L’Histoire moderne d’Espagne s’écrit à coup de quarantaines.
Nom féminin, une quarantaine est un nombre d’environ quarante, comme les années que dura le régime du généralissime Francisco Franco ou qu’a duré le règne de son successeur désigné, Juan Carlos Ier de Bourbon.
Une sainte quarantaine est un carême.
Une quarantaine est aussi l’exclusion effective que subit la majorité du peuple frappée d’ostracisme par des élites farouchement avides qui n’en ont jamais assez.
Le régime de Franco fut —notamment au début— une dictature sanguinaire à la logorrhée ineffable. Comme elle n’était plus présentable dans une civilisation qui avait choisi d’autres modalités de contrôle du pouvoir, le temps vint pour la classe dominante espagnole d’avoir recours à une autre pantalonnade pour assurer sa reproduction : la Monarchie parlementaire.
Monarchie veut dire, étymologiquement, « gouvernement d'un seul ». La Monarchie est un « Régime politique dans lequel le chef de l'État est un roi héréditaire ». C’est ainsi que la Constitution espagnole précise (Art. 57-1) :
Le prestigieux roi d’Espagne, Juan Carlos I, vient de communiquer sa décision d’abdiquer, hier matin. Au nom du "rey-nouveau". Ah, l'intérêt général.
Il s’est adressé aux Espagnols et nous a expliqué, entre autres, que son fils, le prince Felipe, « offrira la stabilité qui convient à l’institution monarchique ». On s’en doutait. « Il est mûr et prêt. Il a le sens des responsabilités ».
C’est en lisant ce dernier morceau que je me suis souvenu d’une scène d’il y a trois ans, presque exactement, car elle eut lieu le 31 mai 2011, en Navarre. La voilà :
Drôles d'associations d'idées, il y a trois ans, devant la scène en question, je m’étais rappelé une situation comparable : en 1738, une femme avait osé soutenir une polémique publique avec le cartésien Dortous de Mairan, secrétaire de l'Académie des Sciences. « Agacé pour ne pas dire exaspéré, il répond sur un ton qui frise la condescendance, à la limite de la courtoisie », selon la description que nous en fait Élisabeth Badinter dans sa préface au Discours sur le bonheur, petit essai d'Émilie du Châtelet, justement la dame qui voulait se mêler de science, de Leibniz et de Newton… N'oublions pas qu’entre autres, elle commenta et traduisit en 1759 les Principia mathematica (1687) newtoniens du latin en français.
Eh ben, presque 300 ans plus tard, une jeune femme bloquée par le cordon policier de la sûreté du couple princier que formaient Philippe de Bourbon, prince des Asturies, et son épouse Letizia, leur lança un cri républicain. Le prince, habitué aux compliments et aux flatteries d’un public en général bien tamisé, décida illico d’engager un entretien avec cette jeune femme rétive et inoffensive. Elle en profita pour lui suggérer la convocation d’un référendum, ou son abdication, afin de savoir, par exemple, si nous, les Espagnols, souhaitions la monarchie ou la république. À notre grand étonnement, Philippe avoua qu’il croyait au système et qu’il ne partageait pas les désirs de la jeune fille anonyme, qu’il tutoyait d’ailleurs le plus naturellement du monde. Entretemps, une voix masculine appartenant au cortège princier eut le courage et la délicatesse de demander à la jeune femme :
— C’est le seul problème que tu as dans la vie ?
— Je veux cesser simplement d’être sujette pour devenir citoyenne, répliqua-t-elle.
— Bien entendu, tu as réussi à avoir ta minute de gloire, fut la réaction mesquine, hors sujet, la condescendance éhontée, m'as-tu-vu, ramenarde et cynique du prince mûr, prêt et responsable en mal d’arguments.
— Ce n’est pas ce que je voulais, réagit doucement la modération insatisfaite.
— Mais tu l’as eue. Maintenant, cette conversation ne mène nulle part, conclut le dévergondage avant d’entamer sa fuite, vu que cette jeune femme-là manquait affreusement de courbettes.
Les droits ont du mal à s’ouvrir un chemin au milieu des prérogatives. Nous sommes d’abord contraints d’endurer un chef de l’État et puis, de le voir surgir non de la totalité du peuple espagnol mais juste d’une famille, celle des Bourbons.
De la même façon que Le Nôtre avait grande raison de demander au pape des tentations au lieu d’indulgences (1), notre jeune Navarre avait grande raison de demander au prince un référendum au lieu de con-descendances. Rêveur, je me plais à imaginer : si elle s’était écriée Mon prince, quelle pétulance !, il aurait peut-être répondu, comme dans la blague, depuis quand tu me tutoies ?
(1) Mme. du Châtelet : Discours sur le bonheur, Rivages poche / Petite Bibliothèque, 1997, page 33.
Nom féminin, une quarantaine est un nombre d’environ quarante, comme les années que dura le régime du généralissime Francisco Franco ou qu’a duré le règne de son successeur désigné, Juan Carlos Ier de Bourbon.
Une sainte quarantaine est un carême.
Une quarantaine est aussi l’exclusion effective que subit la majorité du peuple frappée d’ostracisme par des élites farouchement avides qui n’en ont jamais assez.
Le régime de Franco fut —notamment au début— une dictature sanguinaire à la logorrhée ineffable. Comme elle n’était plus présentable dans une civilisation qui avait choisi d’autres modalités de contrôle du pouvoir, le temps vint pour la classe dominante espagnole d’avoir recours à une autre pantalonnade pour assurer sa reproduction : la Monarchie parlementaire.
