Il est courant de déplorer le déclin de la
souveraineté de l’État-nation, qui semble devoir être aujourd’hui
supplantée par la puissance du capital mondial. Restaurer la verticalité
de l’État et son autorité serait ainsi la seule voie pour contester le
globalisme néolibéral. C’est contre cette illusion, encore trop répandue
à gauche, que Pierre Dardot et Christian Laval ont entamé ce long
parcours dans l’histoire complexe et singulière de l’État occidental
moderne, depuis sa naissance à partir du modèle de l’Église médiévale
jusqu’à son rôle actuel d’État-stratège dans la concurrence mondiale. Comprendre
les aléas et les détours de cette construction, c’est mettre à nu les
ressorts d’une domination sur la société et sur chacun de ses membres
qui est fondamentalement de l’ordre de la croyance : les « mystères de
l’État », le culte de sa continuité qui oblige ses représentants
par-delà leur succession, la sacralité dont ces derniers aiment à
s’entourer dans l’exercice de leurs fonctions, autant d’éléments qui ont
pu changer de forme, mais qui demeurent au principe de sa puissance. En
retraçant cette généalogie, il s’agit pour les auteurs de montrer que
l’on ne peut répondre aux défis de la mondialisation capitaliste et du
changement climatique sans remettre en cause cet héritage. Car
l’invocation de la souveraineté « nationale » est devenue l’alibi de
l’inaction climatique et de la perpétration des écocides. Pour
affronter ces enjeux globaux, il est indispensable de s’attaquer à un tel
régime d’irresponsabilité politique qui dispense les gouvernants de
rendre des comptes aux citoyens. C’est dire qu’il faut ouvrir la voie à
un au-delà de la souveraineté étatique.
Pierre Dardot est philosophe et chercheur à l'université Paris-Ouest-Nanterre-La-Défense. Christian Laval est professeur émérite de sociologie à l’université Paris-Nanterre. Ils ont l'habitude de publier ensemble et ensemble, on leur a proposé —au sujet de l'ouvrage qu'ils viennent de publier— l'échange que voilà, mis en ligne le 26 mars 2021 :
Le Centre de recherche sur les innovations et les transformations
sociales (CRITS) souhaite offrir un espace d’échange à propos de cet
ouvrage marquant, qui couvre plusieurs siècles d’histoire et s’inspire
de nombreux travaux en sociologie, en philosophie, en anthropologie et
en science politique afin de critiquer le concept de souveraineté de
l’État.
Le CRITS, première école d’innovation sociale (sic) fondée au Canada, se définit ainsi sur son À PROPOS en ligne :
Le CRITS développe un regard interdisciplinaire sur le lien
complexe entre innovations et transformations sociales qui se décline
selon plusieurs perspectives. Nous privilégions l’étude de cette
problématique depuis l’angle des théories émancipatrices et les
perspectives d’analyse des systèmes d’oppressions. Par-là, nous visons à
contribuer à l’approfondissement et au décloisonnement des
connaissances sur les logiques et les stratégies d’intervention portés
par les mouvements sociaux et les communautés ainsi que sur le rôle des
institutions. Nous nous intéressons à leurs impacts sur différents
systèmes oppressifs : sexisme, colonialisme, racisme, capitalisme et
extractivisme.
Travaillant en étroite collaboration avec l’École d’innovation
sociale Élisabeth-Bruyère et de l’Atelier d’innovation sociale
Mauril-Bélanger, le CRITS crée des espaces ouverts aux communautés afin
de faire converger divers projets d’action collective. Ce contexte offre
aux étudiant·e·s de cycles supérieurs la possibilité de s’investir au
sein d’un espace de recherche dynamique afin de se familiariser avec la
production et la diffusion de recherches engagées.
La librairie La Central (Madrid) annonce pour aujourd'hui...
Presentaciones y encuentros
2 de diciembre, 2021
La Central del Museo Reina Sofía
«DOMINAR»: ESTUDIO SOBRE LA SOBERANÍA DEL ESTADO DE OCCIDENTE, DE PIERRE DARDOT Y CHRISTIAN LAVAL
Con Pierre Dardot, María Eugenia Rodríguez Palop y Luis Lloredo Alix
Jueves 2 de diciembre, 18h La Central del Museo Reina Sofía
El filósofoPierre Dardoty el sociólogoChristian Laval, autores, entre otras obras, de la Trilogía de lo Común (La nueva razón del mundo,ComúnyLa pesadilla que no acaba nunca), vuelven a diseccionar y a poner al descubierto los fundamentos de las democracias liberales occidentales, en este caso centrados en el concepto de soberanía, concretamente la soberanía del Estado.
Dominar. Estudio sobre la soberanía del Estado de Occidenterecorre un largo viaje por la compleja y singular historia del Estado moderno occidental y muestra los resortes de una dominación sobre la sociedad que es fundamentalmente una cuestión de fe: los «misterios del Estado», el culto a su continuidad, la sacralidad de la que gustan rodearse sus representantes… Ciertos elementos pueden haber cambiado de forma, pero permanece el principio de su poder. Al rastrear esta genealogía, los autores pretenden demostrar que no podemos responder a los retos de la globalización capitalista y el cambio climático sin cuestionar esta herencia. Para hacer frente a estos desafíos, es imprescindible atacar ese régimen de irresponsabilidad política que exime a los gobernantes de rendir cuentas a los ciudadanos.
En otras palabras, abrir el camino a un más allá de la soberanía estatal.
Entrada libre hasta completar aforo
Pierre Dardot es docente y filósofo especializado en la obra de Marx y Hegel. Junto a Christian Laval, fundó en 2004 el grupo Question Marx. En colaboración con este autor ha publicado varios libros sobre Marx y su obra, como Sauver Marx? (2007) y Marx, Prénom: Karl (2012), que han despertado el interés de los grupos de izquierdas en diversos países.
Christian Laval es profesor emérito de Sociología en la Universidad de Paris Nanterre y antiguo director del programa en el Collège International de Philosophie. Está especializado en la filosofía utilitarista de Jeremy Bentham, sobre el cual ha publicado varias obras, y en el análisis de las políticas educativas de inspiración neoliberal como La escuela no es una empresa (2004). Gedisa ha publicado su obra en solitario Foucault, Bourdieu y la cuestión neoliberal (2020), además de las obras escritas junto con Pierre Dardot.
Oui, la campagne menée tous azimuts contre la candidature présidentielle de Anasse Kazib a provoqué un mouvement de solidarité en France. Mis à part les expressions de soutien que l'on retrouve sur les réseaux sociaux, plus de 250 résistantEs ayant un certain pignon sur les moyens de communication ont décidé de signer une tribune sur Le Club de Mediapart le 22 novembre 2021. Je me permets de la relayer un peu plus bas. Et honneur aux signataires ! Quant aux symptômes qu'ils dénoncent, disons pour abréger qu'il y en a trop, soit (des rassemblements ef-frontés) face à la rue (et dans les média), soit dans les média, soit dans les réseaux sociaux.Y compris aux yeux de certainEs ArménienNEs.
Dans une élection au racisme décomplexé, l'absence d'Anasse Kazib serait une défaite
Depuis
septembre, la candidature d’Anasse Kazib pour 2022 donne lieu à de
violentes attaques de l'extrême-droite et fait face à de nombreux
obstacles. Plus de 250 artistes, journalistes, universitaires,
syndicalistes, … dont Assa Traoré, Alain Badiou, Jok’Air, Rokhaya
Diallo, Cédric Herrou, Frédéric Lordon, Aude Lancelin, François
Bégaudeau, Alix Desmoineaux signent une tribune de soutien.
Depuis le meeting de lancement de sa campagne
mercredi 20 octobre, Anasse Kazib fait l’objet d’une violente campagne
d’extrême-droite, avec des milliers de tweets appelant à sa «
remigration » et des centaines de menaces de mort. Largement
invisibilisée dans les médias, cette offensive contre un candidat
d'origine maghrébine à la présidentielle est un véritable scandale qui
doit être dénoncé largement.
De fait, ces attaques racistes
viennent s’ajouter aux difficultés auxquelles s’affronte le cheminot,
figure des mouvements contre le pacte ferroviaire et la réforme des
retraites pour être sur la ligne de départ en 2022. Celui qui est décrit
par certains comme un « anti-Z*mmour » fait en effet face à de nombreux
obstacles : refus politique des banques et des assurances de fournir
les services de base permettant de récolter des dons, coût de la
campagne, black-out médiatique, pressions sur les élu·e·s pour qu’ils
refusent leurs parrainages, etc.
