mercredi 25 juin 2014

Information, écrans et cerveaux, selon Albert Jacquard

Le spectacle se présente comme une énorme
positivité indiscutable et inaccessible. Il ne dit
rien de plus que « ce qui apparaît est bon
ce qui est bon apparaît ». L’attitude qu’il exige
par principe est cette acceptation passive qu’il
a déjà en fait obtenue par sa manière d’apparaître
sans réplique, par son monopole de l’apparence.

(Guy Debord, La société du spectacle, 12 ; 1967)


Cela fait très longtemps que je réfléchis à un sujet qui m'enquiquine, celui de la toute-puissance des écrans face au piètre rôle du bon livre ou de l’école.
L’école du XXIe siècle serait, dans le meilleur des cas, une presqu’île pataugeant dans un bouillon de culture qui est un véritable étouffoir de l’intelligence, la sensibilité et la coopération —qui se porte encore relativement bien, malgré les pouvoirs en place.
Parents et profs savent que beaucoup d'élèves —écoliers, collégiens, lycéens, étudiants...— ont du mal à cultiver leur jardin ; comme le rappelaient il y a quelques jours les patates de Martin Vidberg, ils lisent vaguement deux lignes, regardent une télésérie, vérifient leur twitter, plongent dans leur Facebook et autres réseaux sociaux pendant des heures... Bref, ils ignorent la concentration, la patience et la réflexion en dehors de la plus bête actualité servie sur mille écrans. En fait, selon les vignettes de Vidberg, cet envoûtement stérilisant nous concernerait tous...
Avouons que, malheureusement, l'école pourrait difficilement contrecarrer ce bouillon de culture qui nous accable, autrement influent —voire surpuissant—, pathétique, redoutable.
Au demeurant, soit dit en passant, il y en a même qui ont osé chiffrer la piètre influence de l'école actuelle ;
la journaliste Dana Goldstein affirme que « Depuis une dizaine d’années, les chercheurs sont parvenus à un consensus qui n’a pas été remis en cause. Au mieux, l’éducation compte pour 15 % dans les résultats des élèves ; leur environnement socio-économique, pour environ 60 % » (1). Pourcentages à part, le fin fond de cette position s'avère confirmé par les faits.

Et qu'est-ce qu'elle véhicule, cette société des écrans omniprésents : en quoi consiste son actualité, son spectacle ? Vu qu'il y en a encore qui cherchent de l'information sur les écrans proposés par les grands média, je suggère la lecture d'un extrait du dernier essai du généticien Albert Jacquard : Mon Utopie (Ed. Calmann-Lévy - 2006). Celui qu'il consacre au Droit à l'information :


Droit à l’information

Parmi les innovations qui rendent nécessaire une redéfinition des rapports entre les personnes ou entre les collectivités, les plus inattendues concernent les échanges d’informations. Elles impliquent de nouveaux droits et de nouveaux devoirs, car tout dans ce domaine a été transformé, en à peine plus d’un siècle. L’élément déclencheur a été la découverte des ondes hertziennes : leur utilisation annule pratiquement la durée de transmission.
Un des effets bénéfiques a été de provoquer une meilleure conscience de l’unité de notre espèce, donc du partage par tous d’un destin commun. Que ce soit à propos d’une catastrophe naturelle comme le tsunami de décembre 2004, d’une catastrophe provoquée par les hommes comme le génocide du Rwanda ou d’un exploit technique comme le parachutage d’une sonde sur une lointaine planète, le fait que le même regard soit proposé simultanément à tous les humains crée le sentiment d’une participation généralisée à un devenir collectif.
Grâce à ce réseau, nous comprenons que les fureurs de la Terre nous concernent tous, qu’une folie meurtrière collective peut surgir chez tous les peuples, que nous sommes collectivement capables d’explorer l’univers non pour nous l’approprier, mais pour le comprendre. Les mêmes événements participent à l’enrichissement du regard de tous sur la réalité. Nous accédons à la source des mêmes émotions, des mêmes hontes, des mêmes fiertés. Les conséquences heureuses de cette technique sont donc importantes, mais son pouvoir est si nouveau et si étendu qu’il est nécessaire d’en mesurer les risques.
Ces risques sont limités en ce qui concerne la radio, car notre cerveau est habitué, depuis la plus lointaine préhistoire, à traiter des flots de sons et de paroles. Ce que nous apportent les haut-parleurs de nos chaînes hi-fi s’insère tout naturellement dans ce flot, ils fournissent une nourriture que nous sommes prêts à digérer. En revanche, aucun entraînement ne nous a préparés à réagir face au déluge d’images que fournissent les écrans. Jamais, avant la généralisation du cinéma et de la télévision, les yeux et système nerveux central de nos ancêtres n'avaient été agressés par tant de formes et de couleurs constamment changeantes, et dont le rythme est d'autant plus rapide que le discours associé est plus insignifiant. Aucun de nos prédécesseurs humains n'avait été soumis à un tel traitement qui désarçonne notre capacité de réaction, fascine notre regard, envahit nos neurones et leurs connexions, et structure sans nous, ou même malgré nous notre cerveau. Il peut avoir sur lui le même effet qu'une drogue, mettant en place un écran entre la réalité et notre perception de cette réalité, créant une accoutumance, un besoin.
La présence de l’image, loin d’être un complément, crée bien souvent un obstacle à la compréhension du message. Cet effet néfaste est manifeste lorsque le visage d’un orateur accompagne ses paroles ; l’attention portée à sa mimique trouble la signification de ses phrases. Il est plus grave encore lorsqu’il s’agit de transmettre des informations à propos de drames comme les émeutes ou les guerres. S'il est possible de parler d'un conflit, d'une révolution, il n'est pas possible de les montrer. Tout au plus peut-on en présenter quelques aspects si partiels qu'ils sont soit insignifiants soit trompeurs. Ceux qui ont « fait » une guerre sont conscients d'y avoir participé, mais refusent d'en parler car ils n'en ont rien vu —seuls quelques grands chefs en ont une perception globale, mais il s'agit d'une autre guerre, celle qui s'est déroulée non sur le terrain mais sur les cartes d'état-major. Les cameramen chargés de couvrir les événements tragiques devraient avoir la même sagesse et se déclarer incapables de montrer autre chose que l'anecdotique.
Présenter la télévision comme un prolongement des moyens d'information d'autrefois est lui faire beaucoup trop d'honneur. Elle ne succède nullement aux journaux ou aux revues qui décrivaient les faits et proposaient une réflexion à leur propos. Elle a plutôt pris la place des bonimenteurs qui jadis, sur les boulevards, vendaient des poudres miraculeuses, et celle des camelots qui distribuaient des chansons illustrées paraphrasant l'actualité. Autant la radio, dont le matériau est la parole, est dans la continuité des moyens d'information de la presse, autant la télévision, dont le matériau est l'image en mouvement, constitue une mutation dans notre rapport à la réalité aussi inquiétante que les mutations de notre patrimoine génétique.
Cette inquiétude est aggravée par le pouvoir fabuleux que détiennent ceux qui diffusent ces émissions. Nombre d'historiens ont insisté sur le rôle de la radio dans la mise en place par Hitler du filet dans lequel il a enserré le peuple allemand. Certains, refaisant l'histoire, ont imaginé les conséquences qu'aurait eues la télévision dans sa prise de pouvoir si elle avait été disponible à cette époque. On sait l'efficacité du matraquage des esprits par les mots ; et combien plus efficace encore est le matraquage des cerveaux par les images. Toute société désireuse de préserver le libre arbitre de chaque citoyen doit donc prendre garde aux excès dans l'usage de ces outils et exiger de ceux à qui ils sont confiés de préciser leurs objectifs, que ceux-ci leur soient assignés par l'État ou qu'ils se les attribuent eux-mêmes.
Il se trouve que, récemment, le président de la chaîne TF1 s'est livré à cet exercice et a décrit la finalité de son activité. Le résultat mérite réflexion. Je reproduis sa déclaration telle qu'elle a été fournie par le bulletin de la Société civile des auteurs multimédias, la SCAM, qui regroupe les animateurs et auteurs des émissions de radio et de télé : « Le métier de TF1, dit son président, c’est d’aider Coca-Cola, par exemple, à vendre son produit. Or pour qu’un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible : c’est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible. »
Vous avez bien lu. Dans l'esprit de ce patron de télé, son métier consiste à décerveler les téléspectateurs afin de vendre, à des entreprises avides de chiffre d'affaires, cette marchandise qu'est la disponibilité des esprits. On imagine combien Joseph Goebbels, de triste mémoire, aurait amélioré son efficacité dans la mise au pas de son peuple s'il avait disposé d'un collaborateur tenant un discours semblable.
Le pire, dans ce texte, est que son auteur exprime sans doute ses véritables objectifs. Pour lui, diffuser un opéra, programmer une discussion entre philosophes ou faire s'affronter des hommes politiques devant la caméra n'est justifié que par l'état de réceptivité dans lequel est mis le spectateur. Ce qui a de l'importance n'est pas l'émission elle-même, c'est le moment vide qui la suit ; car ce moment, justement parce qu'il est vide, peut-être mis à profit pour persuader les spectateurs qu'en entrant chez McDonald's ils vont se régaler.
Les bonimenteurs et les camelots des boulevards n'étaient guère dangereux car leur impact était limité ; ils n'étaient que des amuseurs. Aujourd'hui, les télévisions participent largement à ce rôle d'amuseurs, mais elles interviennent simultanément, sans en avoir le mandat, dans la formation des esprits. Qu'elles puissent se donner comme objectif de décerveler les citoyens donne la mesure du danger. Ce décervelage n'est pas seulement un risque pour la rigueur de l'information, il l'est surtout pour la construction de l'intelligence des jeunes. Par un glissement spontané intervenu depuis quelques décennies, ce n'est plus à l'école mais à travers ce que les écrans leur présentent qu'ils découvrent le monde. De multiples précautions ont été prises pour que les programmes scolaires participent à l'émergence d'esprits libres, capables de critique, ouverts à l'interrogation ; chaque novation pédagogique fait heureusement l'objet de longs débats. Mais cette mise au point difficile, jamais achevée, est balayée par le bulldozer des émissions débiles qui, orientées par le seul Audimat, n'ont pour objectif que de plaire au plus grand nombre. Elles entrent dans les cervelles plus profondément que le contenu des cours.
Comment réagir ? En comprenant combien le flot des
« images qui bougent » est l'équivalent d'une drogue mise sans précaution à la disposition de tous et surtout à la disposition de ceux qui sont les moins bien armés pour se défendre contre elle. Notre société a enfin compris qu'elle devait faire reculer l'alcoolisme et le tabagisme et que le meilleur moyen n'était pas à base d'interdictions mais à base de réflexions, de lucidité, de décisions personnelles. De façon semblable, elle doit convaincre le téléspectateurs qu'il s'offre un plaisir dont l'abus est dangereux. On peut imaginer que les émissions de télé prennent exemple sur Gide donnant comme conseil à son lecteur : « Si tu m'as compris, tu me jettes. »