Monarchie veut dire, étymologiquement, « gouvernement d'un seul ». La Monarchie est un « Régime politique dans lequel le chef de l'État est un roi héréditaire ». C’est ainsi que la Constitution espagnole précise (Art. 57-1) :
« La Corona de España es hereditaria en los sucesores de S. M. Don Juan Carlos I de Borbón (…). La sucesión en el trono seguirá el orden regular de primogenitura y representación, siendo preferida siempre la línea anterior a las posteriores ; en la misma línea, el grado más próximo al más remoto ; en el mismo grado, el varón a la mujer (…) »Ce qui ne lui avait pas empêché d’établir ailleurs (Art. 14) :
(« La Couronne d’Espagne est héréditaire pour les successeurs de Sa Majesté le roi Juan Carlos Ier (...). La succession au trône suivra l’ordre régulier de progéniture et de représentation, la ligne antérieure étant toujours préférée aux postérieures; dans la même ligne, on précédera le degré le plus proche au plus lointain; au même degré, l’homme à la femme (...). »)
« Los españoles son iguales ante la ley, sin que pueda prevalecer discriminación alguna por razón de nacimiento, raza, sexo, de religión, de opinión o cualquiera otra condición o circunstancia personal o social. »Vous voyez bien qu’en matière d’oxymores, on fait difficilement mieux. Ajoutons que l’article 56-3 de la CE reconnaît à la personne du roi l’inviolabilité et lui retire par avance toute responsabilité, manière d’ajouter du beurre aux épinards à propos d’égalité.
(« Les Espagnols sont égaux devant la loi ; ils ne peuvent faire l’objet d’aucune discrimination pour des raisons de naissance, de race, de sexe, de religion, d’opinion ou pour n’importe quelle autre condition ou circonstance personnelle ou sociale. »)
Le prestigieux roi d’Espagne, Juan Carlos I, vient de communiquer sa décision d’abdiquer, hier matin. Au nom du "rey-nouveau". Ah, l'intérêt général.
Il s’est adressé aux Espagnols et nous a expliqué, entre autres, que son fils, le prince Felipe, « offrira la stabilité qui convient à l’institution monarchique ». On s’en doutait. « Il est mûr et prêt. Il a le sens des responsabilités ».
C’est en lisant ce dernier morceau que je me suis souvenu d’une scène d’il y a trois ans, presque exactement, car elle eut lieu le 31 mai 2011, en Navarre. La voilà :
Drôles d'associations d'idées, il y a trois ans, devant la scène en question, je m’étais rappelé une situation comparable : en 1738, une femme avait osé soutenir une polémique publique avec le cartésien Dortous de Mairan, secrétaire de l'Académie des Sciences. « Agacé pour ne pas dire exaspéré, il répond sur un ton qui frise la condescendance, à la limite de la courtoisie », selon la description que nous en fait Élisabeth Badinter dans sa préface au Discours sur le bonheur, petit essai d'Émilie du Châtelet, justement la dame qui voulait se mêler de science, de Leibniz et de Newton… N'oublions pas qu’entre autres, elle commenta et traduisit en 1759 les Principia mathematica (1687) newtoniens du latin en français.
Eh ben, presque 300 ans plus tard, une jeune femme bloquée par le cordon policier de la sûreté du couple princier que formaient Philippe de Bourbon, prince des Asturies, et son épouse Letizia, leur lança un cri républicain. Le prince, habitué aux compliments et aux flatteries d’un public en général bien tamisé, décida illico d’engager un entretien avec cette jeune femme rétive et inoffensive. Elle en profita pour lui suggérer la convocation d’un référendum, ou son abdication, afin de savoir, par exemple, si nous, les Espagnols, souhaitions la monarchie ou la république. À notre grand étonnement, Philippe avoua qu’il croyait au système et qu’il ne partageait pas les désirs de la jeune fille anonyme, qu’il tutoyait d’ailleurs le plus naturellement du monde. Entretemps, une voix masculine appartenant au cortège princier eut le courage et la délicatesse de demander à la jeune femme :
— C’est le seul problème que tu as dans la vie ?
— Je veux cesser simplement d’être sujette pour devenir citoyenne, répliqua-t-elle.
— Bien entendu, tu as réussi à avoir ta minute de gloire, fut la réaction mesquine, hors sujet, la condescendance éhontée, m'as-tu-vu, ramenarde et cynique du prince mûr, prêt et responsable en mal d’arguments.
— Ce n’est pas ce que je voulais, réagit doucement la modération insatisfaite.
— Mais tu l’as eue. Maintenant, cette conversation ne mène nulle part, conclut le dévergondage avant d’entamer sa fuite, vu que cette jeune femme-là manquait affreusement de courbettes.
Les droits ont du mal à s’ouvrir un chemin au milieu des prérogatives. Nous sommes d’abord contraints d’endurer un chef de l’État et puis, de le voir surgir non de la totalité du peuple espagnol mais juste d’une famille, celle des Bourbons.
De la même façon que Le Nôtre avait grande raison de demander au pape des tentations au lieu d’indulgences (1), notre jeune Navarre avait grande raison de demander au prince un référendum au lieu de con-descendances. Rêveur, je me plais à imaginer : si elle s’était écriée Mon prince, quelle pétulance !, il aurait peut-être répondu, comme dans la blague, depuis quand tu me tutoies ?
(1) Mme. du Châtelet : Discours sur le bonheur, Rivages poche / Petite Bibliothèque, 1997, page 33.
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