C'est le nom qu'on attribue généralement au gouvernement
révolutionnaire français établi par le peuple de Paris à la fin de
la guerre franco-prussienne (1870-1871). L'échec de la bataille de
Sedan scelle la défaite française et le 1er septembre 1870, l'empereur
Napoléon III se rend aux prussiens. Deux jours plus tard, les républicains
de Paris se saisissent du pouvoir et proclament la 3ème République,
reprenant la guerre contre la Prusse.
En janvier 1871, les français capitulent après un siège de Paris qui
dure plus de 4 mois. Les termes de l'armistice signé en février prévoient
la tenue d'un vote de l'Assemblée Nationale sur l'éventualité de conclure
une paix avec les prussiens. La majorité des députés - des royalistes
qui veulent restaurer la monarchie - sont partisans de l'approbation
des conditions de paix imposées par le premier ministre de Prusse,
Otto von Bismarck. Les républicains radicaux et les socialistes toutefois,
refusant d'accepter les conditions d'une paix qu'ils ressentent comme
une humiliation, sont en faveur de la poursuite du conflit.
Les 17 et 18 mars, la population parisienne se soulève contre le gouvernement
national qui est contraint de fuir la capitale pour venir s'installer
à Versailles. A Paris, les radicaux installent un gouvernement "prolétaire"
qu'ils nomment Comité Central de la Garde Nationale et fixent la date
du 26 mars pour la tenue d'élections au Conseil Municipal. C'est sous
le nom de "Commune de 1871" que ce Conseil et ses membres, "les communards",
jouiront de leur plus grande notoriété. Un grand nombre de ces "communards"
sont des disciples de Louis Auguste Blanqui, révolutionnaire détenu
à Versailles sur instruction du chef de l'Assemblée Nationale, Adolphe
Thiers. D'autres se réclament de divers courants de l'école socialiste,
notamment les disciples de Pierre Joseph Proudhon et les membres de
l'Association Internationale des Travailleurs dont Karl Marx est à
l'époque le secrétaire correspondant.
La Commune promulgue un grand nombre de mesures en faveur des ouvriers,
mais ne vivra pas assez longtemps pour que celles-ci puissent entrer
en vigueur. En effet, le gouvernement de Thiers est décidé à étouffer
l'insurrection par la force. (...)
Elle est aussi écrivaine, et oulipienne, et une connaisseuse majeure de la Commune : une référence essentielle en la matière. Elle dispose d'un blog incomparable et incontournable —touffu et détaillé comme tout— à son égard : Ma Commune de Paris. N'hésitez pas à y accéder, il est passionnant.
Autrice de cinq ouvrages sur le sujet, parus de 2017 à 2021, Michèle Audin vient justement d'en publier le cinquième...
« Il ne s’agit pas de se jeter des crimes et des cadavres à la tête, mais de considérer ces êtres humains avec respect, de ne pas les laisser disparaître encore une fois. »
La guerre menée par le gouvernement versaillais de Thiers contre la Commune de Paris s’est conclue par les massacres de la « Semaine sanglante », du 21 au 28 mai.
Cet événement a été peu étudié depuis les livres de Maxime Du Camp (1879) et Camille Pelletan (1880).
Des sources, largement inexploitées jusqu’ici, permettent de découvrir ou de préciser les faits.
Les archives des cimetières, que Du Camp a tronquées et que Pelletan n’a pas pu consulter, celles de l’armée, de la police, des pompes funèbres permettent de rectifier quelques décomptes : dans les cimetières parisiens et pour la seule Semaine sanglante, on a inhumé plus de 10 000 corps. Auxquels il faut ajouter ceux qui ont été inhumés dans les cimetières de banlieue, qui ont brûlé dans les casemates des fortifications, et dont le décompte ne sera jamais connu, et ceux qui sont restés sous les pavés parisiens, exhumés jusqu’en 1920…
Avec cette étude implacable, Michèle Audin, grande connaisseuse de la Commune de Paris, autrice de Josée Meunier 19, rue des Juifs (Gallimard) et Eugène Varlin, ouvrier-relieur (Libertalia), rouvre un dossier brûlant.
264 pages — 10 €
Parution : 4 mars 2021
ISBN physique : 9782377291762
ISBN numérique : 9782377291779
Le , sous le titre Lieux communs sur la Commune, Mathieu Dejean (site de Là-bas si j'y suis) nous propose un entretien de 44' avecelle. Dans sa présentation, il souligne justement que, dans ce bouquin, Michèle Audin met au jour les falsifications versaillaises pour masquer le massacre des insurgés [après avoir tout fait pour tuer le plus possible de communards], et dissipe des légendes abondamment relayées par l'Histoire officielle qui —soit dit en passant— a toujours préféré commémorer des personnages comme Napoléon, fabrique d'un imaginaire collectif oblige. Ce n'est pas par accident que la colonne Napoléon, place Vendôme, fut déboulonnée par les communards, avec la participation du peintre Gustave Courbet, le 16 mai 1871. Sa démolition s'imposait...
« La Commune de Paris, considérant que la colonne impériale de la place
Vendôme est un monument de barbarie, un symbole de force brute et de fausse gloire, une affirmation du militarisme, une négation du droit international, une insulte permanente des vainqueurs aux vaincus, un attentat perpétuel à l’un des trois grands principes de la République française, la fraternité, décrète : article unique - La colonne Vendôme sera démolie. (Décret du 13 avril 1781).
Et ce n'est pas non plus par hasard que, l'ordre rétabli, concrètement quatre ans plus tard, la colonne serait reconstruite sur ordre du maréchal royaliste et président de la Troisième République Patrice de Mac Mahon, comte de Mac Mahon et 1er duc de Magenta. Monuments et piédestaux sont le marbre des mythes et des splendeurs imaginaires qui doivent glorifier les noms des assassins et peupler l'imaginaire du peuple. Mêmes buts que les noms des rues, les livres d'Histoire, les pages de la presse libre et plurielle, les JT et j'en passe.
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— D'autres billets Candide sur la Commune :
— Rétrospective Peter Watkins à Paris (2.12.2010). Ce billet contient le film La Commune, de Peter Atkins, en deux vidéos, et un entretien avec le réalisateur enregistré en 2001.
La Commune, par Henri Guillemin par lesmutins.org sur Vimeo. Avec la précision d’un horloger helvète, Henri Guillemin décortique la trahison des élites, la bassesse des bien-pensants, la servilité des "honnêtes gens", la veulerie des dominants tout autant que les raisons qui entraînèrent le Peuple de Paris à la faillite.
Il faut rendre aussi hommage à Henri Guillemin (Mâcon, 1903-Neuchâtel, 1992), historien incisif, hétérodoxe, passionnel et pamphlétaire, spécialiste du XIXe siècle et critique littéraire. C'était un grand contempteur et démystificateur de « l’histoire bien-pensante », grand moteur de sa révision de l'Histoire, et il faut saluer concrètement son effort de précision et de divulgation à l'égard de la Commune, qu'il exposa talentueusement, à partir de son « Salut ! » de démarrage, dans la sobriété monacale d'un studio de la Télévision Suisse Romande, en 1971, centenaire de cette épouvantable tragédie. Il était banni des télévisions française et belge, mais il put heureusement s'épanouir sur la TSR, où il disposa, entre autres émissions, des Dossiers de l'Histoire, séries de conférences sur des sujets historiques ou littéraires.
Le 21 novembre 2018, Les Mutins de Pangée lancèrent un très soigné coffret réunissant en trois DVD les 13 leçons sur La Commune de ce superbe conteur-historien, et son bouquin Réflexions sur la Commune, publié pour la première fois par Gallimard, dans la collection La Suite des temps, en 1971. Une seconde édition à l'identique était parue aux Éd. d'Utovie en 2001, qui coéditent cette 3e édition (corrigée et enrichie) avec Les Mutins. Ce livre de 240 pages inclut également des dessins de Jacques Tardi tirés des 4 volumes de sa saga Le Cri du peuple (Éd. Casterman, premières édition de 2001, 2002, 2003 et 2004 respectivement), adaptation du roman homonyme de Jean Vautrin (Grasset 1999), qui avait à son tour emprunté le titre au journal éponyme fondé par Jules Vallès, avec des collaborateurs comme Jean-Baptiste Clément ou le proudhonien Pierre Denis, et paru pour la première fois le 22 février 1871.
Le premier des trois DVD offre en prime deux compléments. D'abord, la vidéo Henri Guillemin, par Patrick Berthier (17' - Les Mutins, 2018) ; puis Si on avait su (13', ISKRA, 1973), court-métrage d'animation de Stanislas Choko.
"Ce qui m’émeut, dans la Commune, ce qui m’attachera toujours à elle, c’est qu’on y a vu des gens, à la Delescluze, à la Rossel, à la Vallès, à la Varlin (celui-là surtout, quelle haute figure, bouleversante), des hommes qui ne "jouaient" pas, qui risquaient tout, et le sachant, des courageux, des immolés. Parce qu’ils avaient une certaine idée du Bien et qu’ils y vouaient leur existence même." Henri Guillemin, Journal de Genève, 22 avril 1965
IMAGES À TÉLÉCHARGER
— Site d'ARTE :la chaîne franco-allemande nous propose un film d'animation très récent et prodigieux...
(...) En utilisant uniquement des gravures d’époque, mais animées grâce à des effets bluffants, jouant notamment sur la profondeur (les oiseaux volent, la neige tombe, les obus explosent, les flammes dansent…), le graphiste Raphaël Meyssan, accompagné par le scénariste Marc Herpoux, les monteurs du studio d’animation Miyu et les compositeurs Yan Volsy et Pierre Caillet, met en scène un formidable rendez-vous avec l’histoire de la Commune de Paris, si rarement exposée sur les écrans.
Auteur d’une BD ambitieuse intitulée Les Damnés de la Commune (Delcourt, 2017-2019) – trois gros tomes retraçant, à l’aide d’images d’archives, l’histoire aussi brève que sanglante des événements survenus à Paris
entre fin mars et mai 1871 –, Raphaël Meyssan a travaillé de longues années pour amasser des milliers de documents d’époque. (...)
Pour adapter 500 pages à l’écran, il fallait faire des choix. La bonne idée de l’auteur est d’avoir choisi Victorine Brocher comme fil rouge de son premier long-métrage, l’un des personnages importants de sa BD et dont les Mémoires, Souvenirs d’une morte vivante, l’avaient bouleversé, dit-il. Cette mère de famille « au destin exceptionnel » s’engagera avec fougue dans la Commune de Paris, y perdra son très jeune fils puis son mari, mort au combat. Intégrant le bataillon Les Enfants perdus, échappant de peu au massacre, Victorine s’exilera en Suisse, où elle adoptera des orphelins du mouvement communard avant son retour en France, après l’amnistie de 1880.
La force de ce documentaire tient aussi aux soins apportés par l’équipe technique aux bruitages et à une bande-son (trompettes, violons) de qualité. Sans oublier un casting vocal de haute volée : tout au long du film, les voix de Yolande Moreau (Victorine) et de Simon Abkarian (le narrateur) prennent aux tripes.
A ces deux voix puissantes et parfaitement calibrées s’ajoutent celles de Mathieu Amalric (Adolphe Thiers), Fanny Ardant (la mère de Victorine), Charles Berling (Gustave Courbet), Sandrine Bonnaire (Louise Michel), Denis Podalydès (Georges Clemenceau), André Dussolier (le sauveur de Victorine) ou Jacques Weber (Victor Hugo), pour ne citer que les artistes les plus connus. (...)