Tout l’inverse des conditions
favorables de la candidature de Z*mmour, qui sature depuis des mois
l’espace médiatique et politique, charriant avec elle un discours
raciste et xénophobe décomplexé. Malgré ses outrances réactionnaires et
ses multiples condamnations, notamment pour haine raciale, la voie vers
l’élection présidentielle de 2022 semble toute tracée pour le polémiste
d’extrême-droite. Qu’importe, semble-t-il, que ses soutiens soient les
mêmes qui tentent d’intimider Anasse Kazib.
Nous sommes convaincus
que dans un système électoral qui se veut démocratique, un candidat
comme Anasse Kazib devrait avoir sa place dans l’élection
présidentielle. Son discours incarne la sensibilité d'une partie de la
population, qui aspire à la transformation d’une société qui ne semble
promettre que chômage de masse, précarité, bas salaires et
discriminations.
En ce sens, et sans nécessairement partager son
programme et son projet, nous apportons notre soutien démocratique au
fait qu'Anasse Kazib puisse se présenter. Dans le cadre d’une élection
que certains veulent centrer sur les thématiques sécuritaires,
xénophobes et racistes, et face aux obstacles opposés à sa candidature,
nous pensons que les partis progressistes et les élu·e·s démocrates ont
la responsabilité de faciliter l’accès à la présidentielle à ce jeune
ouvrier, issu de l'immigration postcoloniale et habitant d'un quartier
populaire, qui a déjà recueilli une centaine de parrainages.
Face à
la virulence du discours raciste et anti-musulman·e·s de Z*mmour, de
ses soutiens mais aussi d’une partie importante du champ politique, ne
pas permettre à un candidat comme Anasse Kazib, qui veut contribuer à
porter le débat sur les questions sociales et démocratiques, de prendre
part aux débats serait une première défaite.
Premiers signataires :
Alain Badiou, philosophe
Céline Beaury, journaliste
François Bégaudeau, écrivain
Savine Bernard, avocate en droit du travail
Saïd Bouamama, sociologue, militant au FUIQP
Taha Bouhafs, journaliste
Youcef Brakni, Comité Adama
Adrien Cornet, CGT Total Grandpuits
Quentin Dauphiné, membre du bureau national de la FSU
Thierry Defresne, délégué syndical central CGT Total
Alix Desmoineaux, influenceuse
Rokhaya Diallo, autrice et réalisatrice
Samir Elyess, Comité Adama et ancien militant du MIB
Nicolas Framont, sociologue
Jean-Bernard Gervais, journaliste, auteur
Robert Guédiguian, cinéaste
Jok'Air, artiste
Kaoutar Harchi, sociologue, écrivain
Cédric Herrou, président de DTC - Défends Ta Citoyenneté
Jean Hugon, syndicaliste étudiant, militant La France Insoumise
Raphaël Kempf, avocat au barreau de Paris
Reynald Kubecki, CGT Havre
Aude Lancelin, journaliste
Didier Lestrade, journaliste, écrivain, fondateur d'Act-up Paris
Mattea Battaglia publie aujourd'hui dans le quotidien Le Monde une chronique qui démarre comme cela :
Les démissions d’enseignants augmentent et l’éducation nationale n’arrive pas à répondre à ce malaise
Des stagiaires qui renoncent, des professeurs qui partent…Rapportés
au total de 800 000 enseignants, ces départs ne pèsent pas grand-chose.
Mais d’année en année, ils se font de moins en moins rares.
Je le commente avec mon frère, lui aussi enseignant, et nous tombons d'accord là-dessus : le régime libéral s'en fout comme de l'an 40 ; le Capitalisme n'a pas besoin de profs pour la plèbe, mais juste d'examinateurs-évaluateurs ("assessors, appraisers"), qui seront bientôt remplacés par des machines.
Le Média propose ici une vidéo qui pourrait vous intéresser :
LE COMMUNISME, LE VRAI, C'EST À PARTIR D'ICI ET MAINTENANT | BERNARD FRIOT & FRÉDÉRIC LORDON
"En travail. Conversations sur le communisme" : c'est le titre du livre récemment publié par Bernard Friot et Frédéric Lordon aux éditions La Dispute, fruit d'échanges entre ces deux figures de la pensée de gauche organisés au printemps dernier par Amélie Jeammet.
Avec Julien Théry, qui les reçoit pour Le Média, les deux auteurs reviennent sur leurs points d'accord, qui portent sur l'essentiel : le communisme réel ne peut se développer ni en fuyant l'économie, les institutions et toute et la sphère de la production capitaliste dans des dissidences, ni en s'en remettant à un futur mythique et messianique.
Bernard Friot s’intéresse à la poursuite de la construction d’institutions alternatives au capitalisme : salaire à vie, propriété d’usage, souveraineté sur l’investissement. Frédéric Lordon développe une philosophie spinoziste des institutions, après avoir, comme économiste, analysé le capitalisme financiarisé. Leurs trajectoires scientifiques et militantes sensiblement différentes n’en convergent pas moins sur la nécessité d’une proposition communiste qui donnerait à une mobilisation générale l’appui de figures et de réalisations concrètes.
Il fallait une authentique rencontre intellectuelle, avec ce qu’elle suppose de confrontation fraternelle des idées, pour aboutir ainsi à cette mise en travail du communisme.
Tandis que les prédateurs persistent, signent et se moquent de la pollution tous azimuts, de la disparition des espèces et des habitats, et du réchauffement climatique, il y en a qui ont quand même oublié d'être cons... (bien qu'ils ne disposent pas de chaînes d'info en continu)
La sécheresse est là, tout comme les trotinettes et les vélos électriques.
« Le fascisme n’est pas le contraire de la démocratie mais son évolution par temps de crise. » Citation attribuée à Bertolt Brecht. Se non è vero, è ben trovato.
La démocratie libérale vous laisse choisir. Entre ceci et cela. En fait, il y a des siècles de ceci et de cela. Et on remarque que cela est ceci avec le folklore en moins. Cela pense, ou laisse croire, qu'en ceci, ceci se trompe et que c'est cela qui est intéressant, tout en acceptant toutefois que ceci est souvent nécessaire, tout en sachant que ceci rentre toujours dans cela —puisque ceci constitue les fondamentaux et la flèche de cela... —ce qui est clair pour les autoproclamés fully paid-up members of the neoimperialist gang (vous savez que cela était anglobal, puis devint Chimérique, puis... on verra). En effet, ceci vaut le coup d'œil, car ceci mis à part, cela risque d'éprouver des difficultés. Qu'à cela ne tienne ! convenait Milton Friedman. D'ailleurs... à quoi cela peut-il tenir ? (Historiquement, à ceci (oui, à ceci), à ceci(oui, à ceci), à tout ceci, etc.)
Nécessité de la cécité, tout ceci n'est pas clair, voire ceci ne veut rien dire, dirait Obama, qui pensait que cela seul amène le vrai bonheur. Mais mon cher, tu le sais mieux que personne : cela a toujours des conséquences, cela est toujours la cause de ceci. Bien que nous sachions, après Nietzsche, qu'il ne faut pas confondre cause et conséquence. Bref, cela sert toujours ceci.
Travail à la demande, Microtravail, Gig Economy, Économie de Plateforme, Travail Participatif, Travail Externalisé, Travail Fantôme, Autoemploi, Autoentrepreneuriat... Applications mobiles de mise en contact, Modernité, Technologie, Confort, Innovation, Efficacité, Libre Concurrence, Leader du Marché, Demande Croissante, Baisse de Prix, Optimisation... (1). Il faut admettre que l'inventivité et les malversations nominales de pure prestidigitation (ou distraction massive) du Capitalisme au service de sa flèche esclavagiste sont inépuisables. C'est une munition nécessaire à ses opérations linguistiques de camouflage dans la guerre véridictionnelle quotidienne (2) : elle est vouée à obnubiler les esprits et à escamoter que toute la structure de son Économie repose sur un sous-précariat mondial, sur une véritable armée de forçats fantômes —tellement planqués dans les différents processus qu'on a du mal à conce-voir qu'ils existent ; les consommateurs jouissent en toute innocence du fruit de terribles corvées comme par magie (Mary L. Gray dixit, dans le film ci-dessous). Le confort qui en découle est chaste et pudique. Quant aux retombées humaines et environnementales de ce système dément, on s'en fout comme de l'an 40. Ce fauxcabulaire —qui se traduit, il faut insister, en dehors du nominalisme, dans la vraie vie, par toutes sortes de mouises et de désastres qu'on s'évertue à ne pas voir— est partagé par ceci et par cela —modernité oblige, la LTI (Lingua Tertii Imperii, la langue du III Reich) a laissé sa place à la LCN (Lingua Capitalismi Neoliberalis, la langue du capitalisme néolibéral). Curiosité finale, l'étymon du mot « famille » est le latinfamilia, et cela égale ceci : « ensemble des esclavisés », famille de famulus « serviteur, esclavisé ». Ceci et cela adorent la famille.