Andrés Rábago, El Roto.



Pour en savoir plus sur la citation de Patrick Le Lay, PDG de la chaîne de télévision privée TF1 (privatisée en mai 1986 par le gouvernement bradeur de Jacques Chirac), vous pouvez lire :
— SCAM : TF1 dans les bas-fonds du cynisme (21/07/2004).
"Les propos tenus par le Président d’un des plus importants médias européens permettent de s'interroger sur le point de dégradation culturelle, dans son sens le plus large, atteint par nos sociétés qui se veulent emblématiques de la démocratie. Parfaite définition de la marchandisation des esprits, des comportements et des valeurs, on aimerait que les mots utilisés soient seulement le fruit de l'inconscience. Ils sont en réalité, délibérément, le signe du cynisme, du mépris et de l'arrogance. Ils ont un mérite : celui de rappeler aux hommes politiques, toutes tendances confondues, leurs responsabilités dans la destruction de l'outil audiovisuel. (...)"

— Libération : Patrick Le Lay, décerveleur (10/07/2004)
— Antonio Molfese (ACRIMED) : Quand les cerveaux ne pensent pas à la pub, TF1 sort son revolver (11/07/2004)

_________________________
(1)
Cf. « Can teachers alone overcome poverty ? Steven Brill thinks so - The journalist blames teachers unions, not economic inequality, for students’ failure to achieve », The Nation, New York, 10 août 2011).
C'était John Marsh qui nous facilitait cette référence dans son article L’éducation suffira-t-elle ?, publié par Le Monde diplomatique, janvier 2012, page 3.

mardi 3 juin 2014

Mon prince, quelle pétulance !

L’Histoire moderne d’Espagne s’écrit à coup de quarantaines.
Nom féminin, une quarantaine est un nombre d’environ quarante, comme les années que dura le régime du généralissime Francisco Franco ou qu’a duré le règne de son successeur désigné, Juan Carlos Ier de Bourbon.
Une sainte quarantaine est un carême.
Une quarantaine est aussi l’exclusion effective que subit la majorité du peuple frappée d’ostracisme par des élites farouchement avides qui n’en ont jamais assez.

Le régime de Franco fut —notamment au début— une dictature sanguinaire à la logorrhée ineffable. Comme elle n’était plus présentable dans une civilisation qui avait choisi d’autres modalités de contrôle du pouvoir, le temps vint pour la classe dominante espagnole d’avoir recours à une autre pantalonnade pour assurer sa reproduction : la Monarchie parlementaire.

Monarchie veut dire, étymologiquement, « gouvernement d'un seul ». La Monarchie est un « Régime politique dans lequel le chef de l'État est un roi héréditaire ». C’est ainsi que la Constitution espagnole précise (Art. 57-1) :
« La Corona de España es hereditaria en los sucesores de S. M. Don Juan Carlos I de Borbón (…). La sucesión en el trono seguirá el orden regular de primogenitura y representación, siendo preferida siempre la línea anterior a las posteriores ; en la misma línea, el grado más próximo al más remoto ; en el mismo grado, el varón a la mujer (…) »
(« La Couronne d’Espagne est héréditaire pour les successeurs de Sa Majesté le roi Juan Carlos Ier (...). La succession au trône suivra l’ordre régulier de progéniture et de représentation, la ligne antérieure étant toujours préférée aux postérieures; dans la même ligne, on précédera le degré le plus proche au plus lointain; au même degré, l’homme à la femme (...). »)
Ce qui ne lui avait pas empêché d’établir ailleurs (Art. 14) :
« Los españoles son iguales ante la ley, sin que pueda prevalecer discriminación alguna por razón de nacimiento, raza, sexo, de religión, de opinión o cualquiera otra condición o circunstancia personal o social. »
(« Les Espagnols sont égaux devant la loi ; ils ne peuvent faire l’objet d’aucune discrimination pour des raisons de naissance, de race, de sexe, de religion, d’opinion ou pour n’importe quelle autre condition ou circonstance personnelle ou sociale. »)
Vous voyez bien qu’en matière d’oxymores, on fait difficilement mieux. Ajoutons que l’article 56-3 de la CE reconnaît à la personne du roi l’inviolabilité et lui retire par avance toute responsabilité, manière d’ajouter du beurre aux épinards à propos d’égalité.

Le prestigieux roi d’Espagne, Juan Carlos I, vient de communiquer sa décision d’abdiquer, hier matin. Au nom du "rey-nouveau". Ah, l'intérêt général.
Il s’est adressé aux Espagnols et nous a expliqué, entre autres, que son fils, le prince Felipe, « offrira la stabilité qui convient à l’institution monarchique ». On s’en doutait. « Il est mûr et prêt. Il a le sens des responsabilités ».
C’est en lisant ce dernier morceau que je me suis souvenu d’une scène d’il y a trois ans, presque exactement, car elle eut lieu le 31 mai 2011, en Navarre. La voilà :




Drôles d'associations d'idées, il y a trois ans, devant la scène en question, je m’étais rappelé une situation comparable : en 1738, une femme avait osé soutenir une polémique publique avec le cartésien Dortous de Mairan, secrétaire de l'Académie des Sciences. « Agacé pour ne pas dire exaspéré, il répond sur un ton qui frise la condescendance, à la limite de la courtoisie », selon la description que nous en fait Élisabeth Badinter dans sa préface au Discours sur le bonheur, petit essai d'Émilie du Châtelet, justement la dame qui voulait se mêler de science, de Leibniz et de Newton… N'oublions pas qu’entre autres, elle commenta et traduisit en 1759 les Principia mathematica (1687) newtoniens du latin en français.
Eh ben, presque 300 ans plus tard, une jeune femme bloquée par le cordon policier de la sûreté du couple princier que formaient Philippe de Bourbon, prince des Asturies, et son épouse Letizia, leur lança un cri républicain. Le prince, habitué aux compliments et aux flatteries d’un public en général bien tamisé, décida illico d’engager un entretien avec cette jeune femme rétive et inoffensive. Elle en profita pour lui suggérer la convocation d’un référendum, ou son abdication, afin de savoir, par exemple, si nous, les Espagnols, souhaitions la monarchie ou la république. À notre grand étonnement, Philippe avoua qu’il croyait au système et qu’il ne partageait pas les désirs de la jeune fille anonyme, qu’il tutoyait d’ailleurs le plus naturellement du monde. Entretemps, une voix masculine appartenant au cortège princier eut le courage et la délicatesse de demander à la jeune femme :
C’est le seul problème que tu as dans la vie ?
Je veux cesser simplement d’être sujette pour devenir citoyenne, répliqua-t-elle.
Bien entendu, tu as réussi à avoir ta minute de gloire, fut la réaction mesquine, hors sujet, la condescendance éhontée, m'as-tu-vu, ramenarde et cynique du prince mûr, prêt et responsable en mal d’arguments.
Ce n’est pas ce que je voulais, réagit doucement la modération insatisfaite.
Mais tu l’as eue. Maintenant, cette conversation ne mène nulle part, conclut le dévergondage avant d’entamer sa fuite, vu que cette jeune femme-là manquait affreusement de courbettes.