Le film démarre en 1867, lorsque l'Exposition universelle de Paris vient de fermer ses portes (le 3 novembre). Paris devient un paradis... pour les riches. Mais les loyers augmentent et les pauvres se voient repoussés vers la périphérie : ils s'entassent dans les faubourgs... Comme l'explique Alain Constant un peu plus haut, la perspective et la voix narratrice de cette construction historique découlent des souvenirs publiés à Lausanne en 1909 par Victorine Brocher (1839-1921), une énorme petite communarde (mesurant 1,52 m de taille) qui avait tout perdu sauf la vie. C'est la comédienne et réalisatrice bruxelloise Yolande Moreau qui lui prête sa voix sur les gravures et les dessins. Elle se présente ainsi dans le film :
« Je m’appelle Victorine et j’ai grandi dans la nuit du Second Empire. Depuis mes 14 ans, j’ai fait de nombreux métiers : j’ai été crieuse de journaux, porteuse de pain, marchande de soupe, lavandière, couturière... Je travaille 12 à 14 heures par jour pour un salaire dérisoire. J’habite au pied de la butte Montmartre avec mon mari. C’est un ancien soldat. Je ne peux compter que sur moi-même. »
Elle sera cantinière, puis ambulancière des Enfants perdus, un bataillon de fédérés...
(...) Raphaël Meyssan a adapté les trois tomes de son roman graphique éponyme, pour lequel il avait collecté des centaines de gravures dans les
journaux et les livres de l’époque. De cette patiente quête d’archives − huit ans de recherches −, le graphiste et réalisateur tire
un film unique, à l’esthétique et au dispositif étonnants. La caméra plonge au cœur de ces dessins magnifiques, émouvants et subtilement animés, puis zoome, scrute et caresse pour restituer cette tragique épopée dans le moindre de ses détails en une fresque prodigieuse. À mi-chemin entre Les misérables de Victor Hugo et les bandes dessinées documentaires de Joe Sacco, Raphaël Meyssan compose, en incluant le récit de Victorine, une jeune révoltée, une narration limpide qui parvient, à destination de tous les publics, à rendre fluide le chaos de la Commune. Une réussite.
— Contretemps (revue de critique communiste) : La Commune au jour le jour, par l'historien Patrick Le Moal. À l’occasion des 150 ans de la Commune de Paris, Contretemps publie du 18 mars au 4 juin une lettre quotidienne rédigée par Patrick Le Moal, donnant à voir ce que fut la Commune au jour le jour.
Pour adoucir nos confinements, voici un projet intéressant où l'on peut participer ; on pourrait l'appeler l'Écoutothèque de nos Paysages. Vous pouvez juste écouter les paysages décrits ou enregistrer et envoyer vos propres récits souvenirs.
Je vous en colle ci-dessous l'idée et les principes.
DES PAYSAGES INCORPORÉS
En ces temps de confinement, les notions de lieux, de dedans et de dehors, de corps et de mouvement résonnent
différemment...mais le désir "d'aller vers" un ailleurs, qu'il soit
géographique, social, politique ou autre, nous met, de fait, en
mouvement, par la pensée, l'imagination...
Dans
l'intention de soutenir ce mouvement intérieur, de rester en éveil et
d'apporter un peu d'horizon dans une période sédentaire faite de
bouleversements RADIO Horizons-Paysagesrécolte des récits enregistrés réalisés à partir des questions suivantes et posées à plusieurs personnes :
Y'a-t-il un paysage dont vous vous souvenez, dont vous avez fait l'expérience,
et qui s'est déposé dans votre mémoire ?
Un paysage que vous auriez particulièrement apprécié, un lieu que vous aimez re-convoquer en vous ?
Pourriez-vous en faire une description afin de le partager et de le donner à voir, à imaginer, à d'autres ?
Quels sont les paysages que l'on porte en soi et qui nous constituent ?Ces
paysages qui sont passés par le filtre de notre perception et dont
l'existence se situe alors seulement dans notre souvenir et imaginaire,
ces paysages qui ont même parfois disparu pour nous-mêmes et qui sont
enfouis sous des couches d'autres images, d'autres vécus... il s'agit
d'en dé-couvrir les vestiges, bribes, fragments, traces, un peu comme
une recherche archéologique, afin de donner forme concrètement à ces
"images" que chacun.e.s porte en soi, de les rassembler, de créer un
corpus commun, pour créer une bibliothèque de nos paysages, que nous viendrions nourrir tou.te.s ensemble par un geste collectif, ce mouvement d'ensemble.
Ces
paysages pourront alors circuler jusque dans d'autres imaginaires, à
travers les voix, à travers les ondes...et permettre de partager une expérience-pratique de déplacement,
alors que nous sommes contraints à une certaine sédentarité, en
proposant un mouvement, un voyage, une évasion, à partir de soi, de nos
endroits investis au présent et en direction d'autres, auditeurs/trices.
N.B.: Ce projet se situe dans le prolongement de l'installation audio "Récolter Paysages" réalisée en 2011 dans la Drôme. Il a été réactivé sous une autre forme au moment de la période de confinement en Avril 2020.
Voici une longue analyse en la matière, prenant en considération presque toutes les approches possibles en la matière. Le fil que je vous présente ici est le résultat d'un boulot minutieux, touffu et bourré de conseils pertinents, bref, à ne pas négliger.
Organisé en petites pilules informatives ou courtes réflexions, remarques ou questions (en fait, des tweets), il insère des vidéos, infographies, citations et autres références que vous pourrez consulter aussi au fur et à mesure de vos besoins.
Ces financiers qui dirigent le monde - BlackRock (BlackRock - Die unheimliche Macht eines Finanzkonzerns, 91 min., Allemagne, 2019) est un documentaire enquête que nous devons à Tom Ockers et qui a déjà été introduit dans un premier billet de ce blog.
Ce second volet est destiné à faciliter la compréhension du film tant sur le plan linguistique que sur certains aspects financiers et politiques qu'il comporte ou suscite. Dans ce but, j'introduis, reproduis ou résume le scénario du film et j'insère parfois des liens hypertextes, des gloses, des développements ou des remarques de mon cru [toujours entre crochets].
DÉCORTICAGE DU FILM
Ces financiers qui dirigent le monde - BlackRock
L’argent domine le monde. Personne n’en possède plus que l’investisseur financier BlackRock, qui dispose de plus de 6000 milliards de dollars d’actifs : voici le point de départ de cette enquête filmée.
À ce propos, Sylvain Leder précise dans BlackRock, la finance au chevet des retraités français (nº de janvier 2020 du Monde diplomatique, pages 16 et 17) :
Avec Vanguard et State Street, la société forme le gang des « Big Three » : les trois géants de la gestion d’actifs. Ensemble, ils cumulent environ 15 000 milliards de dollars (13 500 milliards d’euros) de capitalisation, soit l’équivalent du produit intérieur brut (PIB) de la Chine, et contrôlent un bloc majoritaire d’actions dans 90 % des entreprises du S&P 500, le premier indice boursier américain.
Mais les deux acolytes de BlackRock ne sont que des nains à côté de ce Léviathan financier. Avec un chiffre d’affaires supérieur à 12 milliards de dollars et près de quatorze mille « collaborateurs » dans une trentaine de pays, la société de M. Laurence D. Fink gère à elle seule plus de 6 000 milliards de dollars, soit près de deux fois et demie le PIB de la France.
BlackRock collecte ces sommes auprès de ses clients afin de les placer dans les titres d’entreprises du monde entier. Notamment à travers son produit-phare : l’Exchange Trading Fund (Fonds négocié en Bourse, ETF). Dès lors qu’il dispose d’un minimum de 600 euros, n’importe quel quidam peut faire appel aux bons services de M. Fink, avec 2 378 modalités d’investissement possibles. Mais si BlackRock s’adresse aux « petits », auxquels l’institution propose des frais de gestion dix fois inférieurs à ceux prélevés pour les placements classiques, il ne néglige pas les gros poissons. Comme le fonds souverain norvégien, le plus important de la planète.
Lorsqu’on brasse autant d’argent, on peut influencer des entreprises, des politiciens et même des États. Avec quelles conséquences pour nous tous ? Pourquoi en sait-on aussi peu sur le plus grand des géants de la finance mondiale ?
Son siège social se trouve sur la 52e rue à New York, dans un quartier de bureaux ordinaires de Manhattan. Ses 14 500 employés brassent plus de 6000 milliards de dollars, un record mondial. Et BlackRock ne cesse de croître. Depuis son introduction en bourse en 1999, son cours est monté à plus de 400 dollars. La première action du groupe en valait à peine 14.
Cette enquête donne la parole a plusieurs spécialistes : journalistes, analystes, anciens employés de BlackRock, professeurs et chercheurs universitaires, activistes... Les intervenants les plus fréquents sont des experts du système sans la moindre trace d’une quelconque velléité anticapitaliste. Ainsi Sandra Navidi, Steven Davidoff Solomon, Robin Wigglesworth, Christopher R. Whalen, David Vizcarra... sans compter les mamporreros(mot castillan désignant, dans un élevage équin, l’homme chargé de guider le sexe de l’étalon durant l’acte de reproduction) ou sous-fifres en poste, genre Stefan Walter ou Laurent Gallissot respectivement, dont les péroraisons relèvent de la bourde éminente et sidérante. On peut penser que lorsque l’ennemi se trompe, il ne faut surtout pas le distraire. Problème : ça persiste et signe, et tient encore. La résistance des matériaux en finance —après analyse des comportements globaux et de ses structures et de ses objets pompés— défie tous les calculs développés jusqu'à présent par la mécanique des milieux continus, qui s'avèrent donc inapplicables aux cotations en continu et, surtout, à leurs victimes, propitiatoires car trop propices trop souvent.
Vu le pathétisme de la rhétorique de tant de faucons financiers, on comprend la loi du silence qu’impose Larry Fink à sa bande ; elle serait en communication requinesque le corrélat de la fameuse loi d’airain dans le domaine des salaires. Il convient de borner le zèle pédagogique de troupes bornées en monde réel : mieux vaut la fermer. Au bout du compte, les grandes affaires de flouze ont une logique interne qui donne des sueurs froides à l’extérieur de la bourse, c’est-à-dire, dans la vie. Et puis, il ne faut pas trop se montrer : si tout abonde de votre côté, il y a grande apparence que la disette régnera du côté despompé.e.s. Il n’y à qu’à huis clos que le lieu est fertile et que les causettes rapportent.
Dans le film d'Ockers, il y a une importante participation de Heike Buchter, journaliste boursière qui a fait des études, soit dit en passant, à Barcelone et à Madrid.