87 minutes - Disponible du 20/04/2021 au 25/06/2021
Prochaine diffusion le samedi 15 mai à 02:10.
Livraison de repas à domicile, voitures avec chauffeur, participation rémunérée à des sondages... Des États-Unis au Nigeria, de la France à la Chine, un voyage à la rencontre des travailleurs "à la tâche" de l'économie numérique mondialisée.
"Accédez à une main-d'œuvre mondiale, à la demande, 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7", promet la plate-forme d'Amazon Mechanical Turk, dite "M Turk", créée au début des années 2000 pour proposer des services allant de la correction de données à la participation à des sondages en passant par l'évaluation de photos pour des sites de rencontres. Elle emploie aujourd'hui un demi-million d'"indépendants" dans 190 pays qui, hors Inde et États-Unis, sont rémunérés en bons d'achat Amazon, pour une moyenne de 10 à 20 dollars par jour. Avec la livraison de repas à domicile et les VTC (voitures avec chauffeur), elle constitue l'un des emblèmes de cette gig economy, littéralement "économie des petits boulots", qui génère un chiffre d'affaires planétaire de 5 000 milliards de dollars, en constante expansion. On estime que 500 millions de personnes en dépendront pour vivre, ou plutôt survivre, en 2025. Car la liberté et la simplicité d'accès qui font le succès des plates-formes reposent aujourd'hui sur leur exploitation.
Pour une poignée de dollars À San Francisco, Al Aloudi et Annette, chauffeurs Uber dont les gains ont fondu, puis disparu avec la pandémie, luttent pour se faire reconnaître comme salariés par la plate-forme. À Strasbourg et à Paris, Leila et ses pairs, livreurs cyclistes de repas, s'engagent dans une bataille similaire contre Deliveroo après l'accident grave dont a été victime l'un d'entre eux. Dans une bourgade de Floride, Jason expose ses combines pour arracher à M Turk quelques dollars de plus, tandis que d'autres "travailleurs fantômes", à Lagos ou ailleurs, décrivent leur sujétion permanente à l'écran pour ne pas rater une opportunité [C'est le contraire de la flexibilité ! Voire ça rend accro !]. Cet aperçu éloquent et sensible de la division planétaire du travail révèle le coût humain, mais aussi environnemental, de l'expansion dérégulée de l'économie numérique, à l'image de ces millions de vélos urbains jetés dans une décharge de Shenzhen, conséquence de la concurrence effrénée entre loueurs.
Réalisation : Shannon Walsh, France, 2020
Dans le film, Nick Srnicek, professeur canadien affecté au King's College London, auteur du Manifeste accélérationniste et de Platform Capitalism, explique les effets de réseau dans ce Capitalisme hyperpuissant de plateformes hyperpuissantes : plus une plateforme est utilisée, plus elle devient intéressante pour les autres. C'est ainsi qu'au bout du compte, un seul acteur [Facebook, Google, Amazon, Uber...] finit par rafler toute la mise. Et Srnicek détaille la méthode Uber, le subventionnement :
Quand ils s'implantent dans une ville, ils offrent des ristournes aux usagers et une très bonne rémunération aux chauffeurs. Résultat : les chauffeurs et les clients affluent sur la plateforme, ce qui déclenche ce fameux effet de réseau. Puis, au bout d'un moment, Uber réduit les ristournes et les rémunérations, et augmente les tarifs. Car une fois que cet effet de réseau est en place, l'entreprise à une position de quasi-monopole et peut dicter ses conditions au marché.
Al-Aloudi, un chauffeur yéménite enrôlé dans Uber à San Francisco, aux États-Unis, témoigne de son cas particulier. Avant, il gagnait 1,20$ par kilomètre et maintenant, c'est entre 37 et 40 centimes. C'est le progrès, c'est le « travailler plus pour gagner plus » —qui, en Capitalisme, signifie « travailler plus pour que d'autres gagnent beaucoup plus » (voir un peu plus bas).
En outre, on est coté : si on a une note de 4,7 ou moins, votre compte est désactivé, c'est-à-dire, vous êtes viré. Ce sont des travailleurs indépendants, tellement indépendants qu'ils ne peuvent pas refuser un passager. Leur indépendance les affranchit du droit de grève, des congés payés, des congés de maladie, des prestations de chômage... L'autoentrepreneuriat est une aubaine !
En Chine, les plateformes de livraison de repas ont réalisé, sur le dos d'une masse esclavisée de livreurs et grâce à l'argent de 410 millions d'utilisateurs, un chiffre d'affaires de 51 milliards de dollars en 2020. Pour dominer ce marché, les plateformes ne font pas payer le coût réel du service aux récepteurs de leur bouffe. Les deux géants sont Meituan (Tencent) et Ele.me (Alibaba) (3).
Et puis, que le Fordisme est devenu ringard (progrès de la régression !) quand on le compare à la microentreprise toujours en ligne ! Ceux qui acceptent des tafs pour "M Turk", en dehors de l'Inde ou des États-Unis, sont payés en bons d'achat utilisables sur Amazon.com, en toute indépendance et de leur plein gré, bien entendu : la boucle est bouclée et les besogneux sont doublement pressés, pardon, mis à contribution, dans cette Économie libérale libre et détestant les impôts. Et le mérite se matérialise en toute sa splendeur : la manne de leurs bienfaits très compétitifs, car le salaire horaire moyen sur "M Turk" est de 2$, tombe, pluie d'or, trickleup effect, sur Jeff Bezos et ses actionnaires. À quoi bon les impôts quand on a la plus-value... D'ailleurs, ils se démerdent fort bien pour pratiquer une évasion fiscale très agressive (4), mot tendance.
Tous les témoignages des galériens de la Gig Economy évoquent une vie misérable et une exploitation méthodique, sans répit : « On peut se donner à fond et ne gagner que 10$ par jour. » « La nuit, je laisse l'ordinateur allumé. Parfois, un boulot arrive à 2h du matin et ça me réveille, je me lève aussitôt et je le fais. Mais une fois que j'ai terminé, j'ai du mal à me rendormir. » Et caetera. Y'a pire, bien pire : c'est à gerber.
À qui profite ce crime ? se demande Srnicek. Le plus pénible, c'est qu'il y a toujours des croyants en la possibilité de réforme de ce vampirisme qu'est le Capitalisme, aujourd'hui finance + tech. « Réformer »cela... ?
Et puis, quand on contemple, abasourdi, cette image improbable de millions de vélos colorés —avant hier partagés— amoncelés dans une décharge de Shenzhen, en Chine, on se dit... on se demande... on...
__________________________________________
(1) Dans le chapitre NO PODER PODER (sic; en fait nicht können können, pouvoir ne pas pouvoir), de La Agonía del Eros (version castillane, 2017, de Agonie des Eros, 2012, de Raúl Gabás et Antoni Martínez Riu), l'essayiste et philosophe sud-coréen et allemand Byung-Chul Han écrit :
La sociedad del rendimiento está dominada en su totalidad por el verbo modal poder, en contraposición a la sociedad de la disciplina, que formula prohibiciones y utiliza el verbo deber. A partir de un determinado punto de productividad, la palabra deber se topa pronto con su límite. Para el incremento de la producción es sustituida por el vocablo poder [de la même façon que challenge, défi, remplace problème après Newt Gingrich, 1996, dis-je, d'abord aux États-Unis, puis dans toutes nos langues colonisées de l'orbe capitaliste.] La llamada a la motivación, a la iniciativa, al proyecto, es más eficaz para la explotación que el látigo y el mandato. El sujeto del rendimiento, como empresario de sí mismo, sin duda es libre en cuanto que no está sometido a ningún otro que le mande y lo explote (1.1); pero no es realmente libre, pues se explota a sí mismo, por más que lo haga con entera libertad. El explotador es el explotado. Uno es actor y víctima a la vez. La explotación de sí mismo es mucho más eficaz que la ajena, porque va unida al sentimiento de libertad.
