l’un des commentaires), comme si Hugo Travers était devenu son pote, et son échappée moche du vif du sujet à travers un usage immodéré de la langue de bois, débitée, qui plus est, en boucle itérative : on n’en revient pas devant sa manière de ressasser les mêmes éléments de langage, repris souvent à l'aide d'anaphores, pour brasser du vent et ne pas dire directement que c’est aux jeunes et à la société de se bouger (même sous confinement ou avec des restrictions sévères) et que l’État n’en a rien à faire. Du libéralisme pure verve.
Clément commente là-dessus : « Elle était à deux doigts de dire que c’était la faute des étudiants ».
Suffrence écrit : « J’ai l’impression qu’on s’attaque aux conséquences du problème plutôt qu’aux causes... aucune mesure sur le long terme... dommage. ».
Clt résume : « Tutoiement tout le long de l’intervention, réponses à côté de la plaque, aucune solution proposée... le chèque psy, c’est bien beau, mais on demande une chose, c’est pouvoir retourner en cours [présentiel :] ça fait bientôt 1 an que ce n’est plus le cas. Y’a un moment où c’est plus possible. »
Cette idée de retourner en classe est une revendication étudiante largement répandue en France et prouve les ravages de la télétude, c’est-à-dire, d’un apprentissage basé sur les seules nouvelles technologies, en isolement, une horreur indésirable et un sujet capital dont on parle plutôt peu dans la moderne société libérale.

 

 

mardi 6 avril 2021

Michèle Audin et sa Commune de Paris - et celle de Guillemin et celle de Meyssan

(Billet en construction) 

La Commune de Paris a 150 ans.

La Commune de 1871

C'est le nom qu'on attribue généralement au gouvernement révolutionnaire français établi par le peuple de Paris à la fin de la guerre franco-prussienne (1870-1871). L'échec de la bataille de Sedan scelle la défaite française et le 1er septembre 1870, l'empereur Napoléon III se rend aux prussiens. Deux jours plus tard, les républicains de Paris se saisissent du pouvoir et proclament la 3ème République, reprenant la guerre contre la Prusse.
En janvier 1871, les français capitulent après un siège de Paris qui dure plus de 4 mois. Les termes de l'armistice signé en février prévoient la tenue d'un vote de l'Assemblée Nationale sur l'éventualité de conclure une paix avec les prussiens. La majorité des députés - des royalistes qui veulent restaurer la monarchie - sont partisans de l'approbation des conditions de paix imposées par le premier ministre de Prusse, Otto von Bismarck. Les républicains radicaux et les socialistes toutefois, refusant d'accepter les conditions d'une paix qu'ils ressentent comme une humiliation, sont en faveur de la poursuite du conflit.
Les 17 et 18 mars, la population parisienne se soulève contre le gouvernement national qui est contraint de fuir la capitale pour venir s'installer à Versailles. A Paris, les radicaux installent un gouvernement "prolétaire" qu'ils nomment Comité Central de la Garde Nationale et fixent la date du 26 mars pour la tenue d'élections au Conseil Municipal. C'est sous le nom de "Commune de 1871" que ce Conseil et ses membres, "les communards", jouiront de leur plus grande notoriété. Un grand nombre de ces "communards" sont des disciples de Louis Auguste Blanqui, révolutionnaire détenu à Versailles sur instruction du chef de l'Assemblée Nationale, Adolphe Thiers. D'autres se réclament de divers courants de l'école socialiste, notamment les disciples de Pierre Joseph Proudhon et les membres de l'Association Internationale des Travailleurs dont Karl Marx est à l'époque le secrétaire correspondant.
La Commune promulgue un grand nombre de mesures en faveur des ouvriers, mais ne vivra pas assez longtemps pour que celles-ci puissent entrer en vigueur. En effet, le gouvernement de Thiers est décidé à étouffer l'insurrection par la force. (...)

Extrait du site du Rebond pour la Commune.

Chronologie
de l’histoire de la Commune, par Michèle Audin.

 

Michèle Audin (Alger, 1954) est une mathématicienne française dont les recherches concernent la topologie algébrique et la géométrie symplectique. Audin, Alger... oui, en effet, elle est la fille du mathématicien Maurice Audin, un mort (sous la torture) par la France.