Elle a sur le marché un ouvrage de référence, le seul jusqu'à présent à s'être penché sur les opérations financières de cette multinationale qui tire tant de ficelles en arrière-plan : BlackRock. Eine heimliche Weltmacht greift nach unserem Geld, Campus, août 2015. Version audible. Campus, la maison d'édition, en fait la présentation suivante :
Geld. Macht. BlackRock Mächtig wie kein anderes Unternehmen, doch viel zu vielen unbekannt. Noch nie hat es ein Imperium wie BlackRock gegeben. Mehr als vier Billionen Dollar verwaltet der amerikanische Vermögensverwalter. Keine Bank, kein Fonds hat annähernd so viel Einfluss. BlackRock investiert, analysiert und berät Großinvestoren, Finanzministerien, Notenbanken. Längst hält die "Schattenbank", die unterhalb des Radars nationaler und internationaler Bankenaufsichtsbehörden agiert, relevante Anteile der wichtigsten Unternehmen wie Allianz, BASF, Adidas oder der Deutschen Bank. Gründer und Chef von BlackRock, Larry Fink, spinnt unsichtbare Fäden in der globalen Wirtschaft, aber auch hier, direkt vor unserer Haustür. Eine falsche Bewegung, und die Finanzwelt könnte ins Wanken geraten. Es ist höchste Zeit, BlackRock ins Visier zu nehmen. Autorin Heike Buchter, New York Korrespondentin für Die ZEIT: - hat das erste Buch über den mächtigsten Finanzgiganten der Welt geschrieben. - zeigt, welche Gefahren und Bedrohungen von BlackRock ausgehen. - macht klar, dass uns die Entscheidungen von BlackRock direkt betreffen, jeden Tag. - Dieses Buch ist unverzichtbar für alle, die sich mit der Finanzwelt auseinandersetzen. Und natürlich für alle, die wissen wollen, wer im Hintergrund die Fäden zieht.
En voici ma traduction :
Argent. Puissance. BlackRock. Puissant comme aucune autre entreprise, mais beaucoup trop inconnue. Il n'y a jamais eu d'empire comme BlackRock. Le gestionnaire d’actifs étasunien gère plus de quatre mille milliards de dollars. Aucune banque ou aucun fonds n'est près d’avoir autant d'influence. BlackRock investit, analyse et conseille les grands investisseurs, les ministères des finances et les banques centrales. Le « banc de l’ombre », qui opère sous le radar des régulateurs bancaires nationaux et internationaux, détient depuis longtemps des actions considérables des sociétés les plus importantes telles que Allianz, BASF, Adidas ou Deutsche Bank. Le fondateur et patron de BlackRock, Larry Fink, tisse des fils invisibles dans l'économie mondiale, mais aussi ici, juste à notre porte. Un mauvais mouvement et le monde de la finance pourrait entrer en récession. Il est grand temps de cibler BlackRock / mettre BlackRock dans le collimateur. L’autrice Heike Buchter, correspondante à New-York de Die ZEIT : - a écrit le premier livre sur le géant financier le plus puissant du monde. - montre les dangers et les menaces posés par BlackRock. - indique clairement que les décisions de BlackRock nous affectent directement, chaque jour. - Ce livre est indispensable pour tous ceux qui sont aux prises avec le monde de la finance. Et bien sûr pour tous ceux qui veulent savoir qui tire les ficelles en arrière-plan.
Heike Buchter a suivi depuis le début l’évolution de BlackRock : elle confirme
qu'au cours de ses recherches pour son livre, elle s’est heurtée à un
énorme mur de silence. « Personne ne voulait me parler que sous couvert
d’anonymat », précise-t-elle.
Le documentaire nous explique que BlackRock travaille avec ce que Wall Street appelle OPM, Others People Money, l’argent des autres : des fonds de pension, des assurances et des petits épargnants.
Parmi les gros investisseurs concernés, il y a notamment le fonds de pension norvégien ou le fonds de pension californien (le California Public Employees' Retirement System, CalPERS).
À partir d’une dizaine de millions de dollars placés, nous explique-t-on, BlackRock fournit un conseil personnalisé. Pour les plus petits, BlackRock propose un « produit » plus abordable appelé ETF et constituant un tiers des actifs de l’entreprise. Robin Wigglesworth, journaliste du Financial Times, accorde que c’est un groupe qui devrait être surveillé en tant que plus grand groupe d’investissement du monde et l’un des rois du marché. Philippe Escande, journaliste économique au Monde, admet que BlackRock est ignoré ou très mal connu par le public.
Mais selon Larry Fink, il ne faut pas s’en faire : « les marchés financiers sont contrôlés par tous ceux qui y participent. »
Cynisme exquis : apparemment le nombre de participations n’y serait pour rien, et le nombre immense de participations dans des milliers de grosses boîtes, non plus. Le film poursuit :
Juin 2009 : alors que la[dite] crise tient le monde entier en haleine, BlackRock rachète pour 13,5 milliards de dollars la filiale d’investissement de la banque britannique Barclays, ruinée. Une transaction colossale. Du jour au lendemain, BlackRock voit le montant de ses actifs doubler. Mais plus important encore, la société se lance dans la commercialisation d’ETF, des fonds plus abordables —vendus sous la marque iShares— qui constituent près d’un tiers des actifs de BlackRock. Les petits épargnants, échaudés par la crise, s’y adonnent. Heike Buchter : « les ETF ont pris de l’ampleur après la crise. On a alors vu se développer la plus longue bulle financière de l’histoire, qui ne cesse de grossir depuis maintenant une dizaine d’années. Et au cours de cette période, les ETF ont littéralement explosé. Et leur croissance se poursuit ; pas une fois ils n’ont été ébranlés. »
Depuis 2009, des centaines d’ETF inondent les marchés boursiers. BlackRock permet à n’importe qui d'investir même de petites sommes. Bien que la marque iShares évoque un produit Apple, elle appartient à BlackRock. La société gagne de l’argent en facturant la gestion de ces fonds. Ses tarifs sont nettement inférieurs à ceux de ses concurrents, mais avec 2 000 milliards de dollars placés dans les ETF, l’affaire reste juteuse.
Le sigle ETF signifie Exchange Traded Funds (Fonds Négociés en Bourse). Le principe est simple : on achète non plus des actions individuelles, mais la valeur d'un indice boursier. Prenons un exemple : si quelqu'un achète un ETF qui réplique les performances du CAC40, il investit en fait dans les 40 entreprises qui sont répertoriées. Désormais, la valeur de l'ETF suivra toujours celle de l'indice. Si le CAC40 grimpe de manière globale, l'ETF augmente aussi. S'il chute, l'ETF baisse également. Ainsi plus personne ne décide des actions qu'il faudra acheter. L'ETF suit automatiquement la valeur de la sélection d'investissements qui composent l'ensemble de l'indice. Heike Buchter : « On fait un placement sur tout un marché ou sur un segment de marché : tous les constructeurs automobiles, toutes les actions européennes ou ce que vous voulez. C'est un peu comme chez un marchand de glaces, il y a des ETF à tous les parfums. »
Depuis la crise financière, les clients n'ont plus confiance dans leurs banques. Nombre d'entre eux cherchent une solution transparente et rentable pour leurs placements, d'autant que les comptes d'épargne [comptes de panne, selon le cocasse sous-titrage automatique du film sur YouTube] ne rapportent pratiquement plus rien. Aux États-Unis, les ETF sont particulièrement à la mode. Actuellement, 2.800 milliards de dollars sont placés dans les fonds négociés en bourse. Robin Wigglesworth : « BlackRock est le plus gros pourvoyeur d'ETF. Cela nous a permis à tous [J'adore ce concept libéral de totalité. Au bout de compte, la liberté, comme la Constitution étasunienne, n'a jamais été conçue pour les esclaves, les serviteurs, les indigènes et autres sous-hommes, ou la plupart des femmes] d'épargner à moindre coût [comprenez-vous l'importance du choix des mots ?]. Mais l'énorme pression que cela a créé, a contraint les gestionnaires d'actifs traditionnels à baisser leurs tarifs. L'an dernier, le prix de ces services est tombé à un niveau historiquement bas : deux fois moins élevé qu'il y a 20 ans. Tout le monde [comme le monde est petit !] a fait d'énormes économies. »
Mais l'euphorie suscitée par les ETF retombe soudainement en 2015 lorsque une légende de Wall Street s'en prend par surprise au produit phare de BlackRock. Pour son coup d'éclat, l'investisseur en fonds spéculatif Carl Icahn choisit une émission télévisée dans laquelle le ton est généralement plutôt amical.
En effet, en juillet 2016, le spéculateur milliardaire Carl Icahn (dont la fortune atteint $16,8 milliards en 2019, selon Forbes, c'est-à-dire, environ 15,4 milliards d'euros) s’exprima sans ambages à la télévision devant Larry Fink, dans le cadre de la CNBC Institutional Investor Delivering Alpha conference :
“They sell liquidity,” Icahn said in reference to BlackRock’s ETF business. “There is no liquidity. That’s my point. And that’s what’s going to blow this up.”
Icahn was speaking at the CNBC Institutional Investor Delivering Alpha Conference in New York, sharing the stage with Larry Fink, chief executive of BlackRock. Icahn said he was concerned about the amount of money invested in high-yield ETFs, which he called “overpriced.” (Reuters)
Dans l'extrait du film là-dessus, Icahn et la traduction off du narrateur disent exactement :
« Je crois que BlackRock est une société extrêmement dangereuse. Et je suis sérieux. Il y a ce bus-discothèque dans lequel tout le monde est en train de boire un verre. Ils sont tous là à s’amuser. Et vous savez qui le pousse ? Ce sont Larry Fink et Janet Yellen [présidente du Conseil des gouverneurs de la Réserve Fédérale des États-Unis (FED) entre 2014 et 2018]. Ce sont eux qui poussent ce satané bastringue. » Sous le ton de la plaisanterie, Icahn accuse Fink et Yellen, devant tout le monde, du risque d’une nouvelle crise financière : « Ce bus est sur sa lancée et Janet cherche de temps en temps à le freiner. Larry n’est pas d’accord et les fêtards crient : « Non ! Ne freinez pas ! On s’éclate ! » Et ils foncent droit vers une falaise. Ce truc va plonger, et vous savez sur quoi il va s’écraser ? Sur un black rock, un rocher noir. » “They are going to hit a black rock”.
Puis...
Stefan Walter, Directeur général de la BCE : « les banques doivent posséder plus de fonds propres ; avant la crise, ils en avaient peut-être 8 ou 9% en moyenne. Aujourd’hui, elles en ont dans la zone euro entre 13 et 14%. C’est une moyenne, les chiffres peuvent varier. »
BlackRock brasse aujourd’hui bien plus d’argent que la plupart des banques, mais la multinationale est nettement moins contrôlée : puisque ce n’est pas un établissement bancaire et qu’elle n’accorde pas de crédits, elle n’est pas considérée comme étant d’importance systémique. Stefan Walter : « On dit qu’un établissement présente une importance systémique dès lors qu’il est susceptible, en cas de difficulté, de provoquer dans le système financier un choc qui pourrait avoir des conséquences négatives sur l’économie réelle. »
Mais... justement !
Que se passerait-il si tout le monde voulait vendre ses ETF ? Qui sauverait le système ?, se demande la voix off. Christopher R. Whalen, banquier à Wall Street n’en sait rien... Il est évident qu’une société de gestion n’a pas suffisamment de réserves, de fonds propres en cas de désastre. David Schumacher, professeur assistant d’économie financière à la McGill University (Canada) a publié une étude intitulée Who is afraid of BlackRock? (Qui a peur de BlackRock ?) en collaboration avec Massimo Massa (INSEAD) et Yan Wang (Erasmus University), prônant la régulation de toutes les institutions financières. Évidemment, si tout le monde panique et vend ses actions en même temps, le système imploserait. Qui va acheter des ETF si elles sont en train de plonger ? « Quand il n’y a plus personne le marché plonge. »
En effet, il ne faut pas faire des études pour comprendre cela.