(1.1) Ce qui n'est même pas le cas sous la férule de sociétés genre Uber, où le Big Brother existe bel et bien, et agit, après envoûtement, comme une Épée de Damoclès normative et structurelle et comme une pompe à fric et à être aspirant une partie souvent grandissante des revenus et de la substantifique moelle en général du soi-disant entrepreneur de soi. C'est-à-dire, le désir d'autonomie, la catalepsie capitaliste ou le besoin de survie matérielle (sous le triomphe de l'immatériel et des misères du présent), ou juste d'air, poussent un nombre croissant de travailleurs à devenir des soi-disant micro-entrepreneurs —sans contrat de travail salarié ni couverture sociale pour les assurances maladies, chômages ou retraites, leur indépendance se bornant à leur solitude face aux risques, aux gages et à la maladie : les grandes entreprises des applications ou des plateformes immatérielles s'en déchargent sur eux, dirait André Gorz, ou du beurre dans les épinards. Ces travailleurs faussement appelés autonomes ou indépendants, car foncièrement hétéronomes (ils reçoivent de l'extérieur les lois qui les gouvernent et sont soumis à la ponction d'une lourde dîme sur le fruit de leurs sueurs), sont en fait plus aliénés que les prolétaroïdes de Theodor Geiger (Begriff qu'il tire en 1932 de Werner Sombart et de Goetz Briefs à propos de ces travailleurs qui se situent dans la strate inférieure de l'échelle productive), puisque, d’un point de vue juridique et de l’organisation du travail, le prolétaroïde était « patron de sa vie laborieuse » et n'était pas soumis à un patron, à ses ordres et à son commandement sur son travail. Cf. Sergio Bologna, Crisis de la clase media y posfordismo, voir ch. 5, Akal, 2006, repris par Marie-Christine Bureau et Antonella Corsani,Du désir d’autonomie à l’indépendance. Une perspective sociohistorique, La nouvelle revue du travail, 5 | 2014, § 6, mis en ligne le 17 novembre 2014, ou par Alberto Santamaría, En los límites de lo posible. Política, Cultura y Capitalismo Afectivo, p. 132-133, Akal, Pensamiento crítico, 2018.
(2) Toute manipulation du langage cherche à rendre invisible l'évident (le très visible) et à faire miroiter l'illusoire, l'impossible. Pour y réussir, il faut une puissance médiatique (une médiation permanente) que le Capital s'achète sans lésiner car il faut occuper tous les espaces, ne rien lâcher en la matière.
(3) De la même façon que nous avons les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) aux États-Unis, 4 géants se sont développés au XXIe siècle chinois : les BATX (Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi).
_________________________________________ (4) Mise à jour du 15 mai 2021 :
Over the last decade, Amazon has generated greater untaxed profits than the total amount of taxes it has ever owed. Much of this has taken the form of “loss carryforwards”—an accounting term that describes qualifying net operating losses that are used to reduce future tax liabilities. Amazon’s net total operating loss carryforwards reached US$ 13.4 billion by 2020. This figure was higher than the total taxes payable by the group for the entirety of the group’s history to date (US$11.71 billion). Much of those losses originated from Amazon’s non-European subsidiaries. Unfortunately, Amazon’s reporting of its international affairs is perplexing and raises doubts about its tax affairs. Subsidiary data reveals that loss-making has been a common and recurring feature distributed across many members of the corporate group. For instance, one of Amazon’s Indian subsidiaries alone generated over US$3.46 billion in cumulative operating losses over the last decade. Its operating expenses averaged 220 percent greater than the level of operating revenues reported by the company.
The conclusion of this study is that Luxembourg is at the centre of Amazon’s system of globally coordinated losses that simultaneously generate also unrepatriated profits. This is supported by observation that Luxembourgish set of entities account for the inexplicable ~75% of all Amazon’s international sales.
Il faut voir comme on nous parle. Comme on nous parle. (Alain Souchon, Foule sentimentale, 1993).
Lo importante no es la gestión, sino la sugestión. (El Roto, El País, 22/04/2021)
Ceci est un cours de novlangue générale (pour apprendre le panache et sa syntaxe) Panache : « Brio et bravoure spectaculaires » (selon Le Robert)
Le journaliste HEC Hugo Travers dispose d’un moyen d’information et d’analyse à gros succès, dépassant largement le million d'abonnés, qui s’appelle Hugo Décrypte. L’actualité expliquée. Ce média est hébergé par la plateforme YouTube, mais Travers se produit également sur Instagram (chaque jour, du contenu exclusif et un résumé clair et rapide de l’actu en moins d’1 minute ! Instantané comme un cliché ?), Facebook et Twitter.
Son cœur de cible, ce sont les 15-25 ans. Grâce à son audience, il a été choisi verbi gratia par Léa Salamé pour interpeller Marine Le Pen, le 14 mars 2019 en direct, sur France 2, puis par Emmanuel Macron en mai 2019 pour une opération de com, vu que le youtubeur était facile à gérer, selon l'agence de son choix, Blog Press Agency, qui avait recruté Travers en 2016. La vidéo concoctée par le jeune décrypteur prescripteur sur la liste européenne de LREM proférait des énormités propres à un naïf ou un collabo : on y apprenait que la Macronie défend "un certain nombre de mesures censées lutter contre le réchauffement climatique", que sa "préoccupation principale" en matière d'économie est de "taxer les géants du numérique" ou encore, qu'elle veut "davantage protéger les travailleurs". Mais, y'a des fois, quand même, que trop, c'est trop...
Voyons, il y a deux mois, Travers a très bien réalisé (très pro) et diffusé sur sa chaîne L’appel à l’aide de notre génération, une compilation vidéo de témoignages de maints étudiants français exprimant une détresse à vraiment faire frémir. Un cri collectif de douleurs individuelles : 30% avouent avoir déjà eu des idées suicidaires ou songé à se mutiler. Très nombreux sont les jeunes qui pensent qu'il ne leur reste que les réseaux sociaux dans cette société libre, plurielle et impitoyable...
C'était le dimanche 31 janvier 2021. Le 2 février, on a montré cette vidéo à Sarah El Haïry, la secrétaire d’État chargée de la Jeunesse et de l’Engagement (sic), et puis, le Live Toussaint, une émission de BFMTV, a proposé un échange en direct entre Hugo Travers et Sarah El Haïry, présenté et modéré par Bruce Toussaint. J’en ai eu vent à travers Clément Viktorovitch.
La prestation verbale de Sarah El Haïry m’a semblé une telle illustration et défense de l’arnaque linguistique libérale que je me suis administré la punition scientifique de l’écouter plusieurs fois afin d’en faire la transcription 99% littérale, tâche éprouvante et probante, dont je vous fais cadeau un peu plus bas comme aide à la compréhension, si j’ose dire, et à l’analyse d’une logorrhée caractérisée. Tous les liens et les remarques entre crochets sont de mon cru.
Je vous signale tout de suite, mesdames et messieurs, qu’elle va parler pour ne rien dire, car elle n’est pas ennemie du colloque ; qu’elle va parler de la situation, tenez ! qu'elle va parler de la situation, sans préciser laquelle ! Ou plutôt du constat, qu'elle va faire à n’en pas finir l’historique du constat, quel qu’il soit ! Il y a quelques mois, souvenez-vous, la situation, ou plutôt le constat, déjà, nous le partagions, et dans cette situation de constat partagé, nous allions vers la catastrophe et nous le savions, nous en étions conscients, le gouvernement et vous, si vous voyez ce que je veux dire, car il ne faudrait pas croire que les responsables d’hier, de juillet, par exemple, étaient plus ignorants de la situation, ou plutôt du constat, que ne le sont ceux d’aujourd’hui ! D’ailleurs, ce sont les mêmes...
Vous pouvez suivre sa transcription ci-dessous —battez bien les concepts opérationnels avant de débiter votre sermon, à votre tour, si l'idée vous prend de saboter votre cerveau et de vous foutre du monde. Puis vous trouverez une glose faite à la va-vite de trois dizaines de commentaires de téléspectateurs, plus excédés les uns que les autres, que j’ai lus sur le compte Twitter d’Hugo Travers.