Les droits ont du mal à s’ouvrir un chemin au milieu des prérogatives. Nous sommes d’abord contraints d’endurer un chef de l’État et puis, de le voir surgir non de la totalité du peuple espagnol mais juste d’une famille, celle des Bourbons.
De la même façon que Le Nôtre avait grande raison de demander au pape des tentations au lieu d’indulgences (1), notre jeune Navarre avait grande raison de demander au prince un référendum au lieu de con-descendances. Rêveur, je me plais à imaginer : si elle s’était écriée Mon prince, quelle pétulance !, il aurait peut-être répondu, comme dans la blague, depuis quand tu me tutoies ?


(1) Mme. du Châtelet : Discours sur le bonheur, Rivages poche / Petite Bibliothèque, 1997, page 33.

jeudi 22 mai 2014

Répertoire de ressources pour l'enseignement du français

Le portail officiel français Eduscol, dépendant du ministère de l'Éducation nationale, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche tient entre autres à nous renseigner sur l'actualité du numérique en ce qui nous concerne. Voici une info inté-récente, de ce mois de mai :

Répertoire pour l'enseignement du français

Mise en ligne de la version 2013-2014 du répertoire web du site Internet « Amélioration du français » élaboré par le Centre collégial de développement de matériel didactique (CCDMD) du Québec. Il comprend la description de 105 ressources en ligne sélectionnées sur la base de la qualité du contenu proposé et en fonction de leur dimension pédagogique. La plupart des sites recensés, accessibles gratuitement, visent à « intéresser quiconque souhaite perfectionner son français ».
Le CCDMD est un centre de production de matériel didactique géré par le collège de Maisonneuve qui offre de nombreuses ressources informatisées et des documents imprimés pour apprendre le français et l'anglais, à destination du personnel enseignant et des élèves de l'ensemble du réseau collégial du Québec. Le catalogue en ligne affiche plus de 200 produits (sites web, manuels et logiciels) dont le site Amélioration du français.

Des ressources pour l'apprentissage du français

Le site Amélioration du français met à la disposition des élèves et des enseignants plus de 1100 documents. Ces ressources, souligne le site, « sont destinées principalement à l’apprentissage de la langue et conçues par des enseignants de cégeps [et] s’adressent prioritairement à l’ordre collégial. Cependant, elles peuvent certainement être utiles à l’ensemble des usagers soucieux d’améliorer leurs connaissances en français ». Grâce à l'outil de recherche interne, l’utilisateur accède via un index de mots-clés aux principales ressources pédagogiques.

jeudi 8 mai 2014

France Terme

Nouveauté technologique (depuis le 27 mars 2014), l'application gratuite France Terme permet de découvrir près de 7 000 vocables scientifiques et techniques et leurs équivalents étrangers, officiellement  recommandés par le Journal officiel de la République française. Elle est téléchargeable sur Google Play. Voici la description qu'on peut lire sur le site avant installation :
Description
Vous pouvez le dire en français ! Découvrez l'application FranceTerme.
Cette application vous permet d’accéder à tout moment aux termes spécialisés de la base de données FranceTerme de la délégation générale à la langue française et aux langues de France (ministère de la Culture et de la Communication), qui compte près de 7 000 termes français, avec leur définition et leurs équivalents étrangers.
L’application, qui n’est pas un dictionnaire de langue générale, vous permet de découvrir de très nombreux termes scientifiques et techniques. Ces termes, des plus largement en usage jusqu’aux plus spécialisés, proposés par des experts de multiples domaines, ont été recommandés et publiés au Journal officiel par la Commission générale de terminologie et de néologie, dans le cadre du dispositif institutionnel d’enrichissement de la langue française.
L’application, libre et gratuite, peut constituer un outil précieux pour vous exprimer en langue française quel que soit votre travail : rédaction ou traduction d'un article de presse, d’un mémoire, d’une note, d'un cahier des charges, d'une proposition commerciale… quelques clics et vous avez le bon terme : Ayez le réflexe FranceTerme !
 Attention, au Québec, on peut consulter le Grand dictionnaire terminologique et Termium.

mardi 6 mai 2014

La vidéo du vendredi du CNRS

Savez-vous que vous pouvez retrouver chaque vendredi une vidéo extraite d'une des productions de CNRS Images ? Un widget interactif vous permet, si vous le désirez, d'inclure La Vidéo du vendredi sur votre site (mode d’emploi).
En voilà un exemple de ce service du Centre national de la Recherche scientifique...

24/01/2014
Et pour quelques degrés de plus
Les caractéristiques et la qualité d’un vin sont intimement liés au climat. Avec les évolutions actuelles et futures, les zones viticoles pourraient changer. Dans le Val de Loire, l’un des sites pilotes depuis 2007, Hervé Quenol et son équipe ont installé dans les vignobles des réseaux de capteurs et de stations météorologiques. L’intérêt de ces recherches est de simuler le climat futur afin de proposer aux viticulteurs des méthodes ou des cépages adaptés à ces changements…
Réalisation : Christophe Gombert – Production : CNRS Images

jeudi 1 mai 2014

Nestlé : Un empire dans mon assiette

Dans une chocolaterie qu’il possède en Italie, le groupe Nestlé
a proposé aux salariés de plus de cinquante ans de diminuer
leur temps de travail (1), en échange de l’embauche d’un de leurs
enfants dans cette même entreprise. C’est une position perverse,
cruelle. Une incarnation de ce management néolibéral, qui est basé
sur le harcèlement, la culpabilisation, la destruction.

Monique Pinçon-Charlot,
coautrice de La violence des riches,
entretien avec Agnès Rousseaux, bastamag.net, 5/11/2013


Le webdocumentaire Un empire dans mon assiette est le résultat d'une enquête réalisée par Judith Rueff sur le groupe suisse Nestlé, numéro 1 mondial de l'alimentation, dont le chiffre d'affaires atteignit en 2013, selon sa déclaration, 92,2 milliards de francs suisses entraînant des bénéfices de 10 milliards de francs suisses. Il dispose de 18 usines en Espagne, 39 en France, 30 en Allemagne, 71 aux États-Unis, 21 en République populaire de Chine, 24 au Brésil, 12 en Afrique du Sud, 13 en Australie... 5 500 tasses de Nescafé sont bues chaque seconde dans le monde. Les 8 000 marques Nestlé, la multinationale aux mille visages, autorisent difficilement les gens —contraints de manger et de boire— à s'en affranchir : elles inondent les rayons agroalimentaires des grandes et petites surfaces partout dans le monde.

Coproduit par Ligne 4 et Les Films d'ici 2 pour France Télévisions, en partenariat avec Le Monde, France Info et Terra Eco, ce projet transmédia, dont l'objectif est carrément de prendre l'oiseau au nid, fut mis en ligne le 24 avril 2014 et émis sur la chaîne de télévision France 5 le 28 suivant (France 5 a également diffusé le documentaire Un empire en Afrique le mardi 29 avril à 21h44).
Cette enquête décrypte (ou démasque, selon Terra Eco) la stratégie prédatrice de Nestlé. Sur le portail d'accès, l'internaute est prié de naviguer dans un placard virtuel rempli d'articles vendus par la multinationale vaudoise. Il devra explorer une toile bariolée farcie de nombreuses silhouettes d'emballages, choisir un produit, répondre à une question à choix multiple qu'on lui pose à son propos et regarder le reportage filmé ou l'infographie animée analysant les dessous louches, sans fards publicitaires, de la marchandise décortiquée. Ainsi déniche-t-on des denrées étiquetées "durables" qui ne sont en fait ni bio, ni équitables, ou des céréales Fitniaise contenant les mêmes taux de graisse et de sucre qu'un Choc-à-pic...
On avance de la sorte dans le parcours proposé : à chaque jalon 1, 2, 3, une carte dévoile l'étendue sur la planète de cet empire colossal, de ce petit nid... de vautours ?
Un exemple : on clique sur la silhouette d'une bouteille d'eau minérale Perrier. À partir d'une interrogation double, De l'eau dans le gaz ou du gaz dans l'eau ? Quelle proposition vous semble juste, pour obtenir du Perrier en bouteille ?, trois possibilités A, B, C s'ouvrent à votre considération :
  1. On met tout simplement l'eau de la source naturellement gazeuse
  2. On puise l'eau de la source naturellement gazeuse. Puis on sépare l'eau et le gaz avant de les reconditionner ensemble lors de l'embouteillage.
  3. On injecte dans de l'eau plate ou dégazéifiée du CO2 en proportion variable selon la taille des bulles que l'on souhaite obtenir.
Après avoir validé sa réponse, on reçoit la réponse correcte et une explication là-dessus. On visionne ensuite une vidéo d'environ 5 minutes dont le point de départ est une question simple et époustouflante : Peut-on délocaliser la production d'une eau minérale ? C'est tout l'enjeu d'une bataille juridique qui vient d'opposer Nestlé à la petite ville de Vergèze, dans le Gard, où jaillit la source de la célèbre eau pétillante en question, exploitée il y a 150 ans... Précisons que Nestlé Waters racheta le site de production en 1992 et que la population de Vergèze craint une délocalisation masquée de la production de Perrier.