Un ancien salarié rencontré à San Francisco exige un anonymat absolu : il redoute toujours l’influence de son ancien employeur. Il a vendu beaucoup d’ETF. La pression chez BlackRock pour réussir ces ventes était énorme. Vanguard et BlackRock se partagent deux tiers de ce marché. Des millions d’Étasuniens veulent sécuriser leur épargne retraite grâce à des ETF. Ils placent une partie de leurs revenus dans BlackRock qui leur versera plus tard une pension. Steven Davidoff Solomon (professeur de Droit des Affaires, Université de Berkeley) : « Le groupe est d’importance systémique, dans la mesure où il gère une part significative de l’épargne retraite de la population étasunienne. »
Dans un tribunal étasunien se joue un procès croustillant, BlackRock contre BlackRock, entreprise contre salariés. L’entreprise aurait violé son obligation fiduciaire à l’égard de ses employés. La plainte évoque une véritable cannibalisation. BlackRock aurait constamment transféré l’argent de leurs pensions à différents fonds médiocres, et encaissé des frais à chaque opération. Cela signifierait que BlackRock, à chaque opération, aurait oublié l’intérêt de ses salariés, dans le seul but d’accroître ses bénéfices. Le préjudice s’élèverait à des millions de dollars. L’ancien salarié affirme : « Il est probable que BlackRock fera traîner la procédure encore des années et que je ne touche finalement pas un centime. J’estime que BlackRock a manqué à son obligation fiduciaire. Si elle avait pris ses responsabilités au sérieux, elle aurait dû être plus transparente sur son plan tarifaire. » Christopher R. Whalen : « [BlackRock] pèse si lourd qu’il influence le marché. » Steven Davidoff Solomon : « BlackRock est la cheville ouvrière des marchés financiers. (...) Ils ont une énorme responsabilité. »
Oui, à l’échelle mondiale, et pourtant, presque personne ne connaît cette société. Après plusieurs semaines de mails, notre demande d’interview est définitivement refusée. [Cf., plus haut, le témoignage d’Heike Buchter à cet égard.]
L’ancien employé de l’entreprise affirme : « Pour être franc, on se plaignait beaucoup, c’était un environnement très stressant. L’organisation était très horizontale et il y avait pas mal de jeux de pouvoir. Beaucoup de gens voulaient avoir l’air important et gravir des échelons. Les plaintes étaient nombreuses. Quand je travaillais là-bas, on avait l’habitude de dire qu’on nageait avec les requins. »
Cet informateur développait des fonds pour les marchés internationaux. La pression était énorme. L’ancien employé de l’entreprise affirme que la devise non déclarée de BlackRock est Rendre les riches encore plus riches.
La cheville ouvrière : le centre, le pivot, l'élément essentiel.
L'enquête nous mène ensuite à Wenatchee, petite ville de 30.000 habitants, dans le comté de Chelan (État de Washington), tout près de la frontière canado-étasunienne. Elle s’est auto-proclamée capitale mondiale de la pomme, nous dit-on, mais sa principale source de revenus provient d’ailleurs...
Heike Buchter : « Microsoft, Yahoo et d’autres y sont implantés, car le barrage de Rocky Reach leur fournit de l’électricité relativement bon marché. Exception faite des vergers, c’est assez désert, et au milieu de ses pommeraies se trouve aussi BlackRock. »
Dans ce qui ressemble à des entrepôts, se cachent les serveurs informatiques du plus grand investisseur financier du monde. Jour après jour, ils explorent le monde numérique à la recherche de tout ce qui pourrait être utile pour l’industrie financière. Robin Wigglesworth : « La gestion des placements est grandement tributaire de l’information et elle utilise donc bien plus de données que d’autres secteurs. Pas seulement les chiffres du PIB, du chômage ou du cours de la Bourse, mais aussi les images satellites, les données des cartes bancaires, etc. Toutes ces empreintes numériques que nous laissons dans l’économie numérique, les gestionnaires d’actifs s’en emparent et les anonymisent au maximum avant de les utiliser pour réaliser des transactions et surveiller les risques. Et dans ce domaine, Larry Fink a une longueur d’avance... » : Aladdin [acronyme d’Asset, Liability, Debt and Derivative Investment Network, ou Réseau d’investissements en actifs, passifs, dettes et dérivés] est la plateforme de gestion de risques de BlackRock : une intelligence artificielle [composée de 6000 serveurs] qui prend beaucoup de décisions toute seule. Ce programme d’analyse fait 200 millions de calculs chaque semaine afin de conseiller ou déconseiller certains placements.
Prenons un exemple : BlackRock veut savoir si ça vaut la peine d’accorder des prêts immobiliers dans une région donnée. Aladdin remarque que, ces derniers temps, beaucoup de crédits y ont été résiliés prématurément. Dans la masse de données, il découvre une constante : la région compte une proportion importante de cadres d’une grande société informatique. Heike Buchter : « Le problème, c’est qu’ils sont souvent mutés, alors BlackRock dit sachant cela, nous n’allons pas investir dans des hypothèques ici, parce que, si les gens déménagent souvent, elles nous reviendront quasiment à chaque fois. »
Aladdin dissuade donc les clients de BlackRock d’accorder hâtivement des prêts immobiliers dans ce genre de régions. Car si les cadres déménagent régulièrement et résilient souvent leurs prêts, ils payent finalement moins d’intérêts que ce qui était prévu au départ. Solution proposée : augmenter les taux des prêts immobiliers dans les environs des grandes sociétés informatiques.
Mais Aladdin rapporte encore plus d’argent à BlackRock dans bien d’autres secteurs. Quelles sont les entreprises à suivre ? Quelles sont surévaluées ou présentent des risques ? Quels sont les projets des politiques ? Où émergera la prochaine crise ? Aladdin en sait davantage que n’importe qui. Et pour faire appel à ses pouvoirs magiques, il suffit d’y mettre le prix. On ignore ce qui est vraiment stocké dans cette base de données.
L’ancien employé de BlackRock : « BlackRock conditionne les informations qu’elle collecte en fonction des besoins et les revend à de très grosses entreprises qui pourront ainsi gérer leurs propres actifs. En fait, Aladdin est une plateforme de gestion de risques. »
Un outil presque omniscient, selon une pub de BlackRock de 2013 : « Plus puissant qu’un algorithme, et qu’un processeur. Car je suis Aladdin. Une nouvelle forme d’intelligence pour investir autrement. » Heike Buchter : « Aujourd’hui, Aladdin brasse pas moins de 18 milliards de dollars, vous m’avez bien entendu : c’est presque autant que le PIB des États-Unis. Tous les Étasuniens travaillent une année entière pour réunir cette somme qui, quotidiennement, au moment où nous parlons, passe par Aladdin. »
18.000 fois un milliard de dollars, un montant astronomique à 12 zéros.
L’ancien employé de BlackRock : « Mais que se passerait-il en cas de bug ou de piratage ? Ayant utilisé ce produit, je sais à quel point les procédures pour introduire la moindre modification au système sont draconiennes afin de réduire les risques. Cela reste néanmoins préoccupant que tant d’argent passe par cet unique système. Si Aladdin et un autre programme gèrent seuls tout l’argent de la planète, je crains un duopole à la Coca-Cola et Pepsi. Imaginez les risques que cela représente et le pouvoir qu’ils auront. [Et celui qu’ils ont déjà.] C’est un problème systémique. »
Larry Fink avait une maîtrise en affaires immobilières. Il quitta Los Angeles pour se rendre à New York. Heike Buchter : « Larry Fink était banquier d’investissement. Il a commencé chez First Boston. C’était un enfant prodige, un véritable crack. »
First Boston est la banque que Fink quitta en 1988 pour fonder, avec Rob Kapito, le scénario du film le rappelle ensuite, un gestionnaire
d’actifs spécialisé en matière de risques au sein de
BlackStone, un groupe dont le charme captiverait Ana Botella.
BlackStone était en fait un fonds d'investissement fondé en 1985 par Peter G. Peterson et Stephen A. Schwarzman, tous deux issus de l'ancienne banque d'affaires new-yorkaise Lehman Brothers.
En 1995, Larry Fink créa la filiale BlackRock dédiée aux activités
de gestion financière.
Il réalise des gains incroyables. Il aurait joué pas moins d’un milliard de dollars en bourse avec son service, mais soudain, le conte de fées prend fin. Au milieu des années 80, à la suite d’une baisse des taux d’intérêt, les propriétaires échangent leurs vieux prêts onéreux contre de nouveaux prêts à des taux plus avantageux. Larry Fink ne l’a pas vu venir et se retrouve soudain avec, sur les bras, une montagne d’actions dont plus personne ne veut. Heike Buchter : « Il a perdu 100 millions de dollars et est devenu persona non grata dans sa banque. D’autres sont passés par là. Quand vous prenez un tel bouillon, on vous évite dans l’ascenseur comme si vous étiez pestiféré. Plus personne ne veut être vu avec vous. Vous devez alors vous tourner vers autre chose. Ce qu’il a fait. » [Boire un bouillon, c'est avaler de l'eau en nageant et, au sens figuré, essuyer une perte considérable par suite d'une mauvaise spéculation (cf. Boire la tasse), rappelle Le Robert.] Sandra Navidi : « J’ai effectué des recherches pour savoir s’il avait été licencié ou s’il avait démissionné. C’est difficile à dire. Mais c’est probablement lui qui est parti. »
En 1988, Larry Fink parvient à convaincre la société d’investissement Blackstone de créer avec lui une nouvelle entreprise : Blackstone Financial Management mise sur une gestion des risques la plus parfaite possible. Peu après, Larry Fink en change le nom : BlackRock est né. [1995]
L'action du film se déplace à Davos, en Suisse. Pour comprendre vraiment ce que Davos veut dire, je conseille la lecture de l'ouvrage du journaliste et économiste Andy Robinson, Un reportero en la montaña mágica. Cómo la élite económica de Davos hundió el mundo, Ariel, 2013.
Sandra Navidi : « Larry Fink gère des actifs du monde entier, cela va d’un fonds gouvernemental koweïtien à un fonds de pension allemand, en passant par une assurance australienne. Comme il a accès à toutes ces données, dans lesquelles il puise depuis plus de vingt ans, il a un aperçu unique de l’état du monde de la Finance. Et grâce à cela, il produit à son tour ses propres données, il est une pierre angulaire de cet immense réseau de personnes. »
Les interviews de Larry Fink sont rares. À Davos, il a expliqué : « À dix ans, j’ai dû apprendre à vendre des chaussures avec mon père. J’ai donc appris très jeune comment m’y prendre avec les gens et comment répondre à leurs besoins. J’étais bon vendeur. » Il s’agit là d’une des rares anecdotes personnelles connues au sujet de Larry Fink.
Larry Fink devint un vrai homme de pouvoir. Permettez-moi une petite digression : qui veut faire feu de tout bois comprend, sans l’ombre d’une hésitation, que bon arbre, porte bonne ombre ; Fink soutintBarack Obama dans ses campagnes présidentielles de 2008 et de 2012, ce qui ne l'a pas du tout empêché par la suite d'accepter de devenir conseiller économique de Donald Trump en 2016 au sein du Forum stratégique et politique de l'actuel président étasunien. En fait, il n'y a pas de réelle contradiction : crimes de guerre, ploutocratie et politique de classe, déportations, contrôle des investissements étrangers aux États-Unis, extraterritorialité du droit comme arme de guerre économique... Obama-Trump, et tous les présidents, pour l'essentiel, même combat.