— ... Bien sûr que j’ai regardé cette vidéo, et ce que j’ai envie de dire [c’est le cas de le dire !], c’est que le constat, on le partage et depuis le 26 juillet, où j’ai rejoint le gouvernement, en fait, on est dans cette situation de... de constat partagé, on a conscience absolument de la situation des étudiants, mais aujourd'hui, ma responsabilité, elle, est d’être dans l'action, elle est comment on apporte des réponses à ces jeunes, et ces réponses, euh, ils [sic] sont multiples, puisqu’il y a des situations et, donc, des étudiants. D’abord, évidemment, des réponses économiques et ça, c’est... ça, c’est notre job, c’est, être ce moteur ; ensuite, des réponses sociales, avec... très concrètement, parce que les jeunes, des étudiants... j’en ai vu à Aurillac, à Reims, à Bordeaux... ils disent la même chose que les mots utilisés dans la vidéo d’Hugo [Depuis quand vous le tutoyez, madame ?]. Et aujourd’hui notre challenge [Madame adore le lexique du GOPAC, Newt Gingrich's political action committee], notre enjeu, c'est de se mobiliser plus fortement, parce que la réponse à leur moral, la réponse à leur énergie, la réponse à leur élan, c’est une réponse sociétale, et moi, je dis, euh, beh, bravo, Hugo, tu as concentré dans cette vidéo des mots qu’on entend, qui sont partagés. Maintenant [, puisque vous, Hugo Travers, lancez l'alerte], passons à l'action et passons à l'action ensemble, puisque tu as utilisé ta force de frappe... pour consolider, eh bien, partageons encore plus fortement les solutions. Les solutions, elles sont multiples. Moi, je pense qu’il faut continuer à accompagner les associations qui se mobilisent. Nightline, par exemple, que je connais, qui est un réseau d’écoute entre étudiants et qui crée la solidarité. Mais aussi, parler encore plus fortement du « chèque psy » [annoncé plus tôt que littéralement la veille] qui permet de créer de la solidarité et une réponse plus... médicale, plus forte à ces jeunes-là. Mais avant tout, notre responsabilité, c’est évidemment de créer l’élan, de garder ce choc de confiance, et donc, c’est une responsabilité partagée entre les familles, les enseignants, les entreprises... c’est tout un pays qui se mobilise pour le moral de sa jeunesse. Et pour ça, moi, c’est un appel, un appel à la mobilisation collective. Parce que, oui, nos étudiants, c’est notre priorité. Et pour ça, on peut tous apporter quelque chose et c’est... et c’est... typiquement des réponses et des solutions que j’ai vues, je pense, à Aurillac ou à Reims, en particulier, où ce sont les associations qui se mobilisent avec les étudiants. » [Là, après deux timides tentatives, l’interrompt Bruce Toussaint, abasourdi, j'imagine, histoire, je me figure, de respirer un peu : « Hugo vous répond ».]
— Moi, je me retrouve face à vous aujourd’hui, mais surtout avec des centaines, encore une fois, des milliers de témoignages [, réplique avec fermeté et humanité Hugo Travers,] qu’on a reçus ces derniers jours, qu’on a essayé de compiler dans le cadre de cette vidéo. Si je devais..., et c'est un peu le travail qu'on a fait ces derniers jours, avec mon équipe de journalistes aussi, de comprendre les problèmes, comprendre aussi le... la vision de ce que ressentent les jeunes, et au-delà de cette détresse, c'est aussi un sentiment de ne pas être écoutés et de ne pas être suffisamment entendus par le gouvernement, c’est quelque chose qui est partagé par beaucoup de jeunes. Y'a eu des annonces qui ont été faites, qu’on a eu l’occasion d’évoquer, nous, sur la chaîne, les questions des repas à 1 euro pour tous les étudiants, le retour en présentiel un jour par semaine, le chèque psy aussi qui a été détaillé notamment hier, d’ailleurs ces mesures ont été... ont été plutôt bien reçues, mais y’a qu’un écho qui est encore très important et qu’on voit d’ailleurs dans cette série de témoignages qu’on a eu l’occasion de publier ces derniers jours, c’est que ces mesures-là sont très loin d’être suffisantes pour la détresse actuelle et on voit les chiffres actuellement encore à l’écran, 40% des jeunes font état d’un trouble anxieux généralisé, une part très importante des jeunes qui pensent à mettre fin à leurs jours et qui sont dans cette situation très très difficile et...
— Hugo, je suis d’accord avec toi [, interrompt la secrétaire d’État]. Il faut se mobiliser, il faut passer à l’action.
— La question, c’est sur... la question... la question, moi, que je vois, à partir des retours que j’ai sur... des jeunes aujourd’hui : est-ce que les mesures aujourd’hui, qui sont mises en place par le gouvernement, sont suffisantes ? Et un certain nombre de jeunes, c’est ce que je vois à travers les messages que je vois tous les jours, ont le sentiment que ce n’est pas suffisant et que même, celles avancées par le gouvernement (...).
— Y’se trouve... y’s trouve que... hier, on discutait avec Hugo sur : qu’est-ce qu’on peut faire ? Parce que la solution, c’est, OK : le constat, il est partagé. Maintenant, on passe... on continue à passer à l’action [continue-t-on...?]. Quand on parle d’isolement, quand on parle, de fait, de se sentir seul et pas trouver sa place, c’est comment on accompagne chaque étudiant pour qu’il puisse se mobiliser ? La semaine dernière, à peine, on a changé les règles du service civique, pour permettre à chaque étudiant de s’engager, de trouver sa place, de rompre son isolement en se sentant utile. Parce que ces étudiants, ils disent aussi : “Eh bien, je me sens seul, je me sens seul après une journée entière de cours à distance.” Eh bien, engagez-vous ! Et nous on est là pour accompagner ces engagements. Et c’est pour ça que je dis à Hugo, c’était... c’était notre discussion d’hier, c’est... il y a des réponses. Économiques, bien sûr, parce que... il faut soutenir l’emploi, mais il y a aussi des réponses sociales, avec les repas, avec les chèques psy... tu l’as dit, tu l’as rappelé... il y a des réponses pour les jeunes diplômés, mais... l’énergie, le moral, l’élan, c’est notre responsabilité collective. Et c’est pour ça que moi, j’apporte une des solutions : le fait de rendre le service civique accessible à tous. Parce que c’est moteur [Hugo Travers rit jaune, alors que la torsion de la lèvre supérieure, côté gauche, de la secrétaire d’État fait mal à voir]. Maintenant, il faut une mobilisation des assos également [autrement dit : aux gens de se bouger le cul, nous ne sommes que le gouvernement].
— Mais ce moral, justement, et encore une fois, c’est ce que... moi, chuis pas... chuis pas militant, quoi, [précise Hugo Travers, « ça se décrète pas », se superpose, épanouie, Sarah El Haïry], je suis juste... j’ai un média en ligne et j’ai relayé, via cette vidéo, les témoignages, donc, je me permets de faire aussi à... face à vous aujourd’hui... les témoignages qu’on a là, ils montrent justement que le moral, il est pas présent et donc..., malheureusement, il suffit pas de dire : “Eh ben, les jeunes, mobilisez-vous, engagez-vous ! il va falloir changer les choses !” La réalité, elle est plus complexe que ça et y'a une détresse sociale qui est immense, une détresse économique, une détresse psychologique, y’a des jeunes qui vont devant les... faire les collectes alimentaires tous les jours pour aller à s’y alimenter, y'a des jeunes qui mettent fin à leurs jours, qui tentent de mettre fin à leurs jours dans des résidences étudiantes…
— Mais tu as raison, chuis... chuis d’accord avec toi, Hugo, mais tu vois, sur la détresse alimentaire, y'a des réponses, moi, ma mission, elle est dans, elles est dans... elle était dans l’action [temps verbal, s.v.p. ?]. Quand tu as une détresse alimentaire... c’est pour ça que le Président... le Président de la République a décrété deux repas par jour à un euro, dans tous les CROUS, parce que ça répond à une... à un... un problème, à une réalité dans notre pays. De l’autre côté, la question aujourd’hui des petits jobs et des petits boulots, c’est aussi une réalité ; c’est pour ça qu’on crée 20 000 jobs dans les campus.
Mais moi, ce que je dis, c’est au-delà de ça. Moi, je crois que la réponse, elle vient pas exclusivement de l’État, et encore plus quand ça touche les... le moment [« Mais l’État peut faire davantage, l’interrompt Hugo Travers, c’est ce qui est relayé par plusieurs... plusieurs étudiants qui disent... »], le moral, les aspects psychologiques, l’isolement… [visiblement, notamment dans ce contexte, l'envie de se suicider ne découle de nulle part, il n'y a jamais de cause efficiente, juste des mous et des molles.]