Si nous prenons une autre référence "prestigieuse" car georgeclooneysée, les capsules Nespresso, Laurent Castaignède (ingénieur, BCO2 Ingénierie) nous apprend qu'elles produiraient, en raison notamment de leur emballage multiple, deux fois plus d'émissions de gaz à effet de serre qu'une machine à café à percolateur (celle des bars) ou à filtre.
Une autre QCM nous décèle qu'en buvant un bol de Nesquick, on absorbe 20% de cacao et 80% de sucre. On risque d'en déduire que c'est en sucrant qu'ils se sucrent. Mais ce n'est pas par hasard que Grosquick a disparu du marketing du petit nid, tout comme le troisième des oisillons qui l'habitaient jusqu'en 1966...
En matière de bourrage de crâne corporatif, un autre article de cette cuisine nous rappelle que "des réalisateurs connus se sont pliés à l'exercice du film publicitaire" vantant des produits Nestlé. Concrètement, Claire Denis, Michel Gondry, Ridley Scott et Jean-Paul Rappeneau. Au bout du compte, la propagande et ses spectacles constituent le bouillon et la bouillie de culture de notre civilisation, et Nestlé ne saurait s'en priver.

Comme le rappelle le journal Le Monde, derrière les marques que nous connaissons depuis des décennies, "il y a des stratégies marketing et commerciales bien rodées, des marchés et des matières premières, un réseau d'influence et une image à soigner", dans ce cas, à verdir. Et un violent lobbying à faire peur. Ou des activités d'espionnage contre des militants altermondialistes (le Nestlégate, pour lequel, en dépit de sa légion d'avocats, la société Nestlé -en compagnie de Securitas, firme qui se met à la disposition de tous ceux qui souhaitent "se permettre d'évoluer à leur guise, sans souci"- a été condamnée par le Tribunal Civil de Lausanne) :
Le 25 janvier 2013, exactement un an après la tenue du procès civil et quatre ans et demi après le dépôt de la plainte, le verdict est enfin tombé : Nestlé et la société de surveillance Securitas sont condamnées pour leurs pratiques d’espionnage d’Attac et des auteurs du livre « Attac contre l’Empire Nestlé ». Le Tribunal a reconnu qu’il s’agissait d’une infiltration illicite et a admis que les droits de la personnalité des plaignant-e-s ont été violés. Il a condamné Nestlé et Securitas à leur verser une réparation pour tort moral de l’ordre de CHF 3000.- chacun-e ainsi qu’une partie des frais d’avocats.
Source : ATTAC Suisse.

Quant au forcing des très grands auprès des décideurs, le dit lobbying, il s’exerce à travers une myriade d’associations —comme nous le rappelle Marc Pigeon, chercheur au CEO (Corporate Europe Observatory)— et recourt à une désinformation calculée et systématique.
Il s'agit de tout faire pour fragiliser les régulations et rafler des subventions :
Agribusiness lobbying in Brussels involves biotech, food, animal feed, agrofuels and pesticide producers targeting decision makers to weaken regulations or to get subsidies.
Monique Goyens (directrice générale du Bureau Européen des Unions de Consommateurs, BEUC) explique que, sous la pression et l’intoxication sournoise de l’industrie agroalimentaire, l’étiquetage des emballages des produits alimentaires approuvé par l’UE est « inodore, incolore, insipide, incompréhensible » pour « le commun des mortels », au lieu d’être, comme on l'avait proposé à la Commission, un feu tricolore facilitant aux gens de faire des choix, même sains, car ils saisiraient en un clin d’œil si un aliment est riche ou non en sucre, en sel ou en matière grasse.
Coût de ce lobbying ? D’après CEO (juin 2010), 1 milliard d’euros. Pour chaque lobbyiste consumériste, il y en a 5 de l’industrie, sans compter la pression directe des entreprises.

« Inventer » provient du verbe latin « invenio » qui veut dire, entre autres, « trouver (après recherches) » ou « inventer » : multa a majoribus nostris inventa sunt (beaucoup de choses ont été inventées par nos ancêtres). Voilà justement ce que l’on peut dire à propos de la découverte en Afrique du Sud des propriétés de deux plantes endémiques, le Rooibos (“buisson rougeâtre” en afrikaans) et le Honeybush. N’empêche. Depuis notamment 2010, nous avons pu lire dans la presse ou sur internet des titres du type :
Pillage de Rooibos : Nestlé accusé de biopiraterie en Afrique du Sud (Déclaration de Berne)
ou
Nestlé veut patenter le rooibos
Nestlé a été accusée de « biopiratage » pour utilisation illégale du Rooibos, endémique d'Afrique du Sud qui devait entrer dans une composition servant à traiter et/ou prévenir des maladies inflammatoires. L'infraction, commise sur la base d'une convention onusienne qui légifère en la matière, la Convention sur la Diversité Biologique, se rapporte au consentement préalable qui doit être obtenu par le pays fournisseur de la ressource et des tenants du savoir traditionnel associé. Dans un deuxième temps, cette convention demande à l'exploitant de partager les bénéfices commerciaux et non-commerciaux avec ces derniers selon des dispositions mutuellement convenues. Mais le gouvernement Sud-Africain a déclaré à Natural Justice et à la Déclaration de Berne1 que ni Nestlé ni Nestec - la filiale technique, scientifique et commerciale de la compagnie - n'ont reçu de consentement pour l'exploitation du Rooibos. De plus, il existe en Afrique du Sud un cadre légal qui interdit des activitiés de prospection sans une patente délivrée par le Ministère des Affaires environnementales. Nestlé, de son côté, se défend en avançant que ce n'est pas elle mais ses fournisseurs sud-africains qui ont collecté et qui lui ont procuré la plante. Mais sans succès puisque c'est avant tout à elle qu'appartient le devoir de s'assurer de la provenance licite des produits qu'elle veut utiliser. (...)
Horizon-Durable.ch 
C'est vraiment fort de café... et de thé ! Nestlé, comme tant d’autres multinationales, tente de se construire un monopole à partir d’une invention centenaire due à une collectivité traditionnelle.
D’après la définition de Vandana Shiva, lauréate du prix Nobel alternatif, la biopiraterie est « un déni du travail millénaire de millions de personnes et de cerveaux travaillant pour le bien de l’humanité », et, ajoute-jé, à travers le système des brevets d'invention, une appropriation éhontée et restrictive de savoirs qui découlent de ce travail millénaire. Et toute cette merde au nom de la propriété privée —qui fut autrefois l’alibi de l’esclavagisme, soit dit en passant.
Encore un cas qui montre à quel point le Grand Capital —qui se gargarise sans désemparer du mot « innovation »— ne pratique en fait que les innovations financière, technologique et publicitaire pour mettre en œuvre sa vraie nature, le dépôt du brevet de l’eau chaude —ou de l’eau tout court, comme on va voir tout à l'heure— pour doper ses caisses sans complexes, même au détriment des plus vulnérables, car il ne trouve pas dégueulasse de les spolier ; sa flèche (son conatus) le pousserait, si ça se trouve, à patenter le fil à couper le beurre.
Le reportage de Judith Rueff nous fait cadeau d’un entretien avec François Meienberg, porte-parole de l'ONG Déclaration de Berne. L'enquête qu'ils menèrent en compagnie de Natural Justice révéla donc que cinq demandes de brevets déposées par Nestlé concernaient l’utilisation de Rooibos et de Honeybush : sa filiale Nestec envisageait d’exploiter les propriétés anti-inflamatoires et cosmétiques de ces "alicaments" (mot-valise composé de « aliment » + « médicament »), vertus connues depuis belle lurette par les peuples indigènes qui les exploitent pour en faire du thé, du savon et des crèmes. Certaines communautés en dépendent pour vivre et risqueraient de voir leur droit de commercialisation restreint à cause de ce genre de brevets.

Le documentaire aborde aussi la qualité des produits de Nestlé. Membre de l'ADNC-Association de Diététique et Nutrition Critiques, Sylvain Duval s’exprime à propos de la devise nestléienne, Good Food, Good Life :
« Good Food, Good Life… C’est faux, en fait, c’est de la com (…). Il n’y a pas de bons aliments faits par l’industrie ; bons si, ils sont bons au goût mais ils ne sont pas bons en composition. »
Béatrice de Reynal, nutritionniste, passe au peigne fin quelques produits emblématiques, très familiaux, de chez Nestlé, dont le Knacki Herta (100% pur porc) : « Le Knacki, c’est vraiment une mayonnaise avec beaucoup de gras dedans et assez peu de viande, donc, en fait, c’est un produit que les enfants aiment bien parce que c’est mou, mais en réalité c’est un produit d’un point de vue nutritionnel qui est pas très qualitatif » ; le Hachis Parmentier (recette + équilibrée, purée + savoureuse) : « Il n’y a que 38% de viande, alors que, chez vous, vous auriez mis 100% de viande et, évidemment, avec 38% de viande seulement, ça veut dire que pour un enfant en croissance, pour une femme dont les besoins en fer sont très élevés, et bien là, vous n’avez pas notablement de fer dans un plat comme ça. » ; les minipizzas Piccolinis (Buitoni) : « Là-dedans, en fait, il y a beaucoup de sel et il n’y a pas tellement de micronutriments. Il n’y a sans doute pas beaucoup de matière grasse dans la pâte, donc, ça, c’est plutôt bien, mais quand même il y a 218 calories pour 100 grammes, sachant que là-dedans il y a 270 grammes. » ; Flanby (totalement renversant !, 70% de lait) : quant à ces produits laitiers fantaisie, il faut toujours lire leur composition, « là, on voit qu’il y a du sirop glucose-fructose (…), c’est un substitut de sucre qui physiologiquement est accusé de maux, en particulier de syndromes métaboliques, le diabète, etc. ».
Ce genre de denrées constitue, selon Sylvain Duval, 90% du contenu des caddies des mamans qui font les courses dans les supermarchés.
D’autre part, M. Duval affirme qu’à chaque fois qu’il y a des réglementations, ces entreprises sont contre et proposent qu'on leur fasse signer des chartes d’autorégulation, « ce qui est faux : elles n’ont jamais tenu leurs promesses, ou alors, elles ont tenu leurs promesses à coups de 5% par an. (…) Ces chartes sont vraiment de la poudre aux yeux, c’est vraiment un jeu de dupes. »
L'ADNC recommande sur son site, soit dit en passant, des documentaires vidéo à se procurer. Cliquez ci-contre pour accéder à cet inventaire. À ne pas se taire.