Le documentaire d'Ockers nous rappelle ensuite que ce titan de l’influence trouva utile de lancer un coup de com patte blanche à l’intention de ses petits épargnants, genre on s'enrichit pour sauver le monde. Hélas, il y a toujours des trouble-fêtes...
Niklas Hoves (Geschäftsführer „ETHECON - Stiftung Ethik und Ökonomie“), directeur général d’ETHECON (Fondation Éthique & Économie), fondation allemande surveillant l’activité des entreprises, explique que Fink se présente comme un visionnaire et un philanthrope, alors qu’il sait pertinemment ce que font les entreprises où il investit, notamment Rheinmetall AG, conglomérat industriel allemand spécialisé dans l’armement et l’équipement automobile, siégeant à Düsseldorf, qui vend des armes dans le monde entier et dont l’action a pris énormément de valeur. Depuis 2016, son cours a grimpé d’environ 70%.
BlackRock investit aussi dans d’autres gros groupes de l’industrie de l’armement et de la guerre qui s’enrichissent grâce à d’épouvantables guerres civiles, comme celle qui déchire en ce moment le Yémen. Il investit également dans des entreprises qui gagnent beaucoup d’argent en détruisant la nature... Robin Wigglesworth : « (...) Comme le Financial Times et d’autres journaux l’ont déjà fait remarquer, [le discours public de Fink] ne correspond pas du tout à ce que disent les gestionnaires de fonds de BlackRock aux conseils d’administration des entreprises. »
Dommage, nous butons toujours contre le bilinguisme.
Donc, son blabla n’a rien à voir avec la réalité de ses investissements...
BlackRock privilégie les plus rentables et non les plus éthiques. Comme avec Rheinmetall, qui continue de vendre des armes à l’Arabie Saoudite par l’intermédiaire de filiales, et ce malgré l’interdiction d’exporter décrétée par le gouvernement allemand. Et peu importe si le régime saoudien torture ses ressortissants et assassine les journalistes indésirables.
Sandra Navidi : « On l’a notamment vu avec l’affaire [Jamal] Khashoggi. Peu après, une conférence devait avoir lieu en Arabie Saoudite et de nombreux chefs d’entreprise ont dû reconsidérer leur participation. Larry Fink ne s’y est pas rendu, mais quand on lui a demandé s’il avait cessé toute relation commerciale avec le pays, il a clairement répondu que non. »
BlackRock refuse de s’exprimer sur le sujet devant notre caméra, mais dans un document publié en 2018, les choses sont claires : en définitive, un seul critère est retenu par la société au moment de décider si elle soutient ou non la politique commerciale d’une entreprise : „Wir stimmen gegen die Geschäftsleitung [...], wenn das Unternehmen nicht reagiert oder nicht im langfristigen Interesse der Aktionäre zu handeln scheint.“, c’est-à-dire, « nous votons contre la direction si la société ne réagit pas ou ne semble pas agir dans l’intérêt à long terme des actionnaires. »
BlackRock reconnaît donc faire pression sur les entreprises lorsque les affaires ne vont pas comme prévu. Dans ce même document, la société indique également qu’elle souhaite promouvoir des critères ESG, c’est-à-dire, environnementaux, sociaux et de gouvernance. Mais elle ajoute : „ESG wird oft missverstanden und dahingehend interpretiert, dass soziale oder politische Werte im Investmentprozess berücksichtigt werden müssen. Das ist nicht der Fall.“ C’est-à-dire : « Les critères ESG sont souvent mal compris et interprétés comme s’ils impliquaient tenir compte des valeurs sociales ou politiques dans le processus d'investissement. Il n'en est rien. »
Le siège BlackRock à Francfort précise sans ambiguïté : „Asset Manager dürfen die Vermögenswerte ihrer Kunden nicht dazu nutzen, ihre eigenen sozialen oder politischen Ansichten zu fordern.“, c’est-à-dire, « Les gestionnaires d'actifs ne peuvent pas utiliser les actifs de leurs clients pour promouvoir leurs propres opinions sociales ou politiques. »
Le magazine d’affaires allemand WirtschaftsWoche [WiWo] a enquêté sur l’influence de BlackRock auprès des dirigeants d’entreprise et publié son reportage sous le titre „Wie Blackrock die Konzerne kontrolliert“ (Comment BlackRock contrôle les corporations). Johannes Teyssen (1959), patron du groupe énergétique allemand E.ON, déclarait : „Die lassen einen in ihr Headquarter antanzen.“ (« Ils te laissent danser dans leur quartier général. ») Steven Davidoff Solomon : « Ils n’ont pas besoin de rien forcer : simplement, ils décident. »
En 2017, Emmanuel Macron invite à Paris des hommes politiques, des entrepreneurs et des responsables du secteur financier pour la première édition du One Planet Summit. Une décision importante est prise en clôture : avec le soutien de la France et de l’Allemagne, BlackRock devra développer un fonds censé investir, par exemple, dans les industries durables en Afrique.
Laurent Gallissot [alors secrétaire Général du One Planet Summit —il est aujourd’hui à la tête du consulat de France à Miami] : « L’approche de ce projet a été faite à travers effectivement la rencontre entre Larry Fink et le président Macron. Le souhait à la fois de Larry Fink était de s’engager à la demande de ses clients sur des projets d’investissement verts et le président Macron est à l’initiative de cette plateforme d’engagements qui rejoigne beaucoup d’acteurs du secteur privé et acteurs de la finance. » [sic. Oui, c’est la langue qu’on nous débite.]
Larry Fink demande ensuite au président français d’ouvrir les marchés des pays en développement, officiellement, pour sauver le climat. Mais on peut aussi penser que la France et l’Allemagne aident tout simplement BlackRock à conquérir de nouveaux marchés et à gagner des investisseurs supplémentaires.
Laurent Gallissot : « On lui propose de sortir de sa zone de confort. Et, comme il ne connaît pas particulièrement les géographies des pays du Sud, notamment Afrique, euh, les deux agences de développement, que ce soit laKFWou l’AFD, sont pour lui un partenaire essentiel pour maîtriser les risques. »
Une chose est sure : le fonds ne devrait pas investir dans les pays très pauvres, uniquement dans les marchés en expansion. La volonté de BlackRock [, le premier actionnaire de Total, soit dit en passant] de quitter sa zone de confort pour sauver le climat a visiblement ses limites, d’autant que le groupe continue d’engranger de l’argent avec des entreprises peu soucieuses de protéger l’environnement. [Ou la simple décence. À propos.]
Cette contradiction entre paroles et actes a donné lieu à de nombreux actes de protestation.
Larry Fink se fait régulièrement épingler pour ses investissements dans des énergies sales comme le charbon, le pétrole ou le gaz.
Lukas Ross (militant environnemental chez Les Amis de la Terre, Friends of the Earth) affirme ensuite : « le seul prix que Larry Fink mérite est celui de l’imposture climatique. »
Lukas Ross is a senior policy analyst at Friends of the Earth. He works on greening the federal budget and ending subsidies for polluting industries. Previously he was a research fellow at the Oakland Institute, a think tank specializing in land investment and sustainable agriculture. There he worked on biofuel policy and financial sector investment in U.S. farmland. Lukas Ross, a Fellow at the Oakland Institute, is interested in biofuels, the global palm industry, and the role of finance in large scale land investment deals. He received an MA in International Relations and Film Studies from the University of St. Andrews and an MPhil in Politics from Cambridge University. Prior to joining the Oakland Institute as an Intern Scholar, he researched worker-owned cooperatives and other alternative economic models at the Ella Baker Center for Human Rights.
Voilà pourquoi ils lui ont accordé le Climate Fraud of the Year. Le film
montre une scène de dénonciation protagonisée par la militante Miss
Justice Jester.
Heureusement que Robin Wigglesworth est toujours là pour nous philosopher sur la vache condition humaine, responsable selon lui des méfaits d’un système dont il oublie qu'il a été créé pour la seule prédation (1) :
« Un philosophe a dit que du bois courbe dont est fait l’homme, rien de droit n’a jamais été taillé, et BlackRock reste une entreprise malgré ce que peut en dire Larry Fink. »
Jamais, dit-il. Son jamais hérisse nos neurones. Rien de droit n'a jamais été fait autour de lui. Il est possible que ce soit la perception exclusive et constante de quelqu’un qui gagne très bien sa vie à raconter les activités de la finance mondiale, une piscine à requins avides qui n'est pas la mer où tentent de survivre les sardines.
La mainmise de BlackRock grandit à chaque nouvel investissement. Le groupe vote déjà aux assemblées générales de 17000 grandes sociétés du monde entier et influence donc leur stratégie. Pour le chercheur Martin Schmalz [Professeur de Science Financière à l’Université d’Oxford], c’est une bonne raison d’étudier scientifiquement l’influence de l’investisseur financier. Étant donné que BlackRock est le principal actionnaire de très nombreuses entreprises, quelles conséquences cela a-t-il pour l’économie mondiale ? Martin Schmalz : « J’imaginais que Bill Gates était l’actionnaire majoritaire de Microsoft, de même que Steve Jobs ou Tim Cook, chez Apple, ou encore Mark Zuckerberg chez Facebook, comme la presse peut le laisser entendre, mais il s’avère que c’est complètement faux. J’ignorais totalement que dans ces sociétés, les plus gros actionnaires ne sont pas les fondateurs mais Vanguard, BlackRock ou d’autres investisseurs de ce type. »
Martin Schmalz relève notamment que ces groupes investissent dans des entreprises qui sont concurrentes [Adidas et Puma, par exemple]. Les experts parlent alors de « propriété commune » [ou common ownership ; comme nous le rappelle Sylvain Leder dans son article du Diplo, dans le domaine de la Chimie, BlackRock dispose de blocs d’actions non négligeables chez Bayer, BASF, DuPont, Monsanto, Linde, ainsi que chez les français Arkema et Air Liquide.] Avec quelles conséquences sur la concurrence ? Steven Davidoff Solomon (professeur de Droit des Affaires, Université de Berkeley) : « La propriété commune, c’est le fait que les gros actionnaires possèdent des parts dans presque toutes les entreprises du monde. On craint que cela réduise la concurrence. Et, en effet, les sociétés grossissent, elles diminuent en nombre et elles dominent certains secteurs. Mais on ignore si cela est dû aux investisseurs institutionnels. »
Ce qui prouve que l’ignorance est un bien qui se materne.
(Je me dis en passant que ces multipropriétés sont une vieille tradition capitaliste, constituent, en fait, la flèche du système ; pensons, par exemple, à J. P. Morgan, George F. Baker ou William Rockefeller, entre autres, dans les États-Unis du début du XXe siècle)
Afin d’en savoir plus, Martin Schmalz et ses collègues ont analysé le marché du transport aérien étasunien. Il s’avère que les prix des billets des grosses compagnies ont parfois augmenté jusqu’à 11% sous l’influence de la propriété commune. Inversement, quand les gros actionnaires revendent une partie de leurs actions afin de réduire leur propriété commune, alors les prix baissent à nouveau.