— Mais l’État peut faire davantage..., c’est ce qui est relayé par plusieurs... plusieurs étudiants qui disent... Et voilà, on a... et d’ailleurs... voilà, on a des organisations plus politisées d’étudiants qui..., syndicats étudiants, qui vont parler d’un RSA pour les jeunes, qui vont parler de davantage de moyens qui doivent êt(re) mis. Mais, ne serait-ce que même d’un point de vue de l’université qu'ils vont dire: il faut que l’on puisse revenir davantage qu'un jour par semaine à l’université, puisque c’est une question de lien social, c’est une question de limiter le décrochage scolaire et universitaire, c’est des questions qui sont très présentes et, encore une fois, là, je me fais simplement le... le porte-parole des milliers de messages qu’on a reçus ces derniers jours sur les réseaux sociaux et de cette vidéo qui a été beaucoup partagée : pourquoi est-ce qu’elle a fait plus de cinq millions de vues ? Pourquoi elle a été autant partagée ? C'est parce que c’est autant de personnes qui... [« Mais parce qu’elle est juste, Hugo, parce qu’elle est juste, oui », se superpose empressée Madame El Haïry.] ... partagent ce sentiment de ne pas être suffisamment écoutées, qu’il n’y a pas suffisamment de mesures qui sont mises en place par le gouvernement aujourd’hui.
— Hugo, moi, tu sais ce que je réponds ? C’est... il y a des mesures, et tu le sais puisqu’on en a parlé. Un jeune sur deux ne connaît pas toutes les solutions qu’il peut... qu'il peut utiliser, qu’il peut saisir. Et aujourd’hui, notre responsabilité, c’est évidemment d’améliorer des propositions et des solutions quand il y a des manques. Ça pour le coup, il faut être extrêmement à l’aise avec ça. C’est pour ça que, juste, cette semaine, il y a l’accompagnement par Pôle Emploi pour les jeunes diplômés qui étaient boursiers et qui ne trouvent pas leur premier job, parce que c’est aussi ça la réalité [surtout quand on supprime délibérément la politique]. Et les solutions, elles, continueront à évoluer autant que nécessaire. Parce que la jeunesse, parce que les étudiants, aujourd’hui, c’est notre responsabilité collective. Mais, moi, ce que je dis, c’est sur la question du moral, sur la question de la mobilisation… Il faut qu’on fasse bloc ; plus de cours, bien sûr, et différenciés. Plus de, plus de... moins d’isolement, plus de solidarité, oui, c’est possible [le slogan comme syntaxe]. Et c[e n’]est possible que si on apporte tous des solutions. C’est pour ça que, moi, je dis : moi, je compte sur toi, tu as fait le..., tu as partagé ce constat, je te dis : oui, il est juste, ton constat, puisque c’est la parole des étudiants en tant que telle, mais partageons tous les solutions, parce que plus les étudiants auront et sauront tous à quoi ils peuvent avoir accès aussi, plus on se mobilisera et plus on pourra améliorer ce qui manque certainement là.
— [Hugo Travers essaie de déclouer le bec, mais il n’y parvient pas devant un tel écoulement...]
— Moi, je suis hyper à l’aise [Blaise] avec ça. Moi, ce que je veux, c’est surtout que nos étudiants, eh bien, ils trouvent l’énergie et le moyen, eh bien, de continuer à persévérer et à trouver le panache nécessaire, parce que c’est notre priorité [sic !!!!]
— Là-dessus, je maintiens qu’il y a deux choses. Il y a des aides existantes qui méritent d’être connues et nous, on en travaille en tant que ... même en tant que média, nous, sur la chaîne, avec mon équipe de journalistes, de faire connaître ces choses-là. Quand Emmanuel Macron a annoncé des repas à un euro, quand Emmanuel Macron a annoncé le retour en présentiel un jour par semaine, on l’a relayé, on en a parlé, et c’est la même chose pour toutes les initiatives qui ont pu être faites et qui peuvent permettre de... d’aider ces jeunes, on est, encore une fois, suivis par essentiellement... individus de vingt-quatre ans ; on est là pour relayer aussi ces éléments qui peuvent les aider. Maintenant, les... les..., la réalité, c’est que ces éléments-là, aux yeux des témoignages qu’on a aujourd’hui, qui remontent au sein de notre média sur les (...) décrites, ne sont pas suffisants pour répondre à ce problème très important de la détresse des jeunes. Et donc, c’est un peu le, le... ce que j’essaie de montrer ici, c’est que... et il y a des jeunes qui peuvent se mobiliser, s’il le faut, mais les jeunes, ils sont aussi... ils sont dans un état aujourd’hui qui est unique, qui est très grave et très très inquiétant, et y’a surement des mesures, en tout cas, c'est ce qu'un certain nombre de jeunes conçoit, qui je... faut aller plus loin.
— Ce que je voulais surtout, s’immisce Bruce Toussaint, c’était vous entendre discuter tous les deux. Mais, en tant que jeune également, poursuit le présentateur, même si je vois beaucoup de gens rire sur le plateau, non, non, plus sérieusement, j’ai le sentiment…
— C’est un état d’esprit…, souffle rigolote Sarah El Haïry.
— ..., bien sûr, je vous remercie, haha, je vous remercie. Je vais vous dire mon sentiment, reprend Bruce Toussaint, c'est que..., oui, je crois qu’il y a une prise de conscience de... de cette détresse et... et qu’effectivement, peut-être que pour la première fois, depuis le début de cette crise, grâce à la mobilisation de gens comme... comme Hugo, y'a une mobilisation, une... une prise de conscience au sommet de l’État [sans rire !]. Mais permettez-moi de vous dire, malgré tout, Sarah El Haïry, que ça ne suit pas, et que cette prise de conscience est déjà pas mal ! mais ça ne suit pas derrière, et j’entends votre discours et je suis certain qu’il est très sincère, mais malheureusement, derrière... je crois que ça ne... ça ne suit pas, si vous... v'voyez ce que je veux dire ?
— Mais... est-ce que vous me rejoignez quand je dis... est-ce que vous me rejoignez quand... quand je dis que le moral, ça ne se décrète pas ? Que l’État, la responsabilité, aujourd’hui, effectivement... ma responsabilité, c’est d’être dans l’action... [persiste et signe Sarah El Haïry]
— On parle pas de moral, Sarah El Haïry, excusez-moi,... [tente Toussaint de l'amadouer]
— Non, non... je veux juste, je veux juste... [persiste, juste, Sarah El Haïry]
— ... on parle pas de moral, on parle de gens qui ont envie de se suicider, qui ont envie de se suicider... [nuance Toussaint, au cas où elle voudrait écouter la prière] [Hugo Travers complète sur la même ligne : « ce sont des jeunes qui déclarent avoir déjà eu... pensé à mettre fin à leurs jours... »]
— Oui ! Et on parle, on parle, [Laverdure, Laverdure ! El Haïry] on parle d’urgence psychologique, et typiquement, typiquement, là, y'a deux choses, y'a Hugo qui parle de... de jeunes qui ne mangent pas. À cela, on apporte des réponses... sociales... so-sociales, économiques, pour aller se nourrir, euh, des aides financières, mais ça, c’est un sujet, mais il n'y a pas que ça. Quand vous parlez de jeunes qui sont dans une détresse psychologique, qui sont prêts effectivement à se suicider, tellement c’est lourd, ça fait onze mois qu’on a une situation sanitaire grave dans notre pays et, eux, ils l’ont vécue de plein fouet, ah, ah... vraiment, pour eux, moi, je dis, oui, la réponse, soit on fait le constat et on fait rien, soit on fait le constat et on apporte des réponses, les réponses que l’État peut apporter à l'heure, à l’instant T, oui, c’est un accès aux psys et aux médecins au plus vite et le plus rapidement possible. Mais c’est pas que ça. Je crois que notre mobilisation, elle doit aussi être au niveau des familles, au niveau des assos, au niveau des enseignants, je vais vous dire pourquoi. Parce que le choc de confiance, la nécessité de croire en demain, l’énergie, tu la trouves pas tout seul. Et c’est là où... effectivement, on peut continuer à se dire qu’on partage le constat, mais vous ne faites pas assez. Moi, je vous dis : Chiche ! Allez, challengez-nous ! [toujours les ravages du GOPAC] Allons ensemble, faisons plus encore ! [Déchaînée] C’est la priorité... et c’est là où il y a… où il y a le constat et il y a l’action, et moi je vous propose de passer à l’action [En dépit de l'horripilation de l'animateur, elle est parvenue à le redire].