Yasmine Motarjemi, ancienne sous-directrice de la sécurité alimentaire du géant suisse (avant d’être licenciée en 2010), affirme dans ce film que chez Nestlé, la priorité n’était pas exactement la conformité avec la réglementation en matière alimentaire : « les améliorations venaient toujours après les incidents (…), alors que, dans une bonne gestion de la sécurité alimentaire, il faut prendre des mesures préventives et agir en amont des problèmes ».
Début 2003, elle découvrit qu’il y avait une quarantaine de plaintes pour étouffement concernant des biscuits de Nestlé pour les bébés. Elle apprendra par la suite que le problème était connu de longue date par la direction, ce qui ne lui avait pas empêché de laisser le produit sur le marché sans toucher même à l'étiquetage à propos de l’âge de consommation. Le film évoque le scandale, en Chine, du lait en poudre pour nourrissons contaminé à la mélamine. C’était en 2008 ; bilan officiel : six décès et 300 000 intoxications. Nous savons que ce lait provoqua un tollé également en Arabie Saoudite et à Taïwan. Et que déjà en 2005, Nestlé avait dû retirer du marché du lait infantile en Italie, en France, en Espagne et au Portugal. Motif: il contenait des traces d'encre. Le hasard ?
En 2011, Yasmine Motarjemi porta plainte contre Nestlé pour harcèlement moral. Elle déclare dans ce webdocumentaire : « Nestlé est dirigée par des hommes d’affaires, des gens dont le seul but, la seule pensée, c’est de faire des profits. Ils n’ont pas une compréhension très approfondie de la nourriture et des risques sanitaires. Je demande aux consommateurs comment on peut mettre la santé de nos enfants dans les mains de gens qui ne pensent qu’au profit. »

En matière de lait industriel, je vous conseille de lire ce rapport de grain.org (cliquez sur le lien) à l'égard de La grande arnaque du lait : Comment l'agrobusiness vole aux pauvres leurs moyens de subsistance et un aliment vital, où il est question du combat que mènent les Grands Laitiers contre le lait populaire, guerre « qui exerce une influence profonde sur l'orientation du système alimentaire mondial et la vie des populations ».

Terra Eco, partenaire du projet Un empire dans mon assiette, reprend sur son site quelques sujets de l'enquête de Judith Rueff et les soumet à notre réflexion :

A-t-on sacrifié Grosquick pour rien ?


Le site de RTBF (la radio-télévision belge francophone), quant à lui, commente la parution de ce documentaire et nous recommande aussi d'autres lectures pour en savoir plus :

Convergence Alimentaire dresse un bilan très peu mitigé des activités de Nestlé : cliquez sur le lien ci-contre pour en savoir plus.

Par ailleurs, saviez-vous que l'eau est une denrée privatisable comme les autres et pas un droit public pour Nestlé ? :
Selon le PDG de Nestlé, Peter Brabeck (déclarations de 2005), « Oui, il y a chez nous une jolie chanson folklorique qui dit « Les bêtes ont besoin d’eau, hollara et hollari… », vous pouvez vous en souvenir ; l’eau est bien sûr la matière première [das wichtigste Rohmaterial !!!!] la plus importante qu’il nous reste au monde. Il s’agit de savoir si oui ou non, nous privatisons l’approvisionnement normal en eau de la population. Et là s'affrontent deux points de vue différents. Le premier, que je qualifierais d'extrême, est préconisé par certains… par les ONG, qui réclament que l’eau soit déclarée un…euh…mmm… droit public. Autrement dit, en tant qu’êtres humains, ils devraient simplement avoir le droit d’avoir de l'eau. C'est une solution extrême. Et l’autre qui dit « l’eau est une denrée alimentaire et, comme toute denrée, elle devrait avoir une valeur marchande ». Personnellement, je crois qu’il est préférable de donner une valeur à une denrée afin que nous soyons tous conscients qu’elle a un coût et puis qu’on prenne des mesures adaptées pour cette partie de la population qui n’a pas accès à cette eau, que l’on intervienne à leur égard d’une manière plus spécifique, car il existe à ce propos beaucoup de possibilités différentes. » 
[„...das Wasser ist natürlich das wichtigste... Rohmaterial, das wir heute noch auf der Welt haben. Es geht darum, ob wir die normale Wasserversorgung der Bevölkerung privatisieren oder nicht. Und da gibt es zwei verschiedene Anschauungen. Die eine Anschauung, extrem, würde ich sagen, wird von einigen... von den NGOs vertreten, die darauf pochen, dass Wasser zu einem... äähh...mmm... öffentlichen Recht erklärt wird. Das heißt, als Menschen sollten Sie einfach Recht haben, um Wasser zu haben. Das ist die eine Extremlösung, ja? Und... der [sic] andere, die sagt: „Wasser ist ein... Lebensmittel und, so wie jedes andere Lebensmittel, sollte das einen Marktwert haben. Ich persönlich glaube, es ist besser, man gibt einem Lebensmittel einen Wert, so dass wir alle bewusst sind, dass das etwas kostet, und dann anschließend versucht, dass man mehr spezifisch, für diesen Teil der Bevölkerung, der keinen Zugang zu diesem Wasser hat, dass man dort etwas spezifischer eingreift und da gibt es, ja, viele verschiedene Möglichkeiten dazu.“]


En 2012, Nestlé avait déjà été montrée du doigt par une enquête accablante (Bottle Life) d’Urs Schnell et de Res Gehriger, diffusé sur ARTE, qui montrait comment la multinationale faisait main basse sur les ressources en eau pour les vendre au prix fort. (2)
Nestlé et le business de l’eau en bouteille ou comment transformer de l’eau en or ? Une entreprise détient la recette : Nestlé, multinationale basée en Suisse, leader mondial de l’agroalimentaire, grâce notamment au commerce de l’eau en bouteille, dont elle possède plus de soixante dix marques partout dans le monde (Perrier, San Pellegrino, Vittel).
En 2012, Arte diffusait un autre reportage sur l’eau en bouteille qui coute 100 fois plus que l’eau du robinet, ce marché n’a jamais été aussi fleurissant. Pourtant tout le monde ne peut pas se payer le luxe d’avoir de l’eau potable.
La marchandisation de tout, y compris de l'eau, fait partie bien évidemment de la doxa libérale :
Le porte-parole de la Commission européenne, M. Joe Hennan a déclaré à la publication EUobserver.com du 18 mai [2010] : "We consider water to be a commodity like anything else".
Henri Smets, membre de l'Académie de l'eau, rétorqua quelques jours plus tard :
Prétendre que l’eau est une marchandise comme les autres dénote d’une méconnaissance grave du droit communautaire comme d’ailleurs de la réalité sociale. La Commission peut affirmer ce qu’elle veut, mais elle ne peut ignorer que la directive-cadre sur l’eau (2000/60/CE) adoptée par l’Union européenneet et qui s’impose à tous, commence par l’affirmation solennelle selon laquelle “l’eau n’est pas un bien marchand comme les autres” (“commercial product like any other”).
En lire plus.
Smets se voyait contraint de rappeler que l'eau...
C’est l’un des quatre éléments de la nature, c’est la source de toute vie.
Comme la nature a d'autres éléments, nous avions déjà appris, le 17 mars 2010, que Greenpeace dénonçait Nestlé pour d'autres raisons :
Greenpeace dénonce Nestlé, qui contribue à la déforestation en Indonésie
Grignoter une barre chocolatée Kitkat revient à tuer un orang-outang ? Le rapprochement peut étonner mais le lien est réel. Greenpeace lance une campagne pour dénoncer l’utilisation par Nestlé d’huile de palme issue de la destruction des forêts tropicales et des tourbières indonésiennes, dans la fabrication de certains de ses produits, notamment les barres chocolatées Kitkat.
En lire plus.
Pour vérifier à quel point de grandes marques de chocolat comme Crunch ou KitKat s'estiment quittes envers l'éthique ou la justice les plus élémentaires, envers par exemple les enfants exploités dans les plantations de cacao en Côte-d'Ivoire, cliquez ci-contre ou jetez un coup d'œil à la vidéo ci-dessous, reportage que nous devons à Jérémie Drieu et Johann Nertomb et qui fut diffusé sur Envoyé Spécial (France 2) le 28 avril 2011. On y apprend qu'il y a plus de 15 000 enfants esclaves dans les plantations de cacao d'Afrique de l'Ouest. Les multinationales du chocolat peuvent ainsi acheter leur matière première au bon prix, selon Henry Blémin Guida, officier de renseignement criminel à Interpol. "Pas de contrôle, pas de traçabilité : c'est plus simple pour les affaires" :



Ah, l'émoi de Cémoi. Quant à Nestlé, le titan veveysan refusa de s'exprimer sur cette question. Là, ils sont "moins preneurs pour parler" car ils veulent aussi "garder leur réputation".
Chiffres d'affaires de l'industrie du chocolat chaque année ? 62 milliards. Argent investi pour la bonne cause ? 3 petits millions (42 fois moins de ce qu'il faudrait pour atteindre les objectifs du protocole Harkin-Engel signé en 2001) bénéficiant seulement 2% des plantations ivoiriennes. Vous comprenez donc en quoi ça consiste que la réputation ou le prestige ?