Many natural competitors are jointly held by a small set of large institutional investors. In the US airline industry, taking common ownership into account implies increases in market concentration that are 10 times larger than what is “presumed likely to enhance market power” by antitrust authorities. Within-route changes in common ownership robustly correlate with route-level changes in ticket prices, even when we only use variation in ownership due to the combination of two large asset managers. We conclude that a hidden social cost – reduced product market competition – accompanies the private benefits of diversification and good governance.
Les recherches de Martin Schmalz montrent l’influence de la propriété commune sur le comportement des dirigeants d’entreprises concurrentes : quand ils savent que leurs propres investisseurs ont des parts dans d’autres entreprises, ils ont tendance à moins se battre sur le terrain de la concurrence. Ce faisant, ils amorcent une spirale dangereuse. Martin Schmalz : « Si le PDG de la première entreprise fait un peu moins d’effort pour réduire les coûts et peut ainsi accroître ses profits et que le PDG de la seconde fait de même, alors les coûts vont augmenter globalement dans le secteur, ça va ralentir la demande et conduire les entreprises à moins produire... Quand les entreprises produisent moins, les prix des produits sont plus élevés, du simple fait que moins d’offre fait monter les prix. On peut donc se retrouver dans une situation paradoxale, où les marges augmentent dans le secteur alors même que l’effort de réduction des coûts est moindre. »
Cette étude a fait grand bruit dans le monde entier, même la célèbre université de Berkeley surveille cette nouvelle menace qui plane sur la concurrence. Celle-ci, si Martin Schmalz a raison, ne serait plus en péril uniquement en cas d’accord direct sur les prix.
Martin Schmalz a également étudié le secteur bancaire étasunien. Là encore, plus la propriété commune est importante, plus les frais des comptes sont élevés et plus les intérêts perçus par les clients sont faibles. Martin Schmalz : « Nous nous sommes penchés sur les banques, mais d’autres se sont intéressés aux prix pratiqués par les grands groupes de semenciers et on a, là aussi, montré les effets de la propriété commune. Une demi-douzaine d’études indique que la propriété commune influence la faculté d’innovation des entreprises. » Robin Wigglesworth, journaliste économique du Financial Times : « Si la concurrence disparaît, nous allons nous retrouver, dans le pire des cas, avec un capitalisme de copinage, ce qui n’est pas sain. Je pense que nous en sommes encore bien loin », dit-il, [ce qui prouve que la distance est un concept flou ou difficile à saisir]. Il souligne néanmoins que « certaines hypothèses avancées par Martin Schmalz et d’autres sont fascinantes ». Elles inviteraient « à la vigilance et à la réflexion, car BlackRock et d’autres pourvoyeurs d’EDF continuent de grossir. »
Schmalz s’est exprimé devant plusieurs audiences. On le voit ensuite, dans le film, devant l’Office Fédéral des Ententes, l’autorité allemande de la concurrence, à Bonn.
Andreas Mundt, président de l’Autorité allemande chargée de la concurrence : « À ce jour, aucun cas n’a encore mené à une interdiction pour ce motif. »
Où l’on voit bien comment les institutions régulatrices du libéralisme veillent à notre bien-être. Qu’à cela ne tienne !
D’après les spécialistes, les trois plus gros fonds d’investissement
seraient actionnaires majoritaires dans 90% des 500 plus grandes
entreprises des États-Unis. La propriété commune est donc la règle et
non l’exception.
Plus le débat fait rage, plus on voit surgir des contre-expertises censées renforcer la position de BlackRock. La direction de l’entreprise ne manque pas une occasion de critiquer les conclusions de Martin Schmalz.
La Commission Fédérale du Commerce organisa une audition à New-York en novembre 2018. Les allégations de l’économiste allemand menacent les intérêts de BlackRock. La réponse des représentants de la direction de l’investisseur n’en est que plus cinglante.
Barbara Novick (Vice-présidente de BlackRock) : « Remédier à la propriété commune en limitant les investissements à une entreprise par secteur rendrait la possession de portefeuilles diversifiés désormais impossible. Or, cet engagement est crucial dans la chaîne de responsabilité. Il bénéficie autant aux actionnaires qu’à la société tout entière. »
En clair, BlackRock lutterait pour le bien-être de la société et le professeur d’Oxford aurait commis de nombreuses erreurs. Sa compétence scientifique est explicitement remise en cause.
BlackRock nous fait également parvenir d’innombrables contre-expertises. La pression exercée sur Martin Schmalz est considérable.
Martin Schmalz : « On a le sentiment que leur pouvoir s’étend jusque dans les milieux universitaires. »
Au moment de la crise, BlackRock ne jouait aucun rôle à Wall Street. Ce sont principalement les banques qui ont failli faire sombrer l’économie mondiale.
En septembre 2008, la banque d’investissement étasunienne Lehmann Brothers fait faillite, ébranlant dans son sillage le système financier mondial. L’une des tâches les plus urgentes consiste alors à déterminer la gravité réelle de la situation pour les divers instituts bancaires. Sur quels titres toxiques ont-ils spéculés ? Quelle est l’ampleur des dégâts ? Qui peut répondre à ces questions ? Et, surtout, à qui peut-on encore se fier ?
La tradition de nos autorités est de se fier à nos Robin Hood attitrés et il y a des habitudes qui ne changent pas, dans la mesure où elles sont des déterminations systémiques. C’est un peu comme le ministère du Budget : on a recours à un Cahuzac et s’il tombe, on a toujours à disposition un Cazeneuve, un Eckert ou un Darmarin, comme avant un Copé, un Woerth, un Baroin ou une Pécresse, mais ce sont toujours la probité et la cause du peuple qui triomphent, joie que nous devons à l’alternance libérale, féconde garantie de permanence.
Robin Wigglesworth, journaliste économique du Financial Times : « En temps normal, la BCE et les différents gouvernements seraient allés demander conseil à Goldman Sachs, JP Morgan ou la Deutsche Bank, mais après la crise, c’était politiquement délicat. »
Il veut dire par là que, malgré le bourrage de crâne permanent, il y a encore pas mal de gens infoutus de comprendre qu'afin d'éteindre un incendie, on ait recours aux pyromanes les plus caractérisés.
Toujours Robin Wigglesworth : « Alors, quand vous cherchez quelqu’un qui connaît vraiment bien les marchés [comme Al Capone connaissait bien le marché de l’alcool à Chicago], vous vous tournez vers les investisseurs, les gestionnaires de fonds qui passent leurs journées à réfléchir aux marchés et à leur bon fonctionnement. Il était donc naturel qu’ils deviennent des conseillers de premier plan. »
Aux États-Unis, le secrétaire au Trésor et la Réserve Fédérale s’adressent à Larry Fink et chargent BlackRock d’analyser les comptes d’AIG, le plus grand groupe d’assurances du monde. Larry Fink assure au directeur de la Réserve Fédérale de New York, Timothy Geithner, qu’Aladdin permettra à son équipe de reconnaître les titres toxiques. Aladdin devient donc la bouée de sauvetage de la Réserve fédérale, totalement démunie. Aucun appel d’offres n’est réalisé. Heike Buchter : « Ces projets ne s’obtiennent pas sans relations. Bien sûr, ils sont annoncés, mais avec BlackRock étonnamment, on fait souvent valoir qu’il fallait aller vite, trouver quelqu’un en urgence. »
Le contrat suivant ne tarde pas à venir. Le président étasunien Barack Obama et Timothy Geithner doivent sauver Citigroup. Personne ne sait exactement combien de créances douteuses détient la banque. BlackRock entre dans son calculateur toutes les informations et les données concernant le géant bancaire.
Résultat, le gouvernement étasunien alloue à ce dernier des milliards d’aides publiques. Markus C. Kerber [Professeur de Science Financière, Technische Universität (TU) Berlin] : « Si l’autorité de contrôle du secteur bancaire ne peut pas définir elle-même les critères de robustesse d’une banque, elle capitule. Cette connaissance privilégiée ne peut et ne doit être développée que par ce gendarme lui-même et elle doit rester sa prérogative exclusive. »
Lorsqu’en 2009, Barack Obama nomme Timothy Geithner secrétaire au Trésor, Larry Fink obtient l’entrée directe à la Maison Blanche. Les perspectives s’annoncent exceptionnelles pour BlackRock.
À mesure que ses liens avec la Réserve fédérale et le secrétaire au Trésor se renforcent, de nouveaux domaines d’activités s’ouvrent pour BlackRock, désormais chargé de tester la résistance des banques étasuniennes.
L’Europe aussi fait bientôt appel aux services de BlackRock. À la suite de la crise financière, l’UE renforce la réglementation sur les banques. En 2014, la BCE est chargée du contrôle bancaire européen. Stefan Walter (Directeur Général de la Banque Centrale européenne) : « Lorsque nous avons mis tout cela en place, en 2014, nous avons rapidement dû procéder à une évaluation complète de l’ensemble du système bancaire. Nous disposions encore de peu d’effectifs. C’est pourquoi nous avons aussi sollicité l’aide de consultants externes, pour nous aider à mettre tout cela sur pied. L’avantage, c’était que certains travaillaient pour d’autres autorités de contrôle internationales. Nous avons donc pu intégrer les bonnes pratiques de chacun d’entre eux. »
C’est depuis ces bureaux que sont actuellement régulées les principales banques européennes. Les employés de la BCE collaborent avec BlackRock et d’autres consultants externes [sans la moindre ombre de conflit d’intérêt, bien entendu]. La plus haute autorité de contrôle public en Europe partage ainsi ses données économiques les plus sensibles avec BlackRock. Larry Fink ne risque-t-il pas de se servir de ces informations pour son propre compte ?
À cette question rhétorique ou maïeutique, Stefan Walter répond d'une manière... comment dire ? Bref, il se fout allégrement de nos gueules et évoque à ce propos des Murailles
de Chine (expression employée dans la finance à partir du crash de 1929) :
Stefan Walter (Directeur Général de la Banque Centrale européenne) : « On s’assure que les consultants que nous avons choisis mettent en place des « Chinese Walls » pour dissocier clairement leur activité de conseil pour nous de la gestion qu’ils opèrent pour leurs propres clients. C’est parfaitement normal dans une banque d’investissement. Et s’il s’avérait que quelqu’un mélangeait un peu les genres, il serait renvoyé sur-le-champ. »
En débitant ce bobard, ce farceur de Walter est visiblement sur le point de craquer de rire.
(...) the advisory services BlackRock provides to the ECB, as well as the national central banks of the Netherlands, Spain, Ireland, Cyprus and Greece, have a much more enticing perk than petty cash: information.
Through the contracts awarded to BlackRock Solutions, BlackRock, the parent company has potential access to privileged information that can help it make highly profitable investment decisions. On behalf of its clients, BlackRock holds huge blocks of shares in many, if not all, of the banks that its consulting arm is helping to audit.
Few, if any, market players have such intimate knowledge of the true state of European banks’ balance sheets.
« (...) les conseils que BlackRock fournit à la BCE ainsi qu’aux banques centrales des Pays-Bas, de l’Espagne, de l’Irlande, de Chypre ou de la Grèce lui rapportent bien plus que de l’argent : de l’information »), souligne l’économiste Don Quijones.
Comment fonctionnent ces « Chinese Walls », ces fameuses murailles de Chine ?