Elle est aussi écrivaine, et oulipienne, et une connaisseuse majeure de la Commune : une référence essentielle en la matière. Elle dispose d'un blog incomparable et incontournable —touffu et détaillé comme tout— à son égard : Ma Commune de Paris. N'hésitez pas à y accéder, il est passionnant.

Autrice de cinq ouvrages sur le sujet, parus de 2017 à 2021, Michèle Audin vient justement d'en publier le cinquième...


La Semaine sanglante 

Mai 1871, légendes et comptes.

« Il ne s’agit pas de se jeter des crimes et des cadavres à la tête, mais de considérer ces êtres humains avec respect, de ne pas les laisser disparaître encore une fois. »

La guerre menée par le gouvernement versaillais de Thiers contre la Commune de Paris s’est conclue par les massacres de la « Semaine sanglante », du 21 au 28 mai.
Cet événement a été peu étudié depuis les livres de Maxime Du Camp (1879) et Camille Pelletan (1880).
Des sources, largement inexploitées jusqu’ici, permettent de découvrir ou de préciser les faits.
Les archives des cimetières, que Du Camp a tronquées et que Pelletan n’a pas pu consulter, celles de l’armée, de la police, des pompes funèbres permettent de rectifier quelques décomptes : dans les cimetières parisiens et pour la seule Semaine sanglante, on a inhumé plus de 10 000 corps. Auxquels il faut ajouter ceux qui ont été inhumés dans les cimetières de banlieue, qui ont brûlé dans les casemates des fortifications, et dont le décompte ne sera jamais connu, et ceux qui sont restés sous les pavés parisiens, exhumés jusqu’en 1920…

Avec cette étude implacable, Michèle Audin, grande connaisseuse de la Commune de Paris, autrice de Josée Meunier 19, rue des Juifs (Gallimard) et Eugène Varlin, ouvrier-relieur (Libertalia), rouvre un dossier brûlant.

264 pages — 10 €
Parution : 4 mars 2021
ISBN physique : 9782377291762
ISBN numérique : 9782377291779

De la même autrice
aux éditions Libertalia

 

Le , sous le titre Lieux communs sur la Commune, Mathieu Dejean (site de Là-bas si j'y suis) nous propose un entretien de 44' avec elle. Dans sa présentation, il souligne justement que, dans ce bouquin, Michèle Audin met au jour les falsifications versaillaises pour masquer le massacre des insurgés [après avoir tout fait pour tuer le plus possible de communards], et dissipe des légendes abondamment relayées par l'Histoire officielle qui —soit dit en passant— a toujours préféré commémorer des personnages comme Napoléon, fabrique d'un imaginaire collectif oblige. Ce n'est pas par accident que la colonne Napoléon, place Vendôme, fut déboulonnée par les communards, avec la participation du peintre Gustave Courbet, le 16 mai 1871. Sa démolition s'imposait...

« La Commune de Paris, considérant que la colonne impériale de la place Vendôme est un monument de barbarie, un symbole de force brute et de fausse gloire, une affirmation du militarisme, une négation du droit international, une insulte permanente des vainqueurs aux vaincus, un attentat perpétuel à l’un des trois grands principes de la République française, la fraternité, décrète : article unique - La colonne Vendôme sera démolie.
(Décret du 13 avril 1781).

Et ce n'est pas non plus par hasard que, l'ordre rétabli, concrètement quatre ans plus tard, la colonne serait reconstruite sur ordre du maréchal royaliste et président de la Troisième République Patrice de Mac Mahon, comte de Mac Mahon et 1er duc de Magenta. Monuments et piédestaux sont le marbre des mythes et des splendeurs imaginaires qui doivent glorifier les noms des assassins et peupler l'imaginaire du peuple. Mêmes buts que les noms des rues, les livres d'Histoire, les pages de la presse libre et plurielle, les JT et j'en passe.

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— D'autres billets Candide sur la Commune :

Rétrospective Peter Watkins à Paris (2.12.2010).
Ce billet contient le film La Commune, de Peter Atkins, en deux vidéos, et un entretien avec le réalisateur enregistré en 2001.

