... Car loin du psittacisme médiatique, il y a bon nombre d'événements qui nous interpellent autrement dont on ne parle que peu ou sous l'angle de la propagande unique. Nous essayons de repérer et de glaner des faits/sujets/positions en dehors de l'actu ou de l'éditocratie. Voici le sommaire de notre second journal de cette année scolaire passé en revue les 19 et 21 novembre 2018. Merci à mes élèves pour leurs contributions !
C'est grâce à une initiative pour commémorer le centenaire de la fin de la I Guerre mondialeà Tournon-Saint-Martin, dans l'Indre-et-Loire, et à l'opposition d'un directeur académique que j'ai eu vent de La Chanson de Craonne (prononcez « crâne »), chanson singulière, et du cas qu'elle représente. Encore un cas de morts PAR la France, par la patrie...
Récapitulons. C'était en 1917. Sur la mélodie d'une vieille chanson sentimentaletrès populaire, Bonsoir, m'amour, éclata une chanson de la France que nous adorons, genre Fuenteovejuna, anonyme, universelle, composée pour crier non ! et dire ses quatre vérités à messieurs les gros, les actionnaires des vies des autres, les cannibales mangeant les vies —pas les corps— des autres. Une chanson hymne de révolte qui serait interdite jusqu’en 1974. Et que d'aucuns veulent toujours censurer.
Ça se comprend, car une chanson comme celle-ci se compose et se chante quand les purotins, les sacrifiés se rebiffent contre l'obéissance aux gros et contre le sacrifice pour le fric des gros, ce qui constitue une dangereuse leçon éternelle, comme celle de Frelinghien, comme celle de Boris Vian. Et il faut barrer les idées que ce genre de leçon pourraient donner aux élèves, le but de l'école étant le contraire.
Quant aux poilus de la chanson, le bilan des représailles qu'ils eurent à endurer fut cruel : cette fois "la répression touch[a] quelque 30 000 mutins ou manifestants, d'où 3 427 condamnations, dont 554 à mort" (Cf. Wikipédia).
Quand au bout d'huit jours le r'pos terminé
On va reprendre les tranchées,
Notre place est si utile
Que sans nous on prend la pile
Mais c'est bien fini, on en a assez
Personne ne veut plus marcher
Et le cœur bien gros, comm' dans un sanglot
On dit adieu aux civ'lots
Même sans tambours, même sans trompettes
On s'en va là-haut en baissant la tête
Refrain : Adieu la vie, adieu l'amour, Adieu toutes les femmes C'est bien fini, c'est pour toujours De cette guerre infâme C'est à Craonne sur le plateau Qu'on doit laisser sa peau Car nous sommes tous condamnés Nous sommes les sacrifiés
Huit jours de tranchée, huit jours de souffrance
Pourtant on a l'espérance
Que ce soir viendra la r'lève
Que nous attendons sans trêve
Soudain dans la nuit et dans le silence
On voit quelqu'un qui s'avance
C'est un officier de chasseurs à pied
Qui vient pour nous remplacer
Doucement dans l'ombre sous la pluie qui tombe
Les petits chasseurs vont chercher leurs tombes
Refrain
C'est malheureux d'voir sur les grands boulevards
Tous ces gros qui font la foire
Si pour eux la vie est rose
Pour nous c'est pas la même chose
Au lieu d'se cacher tous ces embusqués
F'raient mieux d'monter aux tranchées
Pour défend' leur bien, car nous n'avons rien
Nous autres les pauv' purotins
Tous les camarades sont enterrés là
Pour défendr' les biens de ces messieurs là
Refrain : Ceux qu'ont l'pognon, ceux-là r'viendront Car c'est pour eux qu'on crève Mais c'est fini, car les troufions Vont tous se mettre en grève Ce s'ra votre tour, messieurs les gros D'monter sur le plateau Car si vous voulez faire la guerr' Payez-la de votre peau
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D'autre part, le 26/10/2018, nous avions appris par Thomas Wieder, correspondant du Monde à Berlin, que d'autres voix de poilus duraient toujours...
Quelques-uns des 2 000 enregistrements de prisonniers de guerre français en Allemagne durant la Grande Guerre vont sortir des archives de l’université Humboldt.
(...) Le chauvinisme a servi à
détruire le profond mouvement social du début du 20eme siècle. Dans les
neufs premiers mois de la guerre, 500 000 petits français furent tués.
Par consentement ? Pour que la France reste la France ? Oui, celle de
Nivelle, de Foch, de Mangin, de Pétain, des banques et de la grande
industrie, et du monde politique à leur service, c’est à dire le monde
de Macron, le beau monde avec du sang de pauvre sur ces gants blancs, le
beau monde qui porte l’entière responsabilité de ce massacre, le beau
monde criminel. « Un massacre entre des gens qui ne se connaissent pas au profit des gens qui se connaissent et ne se massacrent pas » disait Paul Valéry. Est-ce là, une manière de voir a posteriori,
après la bataille en somme ? Non. En 1915, depuis la prison où elle
était enfermée pour incitation à la désobéissance, Rosa Luxembourg
écrivait dans son journal :
« La guerre entre les nations est venue imposer la lutte des classes, le combat fratricide du prolétariat, massacre d’une ampleur sans précédent. Ces millions de morts, neuf sur dix sont des ouvriers et des paysans, c’est une guerre inédite, industrielle, déclenchée au nom du nationalisme mais menée pour la domination des marchés. Cette guerre ouvre en vérité la voie à la mondialisation du capital, à la conversion
de toute richesse , de tout moyen de production en marchandise et en action boursière. Elle transforme les êtres en matériel humain. C’est
l’avenir d’un socialisme humaniste que cette guerre est en train de détruire ».
Nous, nos héros, nos résistants, sont les 15 000 qui désertèrent chaque année, ce sont d’abord les mutins, les milliers de mutins qui mirent la crosse en l’air, les 3 700 qui furent condamnés, les 953 fusillés pour l’exemple, nos héros sont aussi les mutilés volontaires et tout ceux qui fredonnaient la chanson de Craonne, quitte à se faire casser les dents à coups de crosse. Oui, ceux là « se battirent pour que la France reste la France ». La nôtre. Celle de Georges Mermet, mon père. Pas un héros non plus celui là, mais « de la viande », une de ses expressions quand il nous racontait le Chemin des Dames, la Somme, l’Italie, « On était de la viande ».
Né en mai 1897, mon père, apprenti orfèvre de Belleville, mobilisé au début de 1916 fut de tous les fronts et de toutes les blessures jusqu’au bout. Éventré, brûlé, traumatisé, il n’a pas fait ça pour votre France monsieur Macron. (...)