Prenons un exemple. En tant que consultant auprès de la BCE, BlackRock a accès à des renseignements exclusifs sur la valeur d’une banque. En théorie, la multinationale pourrait utiliser ces connaissances à son avantage pour spéculer à Wall Street. Mais cela serait totalement illégal. Par conséquent, les services d’analyse et d’achat doivent être séparés par une barrière infranchissable. Chaque société embauche à cet effet des employés supplémentaires censés protéger ces murailles. Robin Wigglesworth (Financial Times) : « Ces gens sont assis à côté des gestionnaires de fonds et leur disent : « Vous ne devriez pas faire ceci. Vous ne pouvez pas parler à ces personnes. » Ou encore « Vous devez déclarer cela. » Il y a aussi différents programmes de contrôles informatiques. Nous savons que l’être humain excelle dans l’art de contourner ces contrôles. Mais le souvenir de la crise est néanmoins encore très frais. Pour l’heure, il y a quelques pommes pourries dans le panier, car il y en a toujours, mais cela ne constitue pas une menace imminente. »
Bien entendu, cher Robin, ce n’est pas un problème systémique, structurel, c’est juste la nature, y compris celle de ma grand-mère. Ce qui intéresse ce que le système est génial..., très bien géré, comme le disait Minc (cf. émission Face à Alain Minc diffusée le 8 janvier 2008 sur Direct8.)
De la fumisterie considérée comme un des beaux-arts.
Donc, pas de souci : si vous êtes persuadé que ça va péter, Minc et Wigglesworth sont là pour nous rassurer : la plasticité du plastic nous protège, nous et la planète.
Néanmoins, Ockers persiste et se demande...
Les « Chinese Walls » peuvent-ils réellement prémunir contre tout délit d’initié ? Le doute est permis lorsque l’on revient sur la crise de l’euro. En juillet 2015, BlackRock a en effet acheté des obligations d’État grecques, au moment même où le monde entier spéculait sur une prochaine chute de leur valeur. Ce que presque personne ne savait à l’époque, c’était que BlackRock venait d’éplucher les comptes des banques grecques à la demande de la BCE. BlackRock a-t-elle utilisé illicitement ces informations ?
Peu de temps après, la faillite de la Grèce a été évitée et les primes de risque sur les obligations d’État grecques ont chuté, ce qui s’est avéré rentable pour la multinationale. Pour sa défense, BlackRock rappelle qu’elle est une société réglementée. L’équipe de consultants indépendants qu’elle a monté en 2008 est, dit-elle, « strictement séparée des services d’investissement, y compris physiquement. » En outre, elle est régulièrement soumise à des contrôles techniques et opérationnels.
Pour Philippe Escande [éditorialiste au Monde], les murailles de Chine, c’est le grand mythe de la Finance. « Comme dans toutes les murailles, il y a toujours des trous par lesquels les choses peuvent passer. »
En Grèce, le groupe étasunien éveille à nouveau des soupçons. Alors que le pays, lourdement endetté, est pressé par l’Union européenne de privatiser ses bâtiments publics, BlackRock investit dans l’immobilier avant tout le monde. C’est l’ancien banquier Paschalis Bouhoris qui organise la privatisation pour le compte de l’État. Peu de temps après, il obtient un poste de direction dans la succursale grecque de BlackRock.
Pour la BCE, les conseils d’une société de fonds financiers sont chers, même avec les Chinese Walls. Mais elle espère reprendre bientôt son indépendance, selon l'indépendant Stefan Walter.
Non seulement BlackRock est le premier investisseur financier du monde, mais la société conseille également les gouvernements et les banques centrales. Beaucoup craignent que cette activité lui donne accès à des informations sensibles sur le système financier qu’elle pourrait utiliser à son avantage. Mais même si BlackRock ne tire aucun parti de ces connaissances d’initié, une question se pose : à quel point BlackRock, est-elle liée au monde politique ?
Depuis 2008, BlackRock investit massivement au Mexique. À l’approche des élections présidentielles de 2018, la multinationale a des raisons de s’inquiéter lorsqu’un nouveau candidat se présente : Andrés Manuel López Obrador (AMLO), ancien maire de Mexico et politicien de gauche
... de gouvernance néolibérale, comme on va voir. Il était soutenu par son parti, le Movimiento Regeneración Nacional (MORENA), et par le Partido del Trabajo (PT) et le Partido Encuentro Social (PES). Marichuy pense que son évolution continue, tout comme les migrants de l'Amérique centrale, malgré sa charmante bonhomie.
Beaucoup de [spéculateurs craignaient] qu’il ne nationalise d’importants secteurs de l’industrie, comme le souhaitent nombreux de ses partisans. Le secteur de l’énergie récemment privatisé était au cœur des débats. BlackRock y avait placé beaucoup de pognon et prévoyait d’investir dans un nouveau gazoduc. Avec l’ancien président [Enrique Peña Nieto], la confiance régnait. Mais l’élection d’un président de gauche imprévisible [sic] risquait de mettre en péril les investissements du groupe, qui avait misé plus de 60 milliards de dollars sur divers fonds au Mexique (pays préféré de Larry Fink), [rappelle le conseiller économique David Vizcarra en castillan].
Le contraste ne pourrait être plus grand. Alors que BlackRock brasse des milliers de milliards de dollars à travers le monde, le modeste siège du parti de López Obrador se situe dans un quartier populaire de Mexico.
Pour parler à AMLO ou à ses hommes de confiance, il faut normalement passer par le hall d’accueil [images ad hoc] de ce modeste bâtiment. Larry Fink en est toutefois dispensé lors de sa venue en mai 2018. Avec d’autres gestionnaires financiers, il a le privilège de rencontrer le politicien de « gauche » dans un hôtel de luxe. Le contenu de leurs discussions reste confidentiel. Toujours est-il que le candidat au bras d’or déclare alors publiquement que les fonds d’investissements étasuniens restent les bienvenus au Mexique.
David Vizcarra (conseiller économique) : « Je crois que cette rencontre a été, et j’insiste sur ce point, une marque de confiance. Ça allait bien au-delà d’une simple démonstration de bonne volonté. »
Peu de temps après, AMLO est élu à la tête du pays [il est le président du Mexique depuis le 1er décembre 2018]. Beaucoup veulent renationaliser des secteurs de l’économie privatisée dans lesquels BlackRock a placé des milliards. Cependant, après sa victoire électorale, le nouveau président n’en parle plus et il n’en reparlera sans doute plus jamais.
David Vizcarra : « La possibilité que le président López Obrador confisque ou chasse les capitaux étrangers investis au Mexique dans le secteur de l’énergie, est nulle. Pratiquement nulle. Pour une question de survie ; aucun organisme international, que ce soit le FMI, la Banque mondiale ou la Banque de Développement ne prêterait de l’argent au Mexique pour compenser ces sommes. » [Sans entrer dans d’autres détails, ce raisonnement ne tient la route qu’à moitié : on peut avoir besoin de compenser une perte, pas une confiscation.]
BlackRock s’était établie dans le secteur énergétique mexicain il y a une dizaine d’années, mais ce n’est que récemment que la journaliste Claudia Ocaranza a regardé de plus près le contrat signé à l’époque.
Avec peu de moyens, elle enquête sur les lobbys pour le compte de l’ONG PODER. Pour des raisons de sécurité, nous ne pouvons pas filmer l’extérieur de son bureau [dans le premier semestre de 2019, dix journalistes avaient été assassinés au Mexique].
Au cours de ses investigations, Ocaranza a découvert un réseau de relations entre les milieux politiques et économiques au sein de l’élite dirigeante du Mexique. Un nom revenait sans cesse, celui de BlackRock. Depuis 2011, des personnalités importantes du pays entretiennent des relations étroites avec le groupe financier.
Pour commencer, BlackRock a engagé le fils de Carlos Slim. Le premier entrepreneur du Mexique, à l’époque l’homme le plus riche du monde, était en très bons termes avec la multinationale. Peu après, [le 9 avril 2013,] BlackRock a engagé Gerardo Rodríguez Regordosa, alors secrétaire d’État aux Finances. Il s’était prononcé en faveur de la privatisation des entreprises publiques, ce qui allait dans le sens de son futur employeur, BlackRock.
En 2015, Larry Fink a rencontré le président de l’époque, Enrique Peña Nieto, au sujet de la compagnie pétrolière publique Pemex. Claudia Ocaranza : « On ne sait pas exactement ce qui s’y est dit, mais il existe un mémorandum d’entente entre BlackRock et Pemex. Il n’est donc pas difficile de comprendre à quoi a servi cette réunion. Alors, Pemex, qui était une entreprise publique, est devenue une entreprise semi-publique. Cela signifie que son capital a été ouvert aux investisseurs privés nationaux ou étrangers. »
Claudia Ocaranza a eu accès au mémorandum. Il prévoit la création d’un bureau d’étude commun à BlackRock et Pemex ayant pour but de soutenir leur collaboration dans des projets énergétiques au Mexique. Le contrat proprement dit qui contient tous les détails reste à ce jour confidentiel. Claudia Ocaranza : « Officiellement, car il s’agirait d’un secret commercial et que cela pourrait menacer la relation entre BlackRock et Pemex, ainsi que la concurrence. Aujourd’hui encore, on ignore quel est le pourcentage maximal que BlackRock peut détenir dans une entreprise énergétique ou quelles sont ses obligations en matière d’investissements. On n’en sait toujours rien. »
Mais, selon Claudia Ocaranza, BlackRock a accès à de gros projets énergétiques comme le gigantesque gazoduc Los Ramones. Avec un partenaire, la multinationale a injecté 900 millions de dollars pour développer cette infrastructure qui va relier le centre du Mexique aux sites de production de gaz de schiste au Texas.
C’est le début d’une série d’investissements considérables dans le secteur énergétique mexicain. Malgré le changement de gouvernement et l’arrivée d’un président [soi-disant] de gauche, BlackRock consolide toujours davantage son influence [ce qui prouve... l’inanité des prépositions adversatives ? Malgré voudrait dire grâce à... ?].
David Vizcarra : « Pour la seule année, 2018, ils ont placé 85 milliards de dollars dans des fonds d’énergies renouvelables. Cela représente pratiquement 90% des fonds dont ils disposent et ils continuent d’investir dans le secteur de l’énergie. BlackRock fait partie des principaux investisseurs étrangers au Mexique. »
Outre le secteur de l’énergie, BlackRock s’intéresse surtout aux fonds de pension mexicains. En 2014, la banque nationale l’autorise à investir une partie de l’épargne retraite des Mexicains. En d’autres termes, BlackRock a accès à l’argent de nombreux retraités et est chargé de sécuriser leurs rentes. Un marché immense. L’autorisation émane de la Commission nationale du système d’épargne pour la retraite, la CONSAR. Et ce, bien qu’un gestionnaire de BlackRock soit alors poursuivi pour délit d’initié. Même si les charges retenues contre lui ont été par la suite abandonnées, Claudia Ocaranza est convaincue que légalement, aucun contrat n’aurait dû être signé avec une entreprise contre laquelle des poursuites étaient engagées. Et ce n’était pas tout : Claudia Ocaranza : « Dans quoi BlackRock investit mon argent ? Pourquoi la CONSAR n’oblige pas ces gestionnaires de fonds à révéler cette information ? »
La journaliste ne cesse de découvrir de nouveaux liens. C’est Isaac [Volin Bolok] Portnoy qui aurait signé le contrat lucratif pour BlackRock. Auparavant il travaillait justement pour la CONSAR chargée de valider l’accord. Après quelques années chez BlackRock, Portnoy est ensuite allé chez Pemex, la société avec laquelle BlackRock a investi des milliards dans le secteur mexicain de l’énergie. La boucle est bouclée. Claudia Ocaranza : « Nous avons rencontré quelques cas comme celui de BlackRock et Isaac Portnoy. Il est important de préciser que nous n’avons aucune preuve que celui-ci ait fait quoi que ce soit d’illégal. Mais nous savons qu’il siégeait à la CONSAR, qui réglemente les fonds de pension au Mexique. »
Un cas classique de pantouflage. Des personnalités importantes issues d’institutions publiques ou politiques se retrouvent chez BlackRock. Et inversement, en fonction des besoins.