Charonne, le 8 février 1962... et la Commune de Pignon-Ernest (lundi 8 février 2021)


— Site des Ami.e.s de la Commune de Paris 1871. Bibliographie non exhaustive.

FranceArchives.

— Sur le site de la TSR ou sur le site des Mutins de Pangée... (je vous mélange leurs infos/contenus et mes remarques) :


La Commune, par Henri Guillemin

La Commune, par Henri Guillemin par lesmutins.org sur Vimeo.
Avec la précision d’un horloger helvète, Henri Guillemin décortique la trahison des élites, la bassesse des bien-pensants, la servilité des "honnêtes gens", la veulerie des dominants tout autant que les raisons qui entraînèrent le Peuple de Paris à la faillite.

Il faut rendre aussi hommage à Henri Guillemin (Mâcon, 1903-Neuchâtel, 1992), historien incisif, hétérodoxe, passionnel et pamphlétaire, spécialiste du XIXe siècle et critique littéraire. C'était un grand contempteur et démystificateur de « l’histoire bien-pensante », grand moteur de sa révision de l'Histoire, et il faut saluer concrètement son effort de précision et de divulgation à l'égard de la Commune, qu'il exposa talentueusement, à partir de son « Salut ! » de démarrage, dans la sobriété monacale d'un studio de la Télévision Suisse Romande, en 1971, centenaire de cette épouvantable tragédie. Il était banni des télévisions française et belge, mais il put heureusement s'épanouir sur la TSR, où il disposa, entre autres émissions, des Dossiers de l'Histoire, séries de conférences sur des sujets historiques ou littéraires.

Le 21 novembre 2018, Les Mutins de Pangée lancèrent un très soigné coffret réunissant en trois DVD les 13 leçons sur La Commune de ce superbe conteur-historien, et son bouquin Réflexions sur la Commune, publié pour la première fois par Gallimard, dans la collection La Suite des temps, en 1971. Une seconde édition à l'identique était parue aux Éd. d'Utovie en 2001, qui coéditent cette 3e édition (corrigée et enrichie) avec Les Mutins.
Ce livre de 240 pages inclut également des dessins de Jacques Tardi tirés des 4 volumes de sa saga Le Cri du peuple (Éd. Casterman, premières édition de 2001, 2002, 2003 et 2004 respectivement), adaptation du roman homonyme de Jean Vautrin (Grasset 1999), qui avait à son tour emprunté le titre au journal éponyme fondé par Jules Vallès, avec des collaborateurs comme Jean-Baptiste Clément ou le proudhonien Pierre Denis, et paru pour la première fois le 22 février 1871.


Le premier des trois DVD offre en prime deux compléments. D'abord, la vidéo Henri Guillemin, par Patrick Berthier (17' - Les Mutins, 2018) ; puis Si on avait su (13', ISKRA, 1973), court-métrage d'animation de Stanislas Choko.

Henri Guillemin déroula son plan de révision de l'histoire de la Commune en 13 volets, proposés à la télévision du 17 avril au 30 octobre 1971. Il expliqua qu'il convenait d'abord de remonter à la Révolution française pour comprendre cette histoire atroce. Ces 13 séquences étaient, donc, dans l'ordre : La Révolution française - Qui est Thiers ? - La Guerre de 1870 - Le siège de Paris - L’avant-Commune - À Versailles - Ambiance à Paris (capitale assiégée) - Des gens scrupuleux (Les gens de la Commune) - La vrai France en action - À l’attaque de Paris - Le moment de vérité (La victoire des "honnêtes gens") - Le fond des choses - Lendemains.

"Ce qui m’émeut, dans la Commune, ce qui m’attachera toujours à elle, c’est qu’on y a vu des gens, à la Delescluze, à la Rossel, à la Vallès, à la Varlin (celui-là surtout, quelle haute figure, bouleversante), des hommes qui ne "jouaient" pas, qui risquaient tout, et le sachant, des courageux, des immolés. Parce qu’ils avaient une certaine idée du Bien et qu’ils y vouaient leur existence même."
Henri Guillemin, Journal de Genève, 22 avril 1965

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— Site d'ARTE : la chaîne franco-allemande nous propose un film d'animation très récent et prodigieux...