Décidément, on vérifie que petit à petit, l'oiseau fait son nid et qu'au bout du conte, tout empire empire tout. Le modèle agricole mondial qui en découle ne tient pas la route et —selon le juriste belge Olivier De Schutter, qui vient de quitter son poste de rapporteur spécial des Nations unies pour le droit à l'alimentation— est dangereusement à bout de souffle.
Au sujet de ce modèle, dont Nestlé n'est que l'une des sociétés oligarques transcontinentales, il est utile de citer pour conclure un autre ancien rapporteur spécial —concrètement le premier, de 2000 à 2008— des Nations unies pour le droit à l'alimentation. Il s'agit de Jean Ziegler, auteur de l'essai Destruction massive - Géopolitique de la faim (sous-titre en hommage à Josué de Castro), Éd. du Seuil, 2011, édition revue en juillet 2012. Dans son ouvrage, pages 169-170 (collection Points), on lit :
Aujourd'hui, les deux cents premières sociétés de l'agroalimentaire contrôlent le quart environ des ressources productives mondiales. Ces sociétés réalisent le plus souvent des profits astronomiques et disposent de ressources financières bien supérieures à celles des gouvernements de la plupart des pays dans lesquels elles sont implantées [Cf. Andrew Clapham, Human Rights Obligations of Non-State Actors, Oxford, Oxford University Press, 2006]. Elles exercent un monopole de fait sur l'ensemble de la chaîne alimentaire, de la production à la distribution au détail en passant par la transformation et la commercialisation des produits, ce qui a pour effet de restreindre le choix des agriculteurs et des consommateurs.
Jean Ziegler cite un peu plus loin Denis Horman et son texte Pouvoir et stratégie des multinationales de l'agroalimentaire, publié sur le site de Gresea (Groupe de Recherche pour une stratégie économique alternative), qui servit de base à l’exposé introductif de l’Université des alternatives organisé en avril 2006 sur le thème de la souveraineté alimentaire. Horman y écrivait :
(...)
Dix firmes contrôlent un tiers du marché des semences commercialisées. Ces mêmes dix firmes contrôlent 100% du marché des semences génétiquement modifiées (appelées également "transgéniques"). Les firmes en question sont les suivantes : Monsanto (États-Unis), DuPont/Pioneer (États-Unis), Novartis (Suisse), Limagrain (France), Advanta (Angleterre et Hollande), Guipo Pulsar/Semons/ELM (Mexique), Sakata (Japon), KWS HG (Allemagne) et Taki (Japon) [6].
Six firmes contrôlent 77% du marché des produits chimiques pour l’agriculture : Bayer, Syngenta, BASF, Dow, DuPont, Monsanto.
Dans le secteur de la transformation et de la commercialisation des produits agricoles, il n’est pas rare que plus de 80% du commerce d’un produit agricole se retrouve entre les mains d’une poignée de méga-entreprises. Six sociétés concentrent quelque 85% du commerce mondial des céréales ; huit se partagent environ 60% des ventes mondiales de café ; trois détiennent plus de 80% des ventes de cacao et trois se répartissent 80% du commerce des bananes [7].
A titre d’exemple, la société américaine Cargill est le plus important négociant d’oléagineux au monde, le deuxième plus gros producteur d’engrais phosphaté et un acteur majeur du commerce des céréales, du café, du cacao, du sucre, des semences, de la volaille. Rien que dans le secteur du café, son chiffre d’affaires excède le PIB de tous les pays africains dont elle achète le café [8].
Monsanto, une autre multinationale américaine, s’est hissée, à travers rachats, fusions et alliances, au rang de premier vendeur de semences transgéniques au monde, de deuxième producteur de semences et de troisième vendeur de produits agrochimiques (insecticides, herbicides…). Les ¾ de la surface totale des semences transgéniques dans le monde sont des semences en provenance de Monsanto. En 1998, Phil Angell, directeur de la communication chez Monsanto, se permettait de déclarer : "Nous n’avons pas à garantir la sécurité des produits alimentaires génétiquement modifiés. Notre intérêt est d’en vendre le plus possible" [9].
(...)


[6Vandana Shiva, Le terrorisme alimentaire, Comment les multinationales affament le Tiers-Monde, Ed. Fayard, 2001, pp. 19-20.
[7John Medeley, Le commerce de la faim, la sécurité alimentaire sacrifiée sur l’autel du libre-échange, Col. Enjeux Planète, 2002, pp.135-137.
[8John Medeley, ibid.
[9Isabelle Delforge, Nourrir le monde ou l’agrobusiness, Enquête sur Monsanto, MDM Oxfam/Déclaration de Berne/Orcades/Oxfam-Solidarité, mai 2000.

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(1) De quarante à trente heures par semaine avec simultanément une baisse de salaire de 25 % à 30 %.
(2) Allemagne/Suisse, 2012, 1h30mn. Coproduction : ARTE, DokLab, Eikon, Südwest, SF.
Le site du film nous détaille beaucoup d'informations intéressantes dont dix choses à savoir :
  1. Stratégiquement parlant, l’eau en bouteille fait partie des domaines majeurs de Nestlé. Aujourd’hui déjà, Nestlé fait avec l’eau en bouteille un dixième de son chiffre d’affaires global, lequel s’élève à 110 milliards de francs suisses.
  2. Nestlé est devenu le leader du marché de l’eau en bouteille en adoptant une politique d’acquisition, rachetant notamment des marques telles que Vittel et Perrier.
  3. Nestlé acquiert constamment les droits sur des sources et des nappes phréatiques, ceci afin de satisfaire la demande croissante pour de l’eau en bouteille, une demande que l’entreprise a créée elle-même.
  4. Dans de nombreux Etats, les dispositions légales au sujet des droits sur l’eau sont vétustes. Nestlé profite de cet état de fait, non seulement dans le Tiers-monde, mais aussi aux USA et dans d’autres pays occidentaux.
  5. Nestlé utilise ses moyens financiers et politiques pour s’opposer aux efforts de communautés locales qui veulent que l’eau souterraine demeure un bien public.
  6. Nestlé utilise de l’eau pour fabriquer de l’eau.
  7. Nestlé propage l’eau en bouteille à grands coups de campagnes marketing et publicitaires. Nestlé affaiblit ainsi la conscience des gens à l’égard de la nécessité de garantir une alimentation en eau publique et efficace.
  8. Nestlé s’affiche en bienfaiteur – à travers une foule de dons et d’actions à l’échelle locale mais aussi en déclarant que les mesures de rationalisation dans la production et la distribution de l’eau en bouteille sont durables à long terme.
  9. Avec l’eau en bouteille, Nestlé crée des dépendances – justement là où les systèmes d’approvisionnement en eau potable s’écroulent, principalement dans le Tiers-monde.
  10. Le commerce de Nestlé avec l’eau n’est pas simplement un commerce comme les autres, c’est un commerce avec une matière première absolument indispensable à la survie des habitants de la planète.
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Mise à jour du 31 mars 2016 :

La Presse (Canada) du le 27 août 2015 - Selon l'Agence France-Presse, on accuse Nestlé de soutenir consciemment l'esclavage qui sévit dans le milieu de la pêche en Thaïlande en utilisant des fruits de mer dans des produits alimentaires pour chats :
Selon cette plainte, «Nestlé importe via un fournisseur thaïlandais, Thai Union Frozen Products PCL, plus de 28 millions de livres (12 000 tonnes) d'aliments pour animaux à base de fruits de mer pour de grandes marques vendues en Amérique dont une partie sont produits dans des conditions d'esclavage».
Des hommes et des garçons venus de pays plus pauvres que la Thaïlande comme le Cambodge ou la Birmanie sont vendus à des capitaines de bateaux de pêche, qui exigent d'eux un travail dangereux et harassant à raison de 20 heures par jour, en les payant très peu ou pas du tout, sous peine d'être battus ou même tués, accuse encore la plainte.
«En cachant cela au public, Nestlé a de fait conduit des millions de consommateurs à soutenir et encourager l'esclavage dans des prisons flottantes», a accusé l'un des associés du cabinet, Steve Berman, cité dans le communiqué, en invitant les utilisateurs des marques en cause à se joindre à cette plainte. (...)
Nestlé​ admits slavery and coercion used in catching its seafood.
Global audit by the food giant finds abuse of workers who catch seafood from Thailand
Par Martha Mendoza, The Associated Press. Publié le 23 novembre, 2015