Retour en Allemagne...
Quand la chancelière allemande Angela Merkel annonce en 2018 vouloir quitter la présidence de la CDU, c’est Friedrich Merz qui se postule pour lui succéder [le 29 octobre 2018].
Friedrich Merz [le 21.11.2018 dans les images], ancien président de la CDU au Bundestag, est entretemps devenu président du conseil de surveillance chez BlackRock... Heike Buchter : « Si les gens passent de BlackRock à la politique, je trouve ça moins problématique qu’ils se fassent payer ou autre. [Le problème, c’est qu’] Ils pensent comme leur ancien employeur ou donneur d’ordre. Ils restent prisonniers de ce mode de pensée. Ils appréhendent le monde avec les yeux d’un employé de BlackRock. » Markus C. Kerber, professeur de Science Financière, Université Technique (TU) de Berlin : « Au-delà de la question de la réglementation, c’est dérangeant qu’un dirigeant allemand puisse mettre toutes ses relations politiques à disposition d’une entreprise aussi puissante et que, de surcroît, il revendique le droit de protéger les activités de gestion d’actifs de BlackRock, prétendument dans l’intérêt des citoyens. Mais personne n’est dupe ; de même qu’il n’est pas crédible en connaisseur du monde économique, il n’a jamais occupé de fonction de management. »
Vous n'allez pas le croire...
Dans la course à la présidence de la CDU, Friedrich Merz soutient également une mesure d’aide fiscale aux fonds de pension privés. Mais il omet de préciser que son ancien employeur en tirerait avantage. « Notre palette d’outils est trop restreinte quant aux retraites par capitalisation. », Merz dixit.
« Le style est l’homme même ».
Markus C. Kerber : « Le fait de s’offrir les services de Herr Merz, qui a le bras long dans la politique allemande, et dont on espère qu’il pourra protéger nos intérêts, est éloquent. Le problème, ce n’est pas seulement BlackRock, c’est l’ascendant du capital financier international sur la démocratie nationale. »
Ockers nous fait voyager maintenant en France...
En France, 5 mois après l’élection présidentielle de 2017, une rencontre mémorable a lieu à l’Élysée. Emmanuel Macron invite des investisseurs au premier rang desquels figure Larry Fink, le PDG de BlackRock. Le président français souhaite attirer les grands gestionnaires de fonds du monde dans l’Hexagone. Voilà pourquoi il avait déjà rencontré Larry Fink à plusieurs reprises peu après sa prise de fonction. Aujourd’hui comme alors, les entretiens ont lieu à huis clos, Macron ne veut aucune caméra. Philippe Escande (biologiste de formation, il est éditorialiste au Monde et membre du bureau de l’Association des journalistes économiques et financiers (AJEF)) :
« (...) il faut être proches de ces gens-là, en tout cas en matière de business pour parvenir à les faire s’installer sur le territoire français ou simplement, euhh, faire des investissements, parce que ce qu’ils cherchent à tirer aussi, c’est l’argent, c’est les fonds. »
Le journal de référence, ce contre-pouvoir...
Emmanuel Macron veut favoriser les privatisations en France [On s’en doutait].
À cet effet, il a créé une commission dont l’un des membres n’est autre que le patron de BlackRock France, Jean-François Cirelli. Cet ancien conseiller du président Jacques Chirac a aussi fait [lui tout seul] de Gaz de France l’une des plus grandes compagnies énergétiques du monde. Et tout comme Friedrich Merz en Allemagne, il ne cesse de réclamer un recours accru aux fonds spéculatifs pour l’assurance vieillesse.
En 2017, Jean-François Cirelli est invité à siéger au Comité action publique 2022 (CAP 22). Créé par M. Macron, ce dernier est censé identifier les « réformes structurelles » prioritaires, ainsi que les « économies significatives et durables » que l’État devra réaliser, quitte à envisager certains « transferts au secteur privé » ou l’« abandon » de certaines de ses missions. (Cf. Édouard Philippe, « Programme “Action publique 2022” », cabinet du premier ministre, Paris, 26 septembre 2017, PDF).
Le film d'Ockers continue...
Jean-François Cirelli [en réponse aux questions de l’émission L’invité des Échos (interview réalisée le 22 juin 2018 par Guillaume Maujean, rédacteur en chef Finance-Marchés des Échos)] : « Nous faisons une étude chaque année pour savoir ce que veulent les Français pour leur retraite. En même temps, ils sont conscients que les régimes obligatoires ne suffisent pas pour assurer le niveau de vie qu’ils souhaitent à leur retraite et, donc, je crois qu’il est très important qu’il y ait un nouveau pilier pour développer ces produits. »
Jules Romains savait que les hommes de bonne volonté tiennent à faire de leur monopole un pilier intangible de la patrie. La réponse ne s’est pas trop fait attendre : « La loi Pacte : le bon plan retraite », BlackRock France, Paris, juin 2019.
Pendant que les lobbyistes financiers comme BlackRock renforcent leurs liens avec Emmanuel Macron, le gouvernement français se heurte au mouvement des Gilets Jaunes. Ces derniers se lèvent contre ses réformes économiques libérales et sont révoltés contre les politiques qui laissent les géants de la finance se partager le monde entre eux.
Retour en Allemagne...
En Allemagne aussi, la résistance contre le monde de la Finance s’organise. De plus en plus de citoyens se sentent menacés. Le berlinois Rouzbeh Taheri s’indigne du prix des loyers dans la capitale allemande. Il est particulièrement révolté par l’influence des investisseurs financiers au sein de l’entreprise immobilière Deutsche Wohnen, car pour un logement rénové situé dans une zone résidentielle comparable, elle augmente parfois les loyers deux fois plus que ne le ferait la ville. Beaucoup pensent que l’actionnaire principal, BlackRock, n’y est pas étranger. Rouzbeh Taheri : « Difficile de croire qu’une entreprise milliardaire comme BlackRock, ou plus exactement multimilliardaire, délaisse un tel investissement. Ils font ce qu’ils veulent. »
Des dizaines de milliers de personnes manifestent à Berlin afin de mettre un terme aux agissements de Deutsche Wohnen et de BlackRock.
Pour dénoncer leur pratique de la spéculation immobilière, qui ferait flamber les prix des logements. Le journal La Voix du Nord publiait le 6 avril 2019 :
Plusieurs milliers de personnes ont manifesté ce samedi 6 avril, à Berlin mais aussi Munich, Cologne, Francfort, Göttingen, Fribourg ou encore Mannheim contre « la folie des loyers » et la spéculation immobilière.
« Pas de démolition d’immeubles habitables », ont notamment lancé les manifestants. D’autres arboraient une pancarte « Surprise ! Le marché ne se régule pas de lui-même ». Certains étaient déguisés en « requins de l’immobilier ».
À Berlin, le prix du logement à la location a doublé en dix ans, du fait notamment, accusent les manifestants, de groupes comme Deutsche Wohnen et Vonovia qui ont racheté des milliers d’édifices, profitant de prix bien plus bas que dans d’autres capitales européennes. « Le nouveau propriétaire est connu ici, il dispose de plus de 1 500 appartements et c’est du pur business (…) il achète et vend avec l’argent d’investisseurs qui veulent naturellement avoir les plus hauts rendements possibles », explique Hans von Maydell, 75 ans.
(...)
Ulrich Ropertz, porte-parole de l’association allemande des locataires [explique que], les sociétés immobilières comme Vonovia ou Deutsche Wohnen ont un pouvoir « d’influence politique à l’échelle nationale » qui bloque l’adoption de réelles mesures de maîtrise des loyers.
Le film conclut...
Ils veulent exproprier la société immobilière pour obtenir une indemnisation. BlackRock perdrait alors l’un de ses plus gros objets d’investissement en Allemagne. Rouzbeh Taheri a déjà récolté 70000 signatures en faveur de l’expropriation. La colère contre les spéculateurs et les augmentations éhontées des loyers est si grande que le monde politique est bien obligé de prendre son initiative au sérieux.
La pression de la rue a déjà fait bouger les choses. Le débat qui a suivi la manifestation a conduit à un gel des loyers durant cinq ans, ce qui a fait chuter le cours de l’action Deutsche Wohnen d’environ 20%. Pour BlackRock, c’est une source de revenus sûre qui menace de se tarir. Rouzbeh Taheri : « Quand on spécule en bourse, qui plus est sur le sort des locataires, on peut aussi perdre. Les petits actionnaires doivent également le savoir. Je n’ai absolument aucun état d’âme à porter préjudice à de gros investisseurs institutionnels comme BlackRock. Ils ont suffisamment nui à la société. »
Aucune autre société ne brasse autant d’argent que BlackRock. Elle a le bras long en politique et influence même des gouvernements, mais personne n’en parle. Les gestionnaires de Larry Fink doivent faire passer l’éthique après les perspectives de profit. Plus le pouvoir des investisseurs grandit, plus la question se pose : faut-il avoir peur de BlackRock ? La taille de la multinationale pourrait-elle provoquer une crise financière mondiale ? Et surtout, peut-on encore arrêter BlackRock ?
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(1) Milton Friedman : « La responsabilité sociétale de l’entreprise est d’accroître ses profits » (The Social Responsibility of Business is to Increase its Profits, The New York Times Magazine, 13 Septembre 1970. Traduction en français ici.), et non pas « assurer l’emploi, éliminer les discriminations, éviter la pollution et
que sais-je d’autre parmi les mots à la mode de la cuvée actuelle de
réformateurs. » Clair comme de l'eau de roche.
_______________________________________ Mise à jour du 4.12.2020 :
Entretemps, les libéraux du monde (Macron, Biden, Trudeau-Lobbies-Biden-to-Maintain-Climate-Destroying-Trump_Policy, etc. : les adorateurs de la déprédation sans états d'âme) continuent à faire le bien (de leurs vrais patrons) et à préparer le terrain pour l'avènement des nouveaux Trump, Le Pen, Vox, etc. à l'aide impayable de la presse libre et plurielle —pour ensuite re-présenter un nouveau Bidon-Obama-Clinton... comme le seul salut du monde, boucle bouclée d'un foutage de gueule grandiose. En voici un exemple d'hier 3 décembre concernant justement l'em(tre)prise BlackRock :
Joe Biden’s choice to install two former BlackRock execs in his cabinet
is a major signal of his deference to Wall Street and the superrich. But
it’s also a sign of the times: the world’s largest asset management
company is revolutionizing finance by investing in capitalism itself. By Meagan Day.