Les Damnés de la Commune, réalisé par Raphaël Meyssan —enfant de Belleville et complice de Michèle Audin : J’avoue me sentir très proche, non des moyens graphiques utilisés, bien sûr, mais de la façon qu’a Raphaël d’aborder l’histoire, celle de « ceux qui n’étaient rien », a-t-elle écrit.
Sorti en 2019, d
isponible en ligne sur ARTE du 16/03/2021 au 19/08/2021, ce documentaire dure 88'.
Le 23 mars, Alain Constant a écrit dans Le Monde :

(...) En utilisant uniquement des gravures d’époque, mais animées grâce à des effets bluffants, jouant notamment sur la profondeur (les oiseaux volent, la neige tombe, les obus explosent, les flammes dansent…), le graphiste Raphaël Meyssan, accompagné par le scénariste Marc Herpoux, les monteurs du studio d’animation Miyu et les compositeurs Yan Volsy et Pierre Caillet, met en scène un formidable rendez-vous avec l’histoire de la Commune de Paris, si rarement exposée sur les écrans.

Auteur d’une BD ambitieuse intitulée Les Damnés de la Commune (Delcourt, 2017-2019) – trois gros tomes retraçant, à l’aide d’images d’archives, l’histoire aussi brève que sanglante des événements survenus à Paris entre fin mars et mai 1871 –, Raphaël Meyssan a travaillé de longues années pour amasser des milliers de documents d’époque. (...)

Pour adapter 500 pages à l’écran, il fallait faire des choix. La bonne idée de l’auteur est d’avoir choisi Victorine Brocher comme fil rouge de son premier long-métrage, l’un des personnages importants de sa BD et dont les Mémoires, Souvenirs d’une morte vivante, l’avaient bouleversé, dit-il. Cette mère de famille « au destin exceptionnel » s’engagera avec fougue dans la Commune de Paris, y perdra son très jeune fils puis son mari, mort au combat. Intégrant le bataillon Les Enfants perdus, échappant de peu au massacre, Victorine s’exilera en Suisse, où elle adoptera des orphelins du mouvement communard avant son retour en France, après l’amnistie de 1880.

La force de ce documentaire tient aussi aux soins apportés par l’équipe technique aux bruitages et à une bande-son (trompettes, violons) de qualité. Sans oublier un casting vocal de haute volée : tout au long du film, les voix de Yolande Moreau (Victorine) et de Simon Abkarian (le narrateur) prennent aux tripes.

A ces deux voix puissantes et parfaitement calibrées s’ajoutent celles de Mathieu Amalric (Adolphe Thiers), Fanny Ardant (la mère de Victorine), Charles Berling (Gustave Courbet), Sandrine Bonnaire (Louise Michel), Denis Podalydès (Georges Clemenceau), André Dussolier (le sauveur de Victorine) ou Jacques Weber (Victor Hugo), pour ne citer que les artistes les plus connus. (...)

La BD Les Damnés de la Commune, projet avant-coureur du film, est composée de trois tomes (Éd. Delcourt 2017-19) : À la recherche de Lavalette (8.11.2017), Ceux qui n'étaient rien (13.03.2019) et Les orphelins de l'histoire (6.11.2019). Toute la presse a plané et salué en chœur la prouesse de son délire.

Les yeux toujours pétillants de pure joie, Raphaël Meyssan explique ici d'une manière très détaillée sa démarche, d'abord pour la confection de son fascinant roman graphique, ensuite pour la réalisation d'un film pas comme les autres.