Nestlé, Mars et Hershey’s visés par une plainte sur la traite des enfants en Côte d'Ivoire.
Le Monde.fr | 02.10.2015 à 17h59.
Les producteurs de Kit-Kat, Snickers, M & M’s et autres friandises prisées par les enfants exploiteraient-ils d’autres enfants pour récolter le cacao qui entrent dans leurs recettes ? Les groupes Nestlé, Hershey’s et Mars sont, en tout cas, visés par trois plaintes collectives (class actions) déposées à la fin de septembre en Californie auprès du cabinet juridique américain Hagens Berman, spécialisé dans le droit des consommateurs. Motif : la traite et le travail forcé des enfants dans les plantations de Côte d’Ivoire.
Selon les plaignants, ces trois firmes agroalimentaires importent du cacao en provenance de fournisseurs qui emploient des enfants, qui plus est dans des conditions de travail dangereuses et pénibles. Ils évoquent le transport de charges lourdes, l’exposition à des substances toxiques, le travail forcé et l’absence de paie, les menaces physiques. Nombre de ces enfants seraient vendus par des trafiquants qui les enlèvent ou les achètent dans des pays voisins de la Côte d’Ivoire.
« Les consommateurs qui sont venus nous consulter ont été indignés d’apprendre que les sucreries qu’ils mangent avaient un arrière-goût si sombre et amer, que le travail des enfants et l’esclavagisme faisaient partie de la production de chocolat par Nestlé, Mars et Hershey’s, affirme Steve Berman, membre du cabinet. Ces firmes s’abstiennent de divulguer ces informations sur l’exploitation des enfants et le travail forcé et trompent donc les consommateurs qui soutiennent indirectement ce type d’exploitation. » (...)
Nestlé échoue à faire annuler un procès sur l'exploitation des enfants en Côte d’Ivoire.
Voaafrique.com, le 12 janvier 2016.
Information lisible également sur intellivoire :
La société suisse, Nestlé, sera poursuivie concernant des allégations sur l’utilisation du travail d’enfants esclaves dans les plantations de cacao en Côte d’Ivoire. Reuters a rapporté que la Cour suprême américaine a rejeté l’appel interjeté par Nestlé, Archer Daniels Midland et Cargill pour mettre fin à la poursuite judiciaire.

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Mise à jour du 14 février 2021 :

Huit anciens enfants esclavisés attaquent en justice Nestlé, Mars et d'autres multinationales du chocolat devant une cour des États-Unis. Ils dénoncent l'exploitation et la maltraitance de milliers d'enfants dans la production de cacao en Côte d'Ivoire.
Source : THE GUARDIAN (12 février 2021). En savoir plus.

jeudi 3 avril 2014

Goyescas

À Golo

EFE, 31.03.2014. Source : eldiario.es

 Source : Santos Cirilo pour El País, 15.08.1995





Plus ça change, plus c'est la même chose...

Dans « Lexique » - peuple et ethnie, première section du chapitre I « Fabriquer des nations. Souveraineté et égalité » de son essai Comment le peuple juif fut inventé (Fayard, 2008), écrit l'historien Shlomo Sand à propos des sociétés agraires prémodernes :
Les appareils gouvernementaux occupés à percevoir l'impôt et à mobiliser des soldats ont réussi à survivre essentiellement grâce à la convergence entre les intérêts des couches supérieures de la noblesse et ceux du personnel de l'administration royale. La continuité et la stabilité relatives de ces systèmes, exprimées non seulement par le couronnement du roi mais aussi à travers l'instauration de dynasties monarchiques, résultaient déjà de la mise en œuvre de certains moyens idéologiques. Les rites religieux célébrés autour des gouvernants ont crée des liens d'allégeance de la part de la haute hiérarchie et une légitimité « qui n'était pas de ce monde ». Cela ne signifie pas pour autant que les religions polythéistes, puis plus tard monothéistes, aient été directement instaurées dans le but de légitimer une organisation gouvernementale, mais, dans la plupart des cas, sinon tous, elles ont contribué à asseoir la puissance des gouvernants.

Sociétés prémodernes ? En Espagne, les autorités civiles, militaires et policières octroient les plus hautes décorations honorifiques à des êtres de fiction, à des idoles en stuc ou en bois, vierges de préférence, quelle hantise ! À peu près à l'instar de Don Quichotte (cf. ch. XVIII), elles ont à toute heure et à chaque instant l'imagination remplie des combats, des défis, des enchantements, des aventures, des amours, bref, de ces absurdités que l'on trouve dans les romans de religion y compris la Bible. Le problème, c'est qu'elles occupent nos institutions pour satisfaire leurs délires... ou leurs tartuffades, car il n'est pas si évident d'en discerner la frontière. Et elles n'hésitent pas, le cas échéant, à recourir aux pressions et menaces contre les récalcitrants. Au bout du compte, les symboles sont les garants de profits autrement matériels.

vendredi 28 mars 2014

Le 27 Mars 2014 à Madrid et en Espagne

If you were offered a healthy scholarship that still
left you with five figures worth of debt at graduation
along with slim prospects of getting a job capable of
paying off the loan anytime soon, would you take it?
Mike Maddock, 13.12.2013, Forbes.


C'était entre 13h30 et 14h00. Il y en a qui disent que les jours de destruction sont jours de révolte. Une colonne d'étudiants manifestait en plein centre madrilène contre les coupes budgétaires, la hausse des frais d'inscription universitaires, la réduction des bourses d'études et la loi organique dite sur l'amélioration de la qualité de l'éducation, où ils en voyaient des Wert et des pas mûres, d'après les slogans qu'ils scandaient. "Franco ha mWERTo", rappelaient-ils. Ils dénonçaient aussi la lettre et l'esprit autoritaires et antipopulaires des récentes modifications pénales légiférées par le Parti dit Populaire. Ils prônaient le laïcisme face à un enseignement largement influencé, voire contrôlé, par l'idéologie et le clergé catholiques —il est pertinent de rappeler que le pouvoir de la calotte en Espagne est toujours ahurissant ; l'État continue d'organiser, par exemple, des funérailles catholiques en hommage des victimes du 11M 2004 !!! Et la hiérarchie ecclésiastique, qui ne voit midi qu'à sa porte, en profite politiquement et joue les tartuffes —ou plutôt, dans leur cas, les vierges effarouchées— vis-à-vis des victimes ("¿Cómo nos hemos comportado con ellos en éstos durísimos años?" eut le toupet de se demander le cardinal Rouco Varela, le patron de la COPE, dans son homélie, toujours sermon).
La colonne descendait lentement Carretas, emplissait une bonne partie de la place Jacinto Benavente ainsi qu'environ 400-500 mètres de la rue Atocha. J'y pris quelques photos :









Derrière la manifestation, à pied et motorisés, avançaient des robocops brandissant des armes qui ne plaisantaient pas. Et je songeais au Chamfort qui écrivait : "La plupart des institutions sociales paraissent avoir pour objet de maintenir l'homme dans une médiocrité d'idées et de sentiments qui le rendent plus propre à gouverner ou à être gouverné." Et de manière musclée, lorsque l'homme et la femme ne se laissent pas faire.
Les étudiants et les ouvriers évoqués sur la pancarte vallecana de la dernière photo souffrent d'une violence permanente dans l'heureuse ploutocratie globale. Prenons les étudiants, dont il est question ici. Les alarmes à leur égard se multiplient :
Selon The Guardian (24/10/2011), asphyxiés par la hausse des frais de scolarité, 10 % des "bacheliers" britanniques renonçaient à aller à l'université. D'autres envisageaient de plus en plus sérieusement de partir. Trois mois et demi plus tard, en 2012, les étudiants canadiens commencèrent à exprimer leur rage à ce sujet.
Comme curiosité, le Journal de Montréal informait le 31 mai 2013 que l’université de Cooper Union, située dans le quartier East Village à New York, gratuite depuis 110 ans, projetait d'introduire des frais de scolarité d'environ... 20 000 $ à partir de 2014.
En décembre 2013, nous avons appris -grâce à France Info- que la hausse des frais d'inscription dans les universités étasuniennes était de 550% entre 1985 et 2012. Selon Pierre Lagayette, auteur d'Aujourd'hui les Etats-Unis (Scérén-CNDP, 198 p., 17,90 €), « envoyer un enfant dans un établissement public représente 28 % du revenu familial moyen, mais pour un établissement privé la proportion grimpe à 76 % ».
Cette marchandisation de l'étude constitue un moyen détourné de reproduction de classe, une sélection par l'argent, d'après François Cocq et Francis Daspe, secrétaire national à l'éducation du Parti de Gauche et secrétaire général de l'Agaureps-Prométhée respectivement. Une façon loréaliste de faire passer les intérêts des entreprises et de la finance avant ceux des humains, dirait certainement Bernard Gensane (cf. son article L’Éducation nationale et L’Oréal, relayé initialement par bellaciao.org le 4 juin 2010).