— Et je vous propose aussi de saisir une chose [passablement agacé, Hugo Travers se fait pédagogue]. Beaucoup de jeunes proposent aussi de passer à l’action, sauf que, encore une fois, j’ai un média... j'ai un média qui est suivi en ligne, j’ai simplement des jeunes qui ont des témoignages, vous remontez ces témoignages parce que ces jeunes demandent au gouvernement d’agir et la question, c’est « est-ce que le gouvernement répond suffisamment à cette détresse (...) des jeunes ? » [11h33 du 2 février 2021]
Bref, « La Parole s'est faite bruit... et nous matraque », les panoplies veulent manger le peuple. Voilà, les nullités surévaluées qui nous gouvernent tiennent à nous épater, pour mieux nous obnubiler et nous avoir, mais ne sauraient pleinement y réussir : les commentaires du compte Twitter d’Hugo Travers reflètent le déclenchement d'un véritable tollé, sont l'expression d'un sentiment général accablant de sidération face au spectacle servi par Sarah El Haïry en quête d'incantation, et soulignent les mêmes motifs d’exaspération, à savoir, son tutoiement condescendant (« le tutoiement est complètement déplacé, dévalorise presque ton discours et te décrédibilise. », raisonne l’un des commentaires), comme si Hugo Travers était devenu son pote, et son échappée moche du vif du sujet à travers un usage immodéré de la langue de bois, débitée, qui plus est, en boucle itérative : on n’en revient pas devant sa manière de ressasser les mêmes éléments de langage, repris souvent à l'aide d'anaphores, pour brasser du vent et ne pas dire directement que c’est aux jeunes et à la société de se bouger (même sous confinement ou avec des restrictions sévères) et que l’État n’en a rien à faire. Du libéralisme pure verve. Clément commente là-dessus : « Elle était à deux doigts de dire que c’était la faute des étudiants ». Suffrence écrit : « J’ai l’impression qu’on s’attaque aux conséquences du problème plutôt qu’aux causes... aucune mesure sur le long terme... dommage. ». Clt résume : « Tutoiement tout le long de l’intervention, réponses à côté de la plaque, aucune solution proposée... le chèque psy, c’est bien beau, mais on demande une chose, c’est pouvoir retourner en cours [présentiel :] ça fait bientôt 1 an que ce n’est plus le cas. Y’a un moment où c’est plus possible. »
Cette idée de retourner en classe est une revendication étudiante largement répandue en France et prouve les ravages de la télétude, c’est-à-dire, d’un apprentissage basé sur les seules nouvelles technologies, en isolement, une horreur indésirable et un sujet capital dont on parle plutôt peu dans la moderne société libérale.
C'est le nom qu'on attribue généralement au gouvernement
révolutionnaire français établi par le peuple de Paris à la fin de
la guerre franco-prussienne (1870-1871). L'échec de la bataille de
Sedan scelle la défaite française et le 1er septembre 1870, l'empereur
Napoléon III se rend aux prussiens. Deux jours plus tard, les républicains
de Paris se saisissent du pouvoir et proclament la 3ème République,
reprenant la guerre contre la Prusse.
En janvier 1871, les français capitulent après un siège de Paris qui
dure plus de 4 mois. Les termes de l'armistice signé en février prévoient
la tenue d'un vote de l'Assemblée Nationale sur l'éventualité de conclure
une paix avec les prussiens. La majorité des députés - des royalistes
qui veulent restaurer la monarchie - sont partisans de l'approbation
des conditions de paix imposées par le premier ministre de Prusse,
Otto von Bismarck. Les républicains radicaux et les socialistes toutefois,
refusant d'accepter les conditions d'une paix qu'ils ressentent comme
une humiliation, sont en faveur de la poursuite du conflit.
Les 17 et 18 mars, la population parisienne se soulève contre le gouvernement
national qui est contraint de fuir la capitale pour venir s'installer
à Versailles. A Paris, les radicaux installent un gouvernement "prolétaire"
qu'ils nomment Comité Central de la Garde Nationale et fixent la date
du 26 mars pour la tenue d'élections au Conseil Municipal. C'est sous
le nom de "Commune de 1871" que ce Conseil et ses membres, "les communards",
jouiront de leur plus grande notoriété. Un grand nombre de ces "communards"
sont des disciples de Louis Auguste Blanqui, révolutionnaire détenu
à Versailles sur instruction du chef de l'Assemblée Nationale, Adolphe
Thiers. D'autres se réclament de divers courants de l'école socialiste,
notamment les disciples de Pierre Joseph Proudhon et les membres de
l'Association Internationale des Travailleurs dont Karl Marx est à
l'époque le secrétaire correspondant.
La Commune promulgue un grand nombre de mesures en faveur des ouvriers,
mais ne vivra pas assez longtemps pour que celles-ci puissent entrer
en vigueur. En effet, le gouvernement de Thiers est décidé à étouffer
l'insurrection par la force. (...)
Elle est aussi écrivaine, et oulipienne, et une connaisseuse majeure de la Commune : une référence essentielle en la matière. Elle dispose d'un blog incomparable et incontournable —touffu et détaillé comme tout— à son égard : Ma Commune de Paris. N'hésitez pas à y accéder, il est passionnant.
Autrice de cinq ouvrages sur le sujet, parus de 2017 à 2021, Michèle Audin vient justement d'en publier le cinquième...
« Il ne s’agit pas de se jeter des crimes et des cadavres à la tête, mais de considérer ces êtres humains avec respect, de ne pas les laisser disparaître encore une fois. »
La guerre menée par le gouvernement versaillais de Thiers contre la Commune de Paris s’est conclue par les massacres de la « Semaine sanglante », du 21 au 28 mai.
Cet événement a été peu étudié depuis les livres de Maxime Du Camp (1879) et Camille Pelletan (1880).
Des sources, largement inexploitées jusqu’ici, permettent de découvrir ou de préciser les faits.
Les archives des cimetières, que Du Camp a tronquées et que Pelletan n’a pas pu consulter, celles de l’armée, de la police, des pompes funèbres permettent de rectifier quelques décomptes : dans les cimetières parisiens et pour la seule Semaine sanglante, on a inhumé plus de 10 000 corps. Auxquels il faut ajouter ceux qui ont été inhumés dans les cimetières de banlieue, qui ont brûlé dans les casemates des fortifications, et dont le décompte ne sera jamais connu, et ceux qui sont restés sous les pavés parisiens, exhumés jusqu’en 1920…
Avec cette étude implacable, Michèle Audin, grande connaisseuse de la Commune de Paris, autrice de Josée Meunier 19, rue des Juifs (Gallimard) et Eugène Varlin, ouvrier-relieur (Libertalia), rouvre un dossier brûlant.
264 pages — 10 €
Parution : 4 mars 2021
ISBN physique : 9782377291762
ISBN numérique : 9782377291779
Le , sous le titre Lieux communs sur la Commune, Mathieu Dejean (site de Là-bas si j'y suis) nous propose un entretien de 44' avecelle. Dans sa présentation, il souligne justement que, dans ce bouquin, Michèle Audin met au jour les falsifications versaillaises pour masquer le massacre des insurgés [après avoir tout fait pour tuer le plus possible de communards], et dissipe des légendes abondamment relayées par l'Histoire officielle qui —soit dit en passant— a toujours préféré commémorer des personnages comme Napoléon, fabrique d'un imaginaire collectif oblige. Ce n'est pas par accident que la colonne Napoléon, place Vendôme, fut déboulonnée par les communards, avec la participation du peintre Gustave Courbet, le 16 mai 1871. Sa démolition s'imposait...
« La Commune de Paris, considérant que la colonne impériale de la place
Vendôme est un monument de barbarie, un symbole de force brute et de fausse gloire, une affirmation du militarisme, une négation du droit international, une insulte permanente des vainqueurs aux vaincus, un attentat perpétuel à l’un des trois grands principes de la République française, la fraternité, décrète : article unique - La colonne Vendôme sera démolie. (Décret du 13 avril 1781).