Le film démarre en 1867, lorsque l'Exposition universelle de Paris vient de fermer ses portes (le 3 novembre). Paris devient un paradis... pour les riches. Mais les loyers augmentent et les pauvres se voient repoussés vers la périphérie : ils s'entassent dans les faubourgs...
Comme l'explique Alain Constant un peu plus haut, la perspective et la voix narratrice de cette construction historique découlent des souvenirs publiés à Lausanne en 1909 par
Victorine Brocher (1839-1921), une énorme petite communarde (mesurant 1,52 m de taille) qui avait tout perdu sauf la vie. C'est la comédienne et réalisatrice bruxelloise Yolande Moreau qui lui prête sa voix sur les gravures et les dessins. Elle se présente ainsi dans le film :

« Je m’appelle Victorine et j’ai grandi dans la nuit du Second Empire. Depuis mes 14 ans, j’ai fait de nombreux métiers : j’ai été crieuse de journaux, porteuse de pain, marchande de soupe, lavandière, couturière... Je travaille 12 à 14 heures par jour pour un salaire dérisoire. J’habite au pied de la butte Montmartre avec mon mari. C’est un ancien soldat. Je ne peux compter que sur moi-même. »

Elle sera cantinière, puis ambulancière des Enfants perdus, un bataillon de fédérés...



(...) Raphaël Meyssan a adapté les trois tomes de son roman graphique éponyme, pour lequel il avait collecté des centaines de gravures dans les journaux et les livres de l’époque. De cette patiente quête d’archives − huit ans de recherches −, le graphiste et réalisateur tire un film unique, à l’esthétique et au dispositif étonnants. La caméra plonge au cœur de ces dessins magnifiques, émouvants et subtilement animés, puis zoome, scrute et caresse pour restituer cette tragique épopée dans le moindre de ses détails en une fresque prodigieuse. À mi-chemin entre Les misérables de Victor Hugo et les bandes dessinées documentaires de Joe Sacco, Raphaël Meyssan compose, en incluant le récit de Victorine, une jeune révoltée, une narration limpide qui parvient, à destination de tous les publics, à rendre fluide le chaos de la Commune. Une réussite. 

— France Culture : Thème - La Commune de Paris

— France Inter (le 18.03.2021) :  Laure Godineau et Quentin Deluermoz (Faut-il célébrer les 150 ans de la Commune ?). L'Histoire de la Commune en 6 minutes, sur ARTE, par Laure Godineau.

— Contretemps (revue de critique communiste) : La Commune au jour le jour, par l'historien Patrick Le Moal.
À l’occasion des 150 ans de la Commune de Paris, Contretemps publie du 18 mars au 4 juin une lettre quotidienne rédigée par Patrick Le Moal, donnant à voir ce que fut la Commune au jour le jour.

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Jean Ferrat : La Commune (1971)



lundi 5 avril 2021

Isabelle Stengers : Se libérer de l'imaginaire capitaliste ?

Je me souviens d'un mot de Jorge Wagensberg qui aide à éviter certains pièges du baratin triomphant. Changer de réponses, c'est de l'évolution ; changer de questions, c'est de la révolution, disait-il. On pourrait ajouter que rien ne changera sans de changements profonds concernant les mots (on a du mal à parler aujourd'hui : comme jamais !), l'imaginaire collectif et les affects concomitants.

Côté imaginaire, voici un entretien avec Isabelle Stengers, filmé à Bruxelles en juin 2020. Une vidéo produite par l'ASBL (Atelier des droits sociaux) en collaboration avec La tangente et avec le soutien de la COCOF (Commission communautaire française. Elle agrée et règlemente une série de matières liées au quotidien de quelque 900.000 habitants francophones de la Région de Bruxelles-Capitale) :


Isabelle Stengers : Covid 19 / Le monde de demain - Se libérer de l'imaginaire capitaliste ?

 
Isabelle Stengers, philosophe des sciences, nous explique comment l'imaginaire capitaliste met en danger les sciences, la démocratie et l'environnement.

Réalisation : Naïm Kharraz et Valérie Verboomen 
Production : Pierre-Louis Cassou 
Image : Hélène Motteau 
Images du générique : Irruption - WebMédia Engagé / D.R. 
Prise de son : Fabrice Osinski, Simon Morard 
Graphisme : Pierre de Belgique 
Un grand merci à : Martine Berckmans, la CGé, Nursen Gunduz, Myriam Katz, Carine Vandevelde, Dominique Vanhaelen. 
© 2020 Atelier des Droits Sociaux / La tangente