Les retombées économiques du système universitaire libéral ne s'arrêtent pas là : Rachel Wenstone, la vice-présidente de la National Union Students, affirma dans le Guardian du 21 mars : « Obliger les étudiants à s'endetter pour financer les universités est une expérience qui a bel et bien échoué. Nous avons besoin d'un nouvel accord pour financer les études de la prochaine génération. ». Cet article commençait par une lourde constatation :
The proportion of graduates failing to pay back student loans is increasing at such a rate that the Treasury is approaching the point at which it will get zero financial reward from the government's policy of tripling tuition fees to £9,000 a year.
Autrement dit, la proportion de diplômés en défaut de remboursement des prêts étudiants est en augmentation à un rythme tel que le Trésor se rapproche du point où il obtiendra zéro récompense financière de la politique de tripler les frais de scolarité à 9.000 £ par an du gouvernement.
De nouvelles prévisions officielles suggéreraient que les prêts en pure perte auraient déjà atteint 45% des 10 milliards de livres empruntés par les étudiants chaque année.

En matière de dette étudiante, Christopher Newfield (Professeur à l’université de Californie de Santa Barbara) nous avait déjà prévenus en septembre 2012 dans les pages du Monde diplomatique (La dette étudiante, une bombe à retardement) :
DANS l’interminable feuilleton de la crise du capitalisme américain, la dette étudiante succédera-t-elle aux subprime ? Estimée à plus de 1 000 milliards de dollars, elle a doublé au cours des douze dernières années, au point de dépasser désormais le volume des achats par carte de crédit. En 2008, les créances moyennes des nouveaux diplômés s’élevaient à 23 200 dollars — à peine moins s’il sortait d’une université publique (20 200 dollars). Dans un contexte économique difficile, marqué par un taux de chômage élevé, un nombre croissant d’entre eux se trouvent dans l’incapacité de rembourser leurs prêts. Le taux de défaut de paiement des étudiants — qui ne peuvent pas recourir à une procédure de faillite individuelle — est passé de 5 à 10 % entre 2008 et 2011.
N'hésitez pas à lire attentivement cet article dans son intégralité. Les avertissements de Maurizio Lazzarato et Tim Mak au sujet des emprunts universitaires et leurs conséquences ne sont pas non plus à négliger.
Quant à Mike Maddock, qui tient blog sur le site de Forbes.com, il affirmait à son tour, dans son entretien avec France Info cité plus haut, qu'entre 2007 et 2012, la dette des étudiants étasuniens était passée de 548 milliards à 966 milliards de dollars, ce qui représente une dette moyenne de 21.402 dollars (16.300 €) par personne :
"Si bien que les familles y regardent à deux fois et que le modèle vacille. D'autant que l'Etat fédéral investit peu : sa contribution aux universités a baissé de 30% depuis 1980 et s'élève aujourd'hui à 20 milliards de dollars annuels, soit 14 milliards d'euros. A titre de comparaison, le budget du ministère français de l'enseignement supérieur et de la recherche est de 26 milliards."
[Note du 25 juin 2015 : Dans un article publié en ligne par la BBC le 3 juin, nous apprenons que la dette étudiante totale aux États-Unis a déjà atteint 1.300 milliards de dollars... the total student debt in the US has reached $1.3 trillion (£850 billion). L'info est signée par Franz Strasser qui nous rappelle : "While the cost of college education in the US has reached record highs, Germany has abandoned tuition fees altogether for German and international students alike. An increasing number of Americans are taking advantage and saving tens of thousands of dollars to get their degrees." C'est-à-dire, "Alors que le coût de l'enseignement universitaire aux États-Unis a atteint des niveaux records, l'Allemagne a abandonné les frais de scolarité aussi bien pour les étudiants allemands que pour les internationaux. Un nombre croissant d'Étasuniens en profitent et économisent des dizaines de milliers de dollars pour obtenir leurs diplômes". Les droits de scolarité ont flambé aux États-Unis en accord avec les dogmes libéraux : "In the 2014-2015 academic year, private US universities charged students on average more than $31,000 for tuition and fees, with many schools charging well over $50,000. According to the Chronicle of Higher Education, Sarah Lawrence University is most expensive at $65,480. Public universities demanded in-state residents to pay more than $9,000 and out-of-state students paid almost $23,000, according to College Board."]

Isabelle Rey-Lefebvre écrit ces jours-ci sur son blog :
Les alertes se multiplient sur la mauvaise affaire qu’aurait faite le gouvernement britannique en triplant les droits d’inscription dans les universités anglaises. Depuis septembre 2012, les 124 universités sont autorisées à augmenter ces frais et les deux tiers d’entre elles, notamment les plus prestigieuses, les ont d’emblée fixés au plafond autorisé, soit 9 000 livres (environ 10 700 euros) par an, contre 3000 auparavant.
Le gouvernement a, dans le même temps, réduit de 40 % ses subventions à ces établissements et promis aux étudiants des prêts à taux avantageux, d’une durée maximale de trente ans, garantis par l’Etat. Le dispositif prévoit que les emprunteurs, une fois diplômés et lancés dans la vie active, ne remboursent rien tant qu’ils ne gagnent pas plus de 21 000 livres par an ; au-delà, les mensualités ne doivent pas dépasser 9 % de leurs revenus, mais s’ils viennent à gagner plus de 41 000 livres par an, le taux d’intérêt appliqué est alors celui de l’inflation, majoré de 3 points.
Au rythme d’une dizaine de milliards de livres prêtés chaque année, la dette globale des étudiants s’élevait, en 2013, à 46 milliards de livres et 3 millions d’étudiants honoraient leurs remboursements. La pratique des crédits aux étudiants date de 1998. Selon le rapport du Comité des comptes publics (équivalent de la commission des finances au parlement anglais)  publié le 14 février, la dette atteindra, à ce rythme, 200 milliards de livres d’ici 2042, pour 6,5 millions d’emprunteurs.
Mais le taux d’impayés est récemment grimpé à 45 % au lieu des 28% à 30% prévus lorsque la réforme a été adoptée, en 2010, comme l'a annoncé le 21 mars le quotidien The Guardian. Cela dépasse les prévisions les plus pessimistes et frôle le taux fatidique de 48,6 % au-delà duquel l’Etat perdra plus d’argent qu'avec l’ancien système.
Bien entendu, comme contrepartie sociale nécessaire, les « university bosses are lining their pockets like never before » (les patrons d'université se remplissent les poches comme jamais auparavant), évalue . Die Macht a toujours eu besoin de fidéliser ses kapos (esse cum imperio... et cum pecunia) et de diviser (divide e impera), et rien ne permet mieux de diviser que la construction d'une hiérarchie ; hier et aujourd'hui, c'est archiconnu. Et puis, Chakrabortty a raison : vous pouvez imaginer un seul de ces adolescents contraints de galérer pour pouvoir s'inscrire hésitant à choisir entre telle ou telle université en fonction de son président ?

Vu que toute cause entraîne des effets, l'enquête de l'OVE (Observatoire de la Vie étudiante) Comment vivent les étudiants en France (2013) ? conclut que 54% des étudiants ont une activité rémunérée pendant l'année universitaire —pas pendant leurs vacances, ce qui comporte des limitations évidentes à leur rendement, à leur vie, à leurs possibilités de bonheur... Mais côté chiffres, nous avons lu ailleurs :
Alors qu'ils ne sont pas encore sur le marché du travail, 73 % des étudiants sont obligés d'être salariés pour faire face aux frais d'une année universitaire, indique une étude du syndicat étudiant UNEF.
En 2006, ils étaient 48%, c'est-à-dire, 50% d'augmentation en 7 ans. Au demeurant, en ce qui concerne seulement l'aspect de la réussite universitaire, le salariat étudiant multiplie par deux les risques d’échec, selon l’INSEE. Alors, la spirale se déchaîne : on redouble plus facilement, il faut repayer l'année de scolarité en question, on perd sa bourse, éventuellement on se surendette... Même les "business schools" (la coqueluche du système —les écoles de commerce et autres HEC de jadis—, les grands centres de formation des futurs bourreaux du travail, au double sens) s'affolent devant les angoisses financières de beaucoup de leurs élèves et ont commencé à aménager leurs horaires pour faciliter la conciliation études / emploi et "éviter des drames" ! Paradoxes de la doxa...

Eh ben, revenons à nos moutons : si vous le souhaitez, vous pouvez accéder à d'autres informations sur cette journée de manifestations étudiantes en Espagne diffusées par l'AFP ou eldiario.es en cliquant sur les liens ci-contre : manifestations en Espagne pendant la deuxième journée de grève des étudiants et que voit-on sur cette vidéo ?




Quant aux marches de la Dignité du 22 mars, lisez ici un compte rendu publié sur le site du CADTM (Comité pour l'Annulation de la Dette du Tiers Monde) ; et visionnez ici et deux vidéos illustratives.