Et ce n'est pas non plus par hasard que, l'ordre rétabli, concrètement quatre ans plus tard, la colonne serait reconstruite sur ordre du maréchal royaliste et président de la Troisième République Patrice de Mac Mahon, comte de Mac Mahon et 1er duc de Magenta. Monuments et piédestaux sont le marbre des mythes et des splendeurs imaginaires qui doivent glorifier les noms des assassins et peupler l'imaginaire du peuple. Mêmes buts que les noms des rues, les livres d'Histoire, les pages de la presse libre et plurielle, les JT et j'en passe.
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— D'autres billets Candide sur la Commune :
— Rétrospective Peter Watkins à Paris (2.12.2010). Ce billet contient le film La Commune, de Peter Atkins, en deux vidéos, et un entretien avec le réalisateur enregistré en 2001.
La Commune, par Henri Guillemin par lesmutins.org sur Vimeo. Avec la précision d’un horloger helvète, Henri Guillemin décortique la trahison des élites, la bassesse des bien-pensants, la servilité des "honnêtes gens", la veulerie des dominants tout autant que les raisons qui entraînèrent le Peuple de Paris à la faillite.
Il faut rendre aussi hommage à Henri Guillemin (Mâcon, 1903-Neuchâtel, 1992), historien incisif, hétérodoxe, passionnel et pamphlétaire, spécialiste du XIXe siècle et critique littéraire. C'était un grand contempteur et démystificateur de « l’histoire bien-pensante », grand moteur de sa révision de l'Histoire, et il faut saluer concrètement son effort de précision et de divulgation à l'égard de la Commune, qu'il exposa talentueusement, à partir de son « Salut ! » de démarrage, dans la sobriété monacale d'un studio de la Télévision Suisse Romande, en 1971, centenaire de cette épouvantable tragédie. Il était banni des télévisions française et belge, mais il put heureusement s'épanouir sur la TSR, où il disposa, entre autres émissions, des Dossiers de l'Histoire, séries de conférences sur des sujets historiques ou littéraires.
Le 21 novembre 2018, Les Mutins de Pangée lancèrent un très soigné coffret réunissant en trois DVD les 13 leçons sur La Commune de ce superbe conteur-historien, et son bouquin Réflexions sur la Commune, publié pour la première fois par Gallimard, dans la collection La Suite des temps, en 1971. Une seconde édition à l'identique était parue aux Éd. d'Utovie en 2001, qui coéditent cette 3e édition (corrigée et enrichie) avec Les Mutins. Ce livre de 240 pages inclut également des dessins de Jacques Tardi tirés des 4 volumes de sa saga Le Cri du peuple (Éd. Casterman, premières édition de 2001, 2002, 2003 et 2004 respectivement), adaptation du roman homonyme de Jean Vautrin (Grasset 1999), qui avait à son tour emprunté le titre au journal éponyme fondé par Jules Vallès, avec des collaborateurs comme Jean-Baptiste Clément ou le proudhonien Pierre Denis, et paru pour la première fois le 22 février 1871.
Le premier des trois DVD offre en prime deux compléments. D'abord, la vidéo Henri Guillemin, par Patrick Berthier (17' - Les Mutins, 2018) ; puis Si on avait su (13', ISKRA, 1973), court-métrage d'animation de Stanislas Choko.
"Ce qui m’émeut, dans la Commune, ce qui m’attachera toujours à elle, c’est qu’on y a vu des gens, à la Delescluze, à la Rossel, à la Vallès, à la Varlin (celui-là surtout, quelle haute figure, bouleversante), des hommes qui ne "jouaient" pas, qui risquaient tout, et le sachant, des courageux, des immolés. Parce qu’ils avaient une certaine idée du Bien et qu’ils y vouaient leur existence même." Henri Guillemin, Journal de Genève, 22 avril 1965
IMAGES À TÉLÉCHARGER
— Site d'ARTE :la chaîne franco-allemande nous propose un film d'animation très récent et prodigieux...
(...) En utilisant uniquement des gravures d’époque, mais animées grâce à des effets bluffants, jouant notamment sur la profondeur (les oiseaux volent, la neige tombe, les obus explosent, les flammes dansent…), le graphiste Raphaël Meyssan, accompagné par le scénariste Marc Herpoux, les monteurs du studio d’animation Miyu et les compositeurs Yan Volsy et Pierre Caillet, met en scène un formidable rendez-vous avec l’histoire de la Commune de Paris, si rarement exposée sur les écrans.
Auteur d’une BD ambitieuse intitulée Les Damnés de la Commune (Delcourt, 2017-2019) – trois gros tomes retraçant, à l’aide d’images d’archives, l’histoire aussi brève que sanglante des événements survenus à Paris
entre fin mars et mai 1871 –, Raphaël Meyssan a travaillé de longues années pour amasser des milliers de documents d’époque. (...)
Pour adapter 500 pages à l’écran, il fallait faire des choix. La bonne idée de l’auteur est d’avoir choisi Victorine Brocher comme fil rouge de son premier long-métrage, l’un des personnages importants de sa BD et dont les Mémoires, Souvenirs d’une morte vivante, l’avaient bouleversé, dit-il. Cette mère de famille « au destin exceptionnel » s’engagera avec fougue dans la Commune de Paris, y perdra son très jeune fils puis son mari, mort au combat. Intégrant le bataillon Les Enfants perdus, échappant de peu au massacre, Victorine s’exilera en Suisse, où elle adoptera des orphelins du mouvement communard avant son retour en France, après l’amnistie de 1880.
La force de ce documentaire tient aussi aux soins apportés par l’équipe technique aux bruitages et à une bande-son (trompettes, violons) de qualité. Sans oublier un casting vocal de haute volée : tout au long du film, les voix de Yolande Moreau (Victorine) et de Simon Abkarian (le narrateur) prennent aux tripes.
A ces deux voix puissantes et parfaitement calibrées s’ajoutent celles de Mathieu Amalric (Adolphe Thiers), Fanny Ardant (la mère de Victorine), Charles Berling (Gustave Courbet), Sandrine Bonnaire (Louise Michel), Denis Podalydès (Georges Clemenceau), André Dussolier (le sauveur de Victorine) ou Jacques Weber (Victor Hugo), pour ne citer que les artistes les plus connus. (...)
Le film démarre en 1867, lorsque l'Exposition universelle de Paris vient de fermer ses portes (le 3 novembre). Paris devient un paradis... pour les riches. Mais les loyers augmentent et les pauvres se voient repoussés vers la périphérie : ils s'entassent dans les faubourgs... Comme l'explique Alain Constant un peu plus haut, la perspective et la voix narratrice de cette construction historique découlent des souvenirs publiés à Lausanne en 1909 par Victorine Brocher (1839-1921), une énorme petite communarde (mesurant 1,52 m de taille) qui avait tout perdu sauf la vie. C'est la comédienne et réalisatrice bruxelloise Yolande Moreau qui lui prête sa voix sur les gravures et les dessins. Elle se présente ainsi dans le film :
« Je m’appelle Victorine et j’ai grandi dans la nuit du Second Empire. Depuis mes 14 ans, j’ai fait de nombreux métiers : j’ai été crieuse de journaux, porteuse de pain, marchande de soupe, lavandière, couturière... Je travaille 12 à 14 heures par jour pour un salaire dérisoire. J’habite au pied de la butte Montmartre avec mon mari. C’est un ancien soldat. Je ne peux compter que sur moi-même. »
Elle sera cantinière, puis ambulancière des Enfants perdus, un bataillon de fédérés...
(...) Raphaël Meyssan a adapté les trois tomes de son roman graphique éponyme, pour lequel il avait collecté des centaines de gravures dans les
journaux et les livres de l’époque. De cette patiente quête d’archives − huit ans de recherches −, le graphiste et réalisateur tire
un film unique, à l’esthétique et au dispositif étonnants. La caméra plonge au cœur de ces dessins magnifiques, émouvants et subtilement animés, puis zoome, scrute et caresse pour restituer cette tragique épopée dans le moindre de ses détails en une fresque prodigieuse. À mi-chemin entre Les misérables de Victor Hugo et les bandes dessinées documentaires de Joe Sacco, Raphaël Meyssan compose, en incluant le récit de Victorine, une jeune révoltée, une narration limpide qui parvient, à destination de tous les publics, à rendre fluide le chaos de la Commune. Une réussite.
— Contretemps (revue de critique communiste) : La Commune au jour le jour, par l'historien Patrick Le Moal. À l’occasion des 150 ans de la Commune de Paris, Contretemps publie du 18 mars au 4 juin une lettre quotidienne rédigée par Patrick Le Moal, donnant à voir ce que fut la Commune au jour le